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pas bornés à ceux de la morale, qui
est commune à tous les hommes. Souvent
le peuple croit que des actes de
dévotion sont des vertus et peuvent
en tenir la place ; et il se dispense des
vertus sociales, parce qu’il a ce qu’on
appelle des vertus religieuses.
L ’amour , pour la Religion produit
l’intolérance ; la charité pour le prochain
rend'*'4’homme religieux espion
des défauts- d’autrui ; sous prétexte
de gémir sur les foiblesses des autres,
on les publie , on les exagère ; et les
crimes souvent qu’on leur impute , ne
sont que des actes de raison. Mais ceci
pourroit être regardé comme l’abus de
la Religion, quoiqu’il ne soit qu’une
conséquence nécessaire de l’Evangile ,
qui veut qu’on avertisse'son frère, et
qu’on le traite comme un Publicain ,
s’il n’obéit à la censure de celui qui
le surveille. Passons à l’examen de ce
qu’on appelle les vertus Chrétiennes ;
l ’humilité, par exemple, et le mépris
de soi-même, que l’on met au rang
des vertus. Quel est l’homme de génie
qui, par humilité , peut se croire un
sot , et qui s’efforcera, pour plus grande
perfection, de se le persuader ; ou l’honnête
homme qui, par humilité, concevra
pour lui-même le mépris, qu’on
doit avoir pour un fripon. Le précepte
est absurde, parce qu’il est impossible
de porter aussi loin l’illusion; la conscience
, que l’honnête homme et
l ’homme de génie ont de leur probité
et de leur science, ne peut et ne doit
point être étouftée par la Religion.
G’est un sentiment, dont il n’est pas le
maître de se dépouiller lui-même. C’est
pourtant à cette humilité, qu’on promet
l’Elysée, à cette humilité qui étouffe
le germe des grands talens , et rétrécit le,
génie; et qui, déguisant à l ’homme ses
véritables forces, le rend incapable
de ces généreux efforts, qui lui font entreprendre
de grandes choses pour sa
gloire, et pour celle des empires qu’il
défend, ou qu’il gouverne. Ce n’est
que dans cette initiation , qu’on s’est
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avisé de faire l’apothéose de la pusillanimité
, et de la mettre au ràn g des vertus.
Au lieu des grands hommes, qui bâtirent
des villes, fondèrentdes empires,
ou les défendirent au prix de leur sang ;
au lieu de ces hommes de génie, qui
s’élèvent au-dessus de leur siècle, parla
sublimité de leurs connoissances, par des
découvertes utiles, et par l'invention
des arts ; au lieu des Chefs de nombreuses
peuplades , civilisées par les moeurs
et les lois ; au lieu des Orphée , des
Linus , que Virgile a placés dans son
Elysée , je vois arriver dans l’Elysée
des Chrétiens des Moines , sous toutes
sortes de frocs, souillés detoutes sortes de
vices;des Fondateurs et desChefs d’ordres
monastiques, dont l’orgueilleuse, humilité
prétend aux premières places du
Paradis. Je vois paroître à leur suite
des Capucins à longue barbe, aux pieds
boueux, couverts d’un manteau sale
et rembruni, à qui on a enseigné que
célui qui s’humilie sera élevé, et qui
viennent réclamer cette élévation, promise
à l ’humilité. J’y vois arriver des
gueux couverts de haillons , qui toute
leur vie ont mandié à la porte des
autres , et qui par humilité ont fait profession
' d’une parfaite ignorance ,
persuadés que la science enfahte l’orgueil
, et que le Paradis n’est pas fait
pour les gens d’esprit. Quelle morale!
Orphée et Linus, avez-vous jamais cru,
que le Génie qui avoit créé l’Elysée,
et où Virgile vous a donné la première
place, devoit être un jour un titre d’exclusion
; et qu’on taxeroit d’orgueil l’essor
de l’esprit, que vous aviez cherche
à exciter, en imaginant l’Elysée pour
encourager les grands hommes? Et vous,
Philosophes, qui cherchiez à perf’ec-
tionnerla raison de l’homme,en associant
la Religion à la Philosophie, avez-vous
pu croire, que le premier sacrifice qu’on
dût lui faire, fût celui de la raison
elle-même? C’est cependant ce qui est
arrivé, et ce que verront encore longtemps
les siècles qui nous suivront. Celui
qui croira, nous dit-on, sera sauve.
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Mais celui qui ne croira point sera
condamné ( 1). Le Philosophe ne croit
point, mais raisonne ; et sûrement celui
qui raisonne ne mérite pas d’être condamné.
Quant aux Législateurs, qui ont
cherché dans la Religion un moyen de
resserrer les liens de la vie sociale, et
de rappeler l’homme aux devoirs sacrés
de la parenté et de l’humanité,
je puis leur dire : vous seriez-vous jamais
attendu, qu’il y auroit une initiation
( a ) , dont le chef diroit à ses
Sectatèurs : « Groyez-vous que je sois
» venu apporter la paix sur la terre ?
» non, je vous assure; mais la divi-
» sion. Car désormais , s’il se trouve
» cinq personnes dans une maison, elles
» seront divisées les unes contre les
» autres, trois contre deux, et deux
» contre trois. Le père sera divisé avec
» le fils , et le fils avec le père ; la mère
» avec la fille , et la fille avec la mère;
» la belle - mère avec la belle-fille, et
» la belle-fille avec la belle-mère 33. Et
ailleurs : « si quelqulun vient à moi , et
» ne hait pas son père ( 3 ) et sa; mère,
» sa femme, ses enfans, ses frères ,
» ses soeurs, et même sa propre vie ,
» il ne peut être mon disciple». Aussi
un fils , voulant, avant de s’attacher
à ce prétendu Législateur, donner la
sépulture à son père , le Docteur lui
répond (4) : «laissez aux morts le soin
» d’ensevelir leurs morts ». On dira que
ceci est figuré ; mais outre que pour
le peuple ces sortes de figures sont fort
dangereuses , elles contiennent une
grande maxime des Chrétiens.; c’est que
pour la Religion, il faut faire tous les
sacrifices des affections lesjjdus naturelles,
et les plus légitimes (5 ) , pour
arriver à une prétendue perfection :
maxime funeste , et anti-sociale , puisque
la Religion elle-même n’est bonne
qu’autant qu’elle resserre, et non qu’elle
• (1) Ev. Marc. c. 16, v. 16.
(2) Ev. Luc. c. 12 , v. 5 1 , j î , 53,
(3) Ibid. c. 14, v, 26.
(4) Ibid. c. 9 , v. 60.
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dissout ces liens , qui unissent l’homme
à sa famille et à l’ordre de la société,
et qui l’attachent aux devoirs d’une vie
active.
Un homme, qui soupire après la félicité
éternelle , dit à ce prétendu docteur
des nations, qu’il a rempli tous les
devoirs de l’honnête homme, on plutôt
évité les grands crimes proscrits dans
le Décalogue, et on lui répond, que cela
ne suffit pas : « allez , lui dit - on, ( 6 )
» vendez tout ce que vous avez, et don-
» nez-le aux pauvres, et alors suivez-
» moi ». Quelle absurde morale ! L ’aumône
ou la bienfaisance est une vertu
louable, Saiis doute, mais elle a ses bornes
, au-delà desquelles elle devient une
prodigalité, une indifférence pour son
bien-être, ridicule , gour ne pas dire
condamnable. Aussi un des disciples ,
qui n’ayant rien en patrimoine , avoit
volontiers renoncé à tout, dit au maître,
que pour eux ils ont tout quitté pour
le suivre (7). Celui-ci répond. «En vé-
» rite, je vous dis que personne ne quit-
» tera pour moi et pour l’Evangile sa
» maison , ses soeurs , ses frères , son
» père, sa mère, ses enfans où sa terre ,
» que présentement et dans le siècle à
» venir, il n’en reçoive cent fois autant »..
" Quelle pitoyable morale, bonne peut-
être pour des moines, qui en quittant
leur famille pour s’attacher à la religion,
y ont gagné de riches abbayes, mais
jamais propre à faire ni des citoyens,
ni de bonsparens, de bons amis, enfin
peu faite pour des hommes ! Et comment
les devoirs sacrés de mari et d’épouse
pourroient-ils prendre un caractère respectable,
dans une religion qui regarde
cet état du mariage comme un état d’imperfection
, et presque comme une tolérance
pour les âmes foibles ? « Il n’est
» pas avantageux , dit un homme au
» Docteur ( 8 ), de se marier, si cet état
(5) Ev. Math. e. 10, T. 96, etc.
(6) Ev. Marc, c. 1 0 , v . 20. Math. c. 19, v. *5.
(7} Marc. c. 29. Math, c, 19 , v. 29.
w l Math. 19 , y . 10, i l .