des mystères, auxquels elles préparaient
( 1 ) , étoient aussi une consolation pour le
coup ib!e , qui y trouvoit un moyen de
réparer des f oiblesses, d’expier un e faute,
même un crime , d’être réintégré
dans les droits de l ’innocence, et d ’en
recueillir tous les fruits. Peut être, sous
ce point de vue, furent-elles quelquefois
utiles, pour ramener l ’homme que la
foiblesse d’un moment a voit fait tomber.
Mais en général, pour avoir été
trop prodiguées, elles affoiblirent le sentiment
de la crainte des supplices du Tar-
tare, en présentant toujours un moyen
simple pour s’y soustraire ; et conséquemment
le but de la fiction du Tar-
tare fut manqué.
Orphée qui, pour conduire les hommes,
s’étoit saisi de toutes les branches
du charlatanisme religieux , avoit imaginé
des remèdes pour l ’ame et pour
le corps, qui avoient à-peu-près autant
d’effet les uns que les autres. Car les
ablutions, les cérémonies expiatoires,
les indulgences, les confessions,etc. n’ont
pas plus de vertu en morale , que les
Talismans en médecine. Ces deux remèdes
, sortis de la même fabrique, n’en
imposent qu’aux sots ; la foi setile peut
donner quelque vogue à ces spécifiques.
Orphée passoit chez les Grecs pour avoir
inventé les initiations, les expiations
des grands crimes, le secret de détourner
les effets de la colère des Dieux,
et de procurer la guérison des maladies
(2).
La Grèce étoit inondée d’une foule
de Rituels attribués à Orphée et à
Musée ( 3 ) , qui prescrivoient la forme
de ces expiations. Pour le malheur de
l ’humanité, on persuada, non-seulement
à des hommes en particulier, mais
à des villes entières, qu’on pou voit s’affranchir
et se purifier de ses crimes et
dations. Les Orphéotélestes, mendiant à
la porte des grands et des riches , se
chargeoient d’expier toute espèce de
crime, qu’ils auroient pu commettre,
soit eux, soit leurs ancêtres ; et de les
délivrer des effets de la vengeance des
Dieux, sur lesquels ils avoient une
espèce d’empire , par le moyen de certains
de ses injustices , par des sacrifices
expiatoires , par des jeux , par des ini- 1
(1) Arnan. inF|)ict. 1. 3„c. n . Schol. Aiistoph.
ad Plut. v. 846; ad Pac. v. 333.
(a) Pausan. Bæotic. p. 304.
sacrifices et d’enchantemens.
Tout cela se vendoità bon marché,à aussi
bon compte qu’un billet de confession,
ou un certificat d’absolution , que vend
un Capucin à l'homme qui en a besoin.
Nous voyons dans Démosthène, que la
mère d’Eschine vivoit de cette profession
, et joignoit ces petits profits à
ceux de ses prostitutions , qui ne lui
suffisoient apparemment pas ; car elle
fit ce double commerce. Théophraste
( 4 ) , peignant le caractère du superstitieux
, nous le représente comme nos
dévots scrupuleux , qui vont souvent
à confesse. Il nous d it, qu’il ne manque
jamais d’aller tous les mois chez les
Orphéotéléstes pour se faire purifier, et
d’y mener avec lui sa femme et ses
enfans. Les marbres de Paros (S) fixent,
sous le règne de Pandion à Athènes,
l’établissement de «es purifications ou
cérémonies expiatoires, qui devinrent
ensuite une espèce de trafic, que les fripons
firent aux dépens des sots. Les
Prêtres y gagnèrent, et les moeurs y perdirent.
Car c ’est affoiblir la morale , que
d’affoiblir la voix impérieuse de la conscience.
La Nature a gravé dans le coeur de
l’homme des loix sacrées, qu’il ne
peut enfreindre, sans en être puni par
le remords. C’est là le vengeur secret
qu’elle attache sur les pas du coupable.
La Religion étouffe ce ver rongeur, lorsqu’elle
fait croirè à l ’homme , que la
Divinité a oublié son crime, et qu’un
aveu fait aux genoux du Prêtre le réconcilie
avec le Ciel qu’il a outragé, p!»
(3) Plat, de Rep. I. 2, p. 364*.
(4) Theoph. Caract. 17.
(5) Marsham. Chrome. Seecul. I I , p. 263.
qui peut redouter sa conscience , quand
Dieu même i’absout ! La facilité des
réconciliations n’est pas le plus sûr lien
de l’amitié ; et on ne craint guères
de se rendre coupable, quand on est
toujours sûr de sa grâce. Le remède ,
qui suit toujours le m a l, nous empêche
de le redouter, et devient alors un grand
mal lui-même. Nous en avons un exemple
frappant dans le peuple, qui va
habituellement à confesse, sans en devenir
meilleur; il oublie ses fautes, aussitôt
qu’il est sorti de la guérite du
surveillant des consciences. En déposant
aux pieds du Prêtre le fardeau de
ses remords, qui lui eût pesé peut-être
toute sa vie, il jouit aussitôt de la sécurité
de l ’honnête homme , et il s’affranchit
du seul supplice qui punisse le
crime secret ( z ). Cette institution est
donc un grand mal, puisqu’elle ôte un
frein r é e l, que la Nature a donné au
crime , pour y en substituer un factice,
dont elle-même détruit tout l ’effet. C’est
àt la conscience de l ’honnête homme
à récompenser ses vertus , et à celle du
coupable à punir ses forfaits. Voilà le
véritable Elysée, le véritable Tartare ,
créés par la Nature elle-même. C’est
l’outrager, que de vouloir ajouter à son
ouvrage ; et plus encore de prétendre
absoudre et affranchir un coupable du
supplice , qu’elle exerce secrètement
contre lui par la perpétuité des remords.
Les anciens Chefs d’initiation l ’avoient
senti, lorsqu’ils exceptèrent certains
crimes du bienfait de l ’expiation,et qu’ils
les livrèrent aux remords et à la vengeance
étemelle des Dieux. Le jeune
Uémétrius, fils de Philippe roi de Macédoine
, pour se justifier du reproche
d’avoir attenté aux jours de son frère
Persee ( 1 ) , demande s’il est vraisemblable
, qu’il eût conçu ce projet, et qu’il
s en fût occupé au milieu d’une cérémonie
religieuse , ne pouvant se flatter
de 1 espoir de trouver-jamais aucun sali)
Tit. Liv. I. 40 , c. 10, etc.
Sueton. vit» Néron, 0, 34.
crifice expiatoire pour un semblable
attentat. Rien de plus ordinaire chez
les Auteurs anciens,que de voir donner à
certains crimes l’épithète de crimes
irrémissibles , et que rien ne sauroit
expier (a). Nous avons déjà vu plus
h au t, que l’on écartoit des Sanctuaires
d’Eleusis les homicides , les scélérats,
les traîtres à la patrie, et tous Ceux qui
étoient souillés de. grands forfaits ; cl’où
il résulte , qu’ils étoient aussi exclus de
l ’Elysée, et plongés dans le bourbier,
puisque cjétoit là le sort de ceux qui n’é-
toient pas admis à la participation déï
saints mystères. On établit des purifications
pour l’homicide , mais pouf
l ’homicide involontaire , ou nécessaire.
Ainsi Hercule se fit purifier, diï-on,
après le meurtre des Centaures. Les
purifications des anciens ne lavoient
point de toutes sortes de souillures, mais
seulement des fautes,et des crimes légers.
Les grands criminels avoient ou à redouter
toute leur vie' les horreurs du
Tartare, ou ne pouvoient réparer leurs
crimes, qu’à force de vertus et d’actions
louables. Les purifications légales
n ’avoient pas la vertu de rendre à tous
les espérances flatteuses, dont joüissoit
l ’innocenGe. Néron n’ose se présenter
au temple d’Eleusis (2.) ; ses forfaits lui
en interdisoient pour toujours l’entrée.
Constantin, souillé de tontes sortes de
crimes, teint du sang de son épouse (3),
après des parjures et des assassinats
multipliés , se présente aux Prêtres
Païens, pour se faire purifier et ab-
apudre de ses forfaits. On lui répond, que
parmi les différentes sortes d’expiations
on n’en connoît aucune , qui puisse
jamais effacer de semblables crimes ; et
Constantin étoit Empereurs ; qu’aucune
Religion n’offre des remèdes assez puis-
sens pour cela. Un des flatteurs du
palais , instruit de son trouble , et de
l’agitation d’une ame déchirée par le
remords, que rien ne peut appaiser ,
(3) Zezim. Hist. 1. 1 , p. 434.