sur le songe de Scipion(i), nous peint
tous les degrés de l’élévation de l’ame,
jusqu’au quiétisme de l’Epoptée. Après
avoir mis au premier échelon les vertus
politiques ; au second , les vertus ,
qui épurent l ame ; au troisième, celles
de l ame déjà épurée ; il fixe au quatrième
, et au plus haut degré, les_ vertus
qu'il appelle exemplaires. Et il explique
ce qu’il entend par ces ^quatre
ordres de vertus.
Les vertus politiques, sont celles de
l’homme social ; c’est-à-dire, celles que
l ’initiation avoit pour but de^main tenir
dans son origine, et les seules , suivant
nous, que les Législateurs anciens eussent
en vue de faire naître , en formant
ces établissemeïis religieux , comme
nous l’avons dit plus haut Ce sont elles
qui font lès bons fils , les bons pères ,
les bonsraagistrats etc. Les secondes sont
les vertus philosophiques, que Macrobe
appelle oisives , puisqu’elles séparent
l ’homme de la vie active de la société.
Ce sont celles-là , que nous avons dit
avoir produit les abus du Monachisme
et lés spéculatifs. Macrobe convient,
quelles passoient pour être les
seules vertus, dans l’esprit de plusieurs ;
ce qui est une grande erreur politique.
Les troisièmes sont Celles d’un esprit déjà
épuré, purgé du limon des passions
et de la matière et purifié de toutes les
souillures , que communique à l’ame le
contact du monde. Voilà bien la mysticité.
En effet, la prudence chez ces
rieure et divine si étroitement, qu'elle
garde avec elle une union éternelle ,
fondée sur l’imitation de cette intelligence
hommes-là consiste, non pas seulement
à préférer les choses divines aux autres
choses, mais à ne connoître que celles-là
seules,dit Macrobe (a), et à ne voir etne
contempler qu'elles, comme s’iln y avoit
rien autre chose. La tempérance consiste
également, non pas seulementà reprimer
les passions terrestres , mais à les oublier
entièrement ; la force , non pas a les
vaincre , mais à les ignorer , de manière
à. ne connoître, ni la çolere, ni le désir.
Enfin la justice, clans cet état de l’ame,
consiste à l’unir à l’intelligence supé*
{i) Soxn. Sçip* c. 8, p. 37—3®;
parfaite.
Enfin les vertus exemplaires, ou celles
du quatrième ordre , sont celles qui résident
dans l’intelligence divine elle-
même , que nous appelons ; et d’on
les autres vertus découlent, par ordre
gradué et successif. La prudence là est
lintelligence divine .elle-même. La tempérance
consiste dans une attention toujours'soute
nue et tournée sur soi-même;
la force, dans une immobilité , que
rien ne dément ; enfin la justice est ce
qui * soumis à la loi éternelle , ne sjé-
carte point de la continuation de son
ouvrage.
Voilà les quatre ordres de vertus, qui
ont des effets différens à l’égard des passions,
dont le principe, suivant Virgile,
est dans la matière. Les premières les
adoucissent. Les secondes les ôtent. Les
troisièmes en font perdre jusqu’au souvenir.
Les quatrièmes ne permettent pas
de les nommer. Voilà bien le dernier
- raffinement de la mysticité (a). ^
Pour faciliter à lame cette élévation
vers la Divinité , dans" laquelle ,
étant absorbée, elle atteint toute la perfection
, dont elle est susceptible , on
imagina d’appliquer aux corps les remèdes
de la continence, du jeûne et de
l’abstinence de certains alimens , afin
que rien ne pût retarder son union à la
Divinité, soit pendant cette vie , par la
contemplation, soit après la mort , par
la cohabitation avec elle, dans le séjour
de la lumière incréée. On crut devoir
donner au corpsun régime,quirendit son
influence sur î ’amelaplus petite qu’il fût
possible; le principe étoit vrai, jusqu’à
un certain point. La raison n’établit jamais
mieux son empire , que dans le
calme des sens, elles fumées des viandes
et du vin obscurcissent souvent sa lumière.
Un tempérament fort et vigoureux
, de l’embonpoint , des alimens
chauds , des liqueurs spiritueuses con-
(s) Macrob. 1. i , c. 8, p. }8.
co u ren t
courent à donner au corps une prépondérance
sur la raison, et par une suite
nécessaire sur les vertus. Tout est lié
dans l ’homme. Si l’ame agit sur le corps,
le corps agit aussi puissamment sur l’ame,
et il faut convenir , que nos passions
sont toujours le résultat de notre organisation
, et de l’état habituel du corps.
Le genre de vie, que l’on mène , -influe
plrnç ou moins sur l’habitude de l ame ,
et lui donne plus ou moins de facilité,
pour pratiquer les vertus, qui en général
tiennent beaucoup du tempérament ;
mais cette observation ne tombe guè-
res que sur les excès, et l’abus du principe
peut nous jeter aisément dans le
défaut contraire. Il résidte seulement
de-là, qu’un homme , qui veut ôter aux
passions et au tempérament ,une partie
de sa force, et maintenir le calme
de sa raison , doit préférer un genre
de vie sobre , réglé, et n’obéir qu’aux
instincts des premiers besoins , plutôt
qu’aux attraits de la volupté, accorder
aux puissances de l’ame, plus qu’à
celles du corps , et éviter tout ce qui
peut multiplier ses besoins, et irriter ses
désirs. Voilà'ce qu’une sage Philosophie
nous prescrit, et c’est à quoielle
doit se borner. Mais on a cherché une
prétendue perfection , dans l’abus du
principe, et dans l’excès même du bien,
qu’on pouvoit attendre d’un régime
sage commandé au corps. Tes abstinences
devinrent, non plus des moyens
de vertu, mais elles furent elles-mêmes
regardées , comme des vertus on crut
ajouter à l’ame tout ce qu’on retran-
choit au corps ; et on s’exténua en
toutes manières, comme si la vertu étoit
le fruit amer des tortures données au
corps.
Telles furent les précieuses inventions
de la mysticité orientale , qui presque
toujours a substitué des ridicules à des
vertus. Ainsi les Prêtres de l’Egypte
ne vouloient point, que leur Dieu Apis
bût de l’eau du Nil ( î), parce que l ’on
(i) Plut, de Isid. p. 35;.
( i) Ibid, delsid. p. 35a— 353.
Relig. Univ, Tome II.
erpyoit , qu’elle engraissoit trop ; et ils
pensoient, que c’étoitune chose dangereuse
pour leur Dieu , comme pour
eux , d’être trop gras. Nos moines ,
nos gros Abbés et nos riches bénéficiers
n’ont pas pensé.comme ces Egyptiens,
qui vouloient que Pairie fût revetue d’un
corps grêle et léger, afin que la partie
divine de l ’iiomme ne fût point surchargée
, et comme écrasée par le poids
de la matière du corps mortel (2). Dans
les jours d’abstinence, et dans les temps
destinésà la sanctification, ces Egyptiens
ne saloient point leurs mets, parce que ,
disoient-ils, le sel aiguillonne l’appétit, et
incite à boirfe. Les Prêtre« du Soleil à
HeliopVùs s’interdisoient • l’usage du
vin ; les autres en buYoient très - peu
et s’en abstenoient, toutes les fois qu'ils
s’occupoient d’enseigner ou d’apprendre
la science divine , et qu’ils s’ap-
pliquoient à la Philosophie. Les Rois eux-
mêmes , en qualité de Prêtres , n’en pou-
voient boire qu’une petite mesure, fixée-
par la loi. Ils craignoient le désordre,
que l’ivresse met dans la raison. Ils rejetaient
l’usage du poisson , comme un
aliment trop débeat et superflu. Ils ne
mangeoient pas non plus d’oignon, parce
qu’ils croyoient, que eé légume incite
à boire , et 11’est pas favorable à
ceux qui veulent garder la. chasteté. La
Déesse Isis (3) préparoit ses initiés par
un genre de vie sobre , par l’abstinence
des plaisirs de l’amour , et en sevrant
le corps d’une nourriture trop abondante
, afin de réprimer les saillies de
cette partie de l ’ame , qui est rebelle à la
raison, et qui se laisse trop entraîner par
le plaisir. Il régnoit une espèce d'austérité
dan® ces cérémonies religieuses ,
dont le but étoit d’affoiblir l’action
du corps sia l’ame, afin, dit Plutarque ,
qu’elle pût' contempler plus aisément
le premier Dieu , le Dieu intellectuel,
le souverain maître de toutes choses.
Car toutes ces pratiques religieuses,
qui dégénérèrent ensuite en superstitions
(3) Ibid, de Isid. p. 391.
Hli*