flattoit autrefois les hommes foihles et
crédules , pour les attacher aux principes
de la morale, de la justice et de l’ordre
social, auxquels l'intérêt plus encore
que la raison sembloit devoir les lier.
De même que la vertu pouvoit se
flatter de l’espoir des plus brillantes
récompenses , qui lui étoient réservées
dans les enfers , et même quelquefois
sur la terre ; de même aussi le crime
avoit à redouter les plus rigoureux cliâ-
timens. Les inventeurs de l’Elysée imaginèrent
aussi le Tartare , dans lequel,
continue Platon, ils précipitoient les hommes
coupables d’impiété et d’injustice ,
et les plongeoien t dansle bourbier. Là on
les forç.oit à porter de l’eau dans un crible.
Les Dieux n’attendoien t pas même
qu’ils fussent morts pour les punir ; iis
les livraient aux erreurs et aux égare-
mens de l’esprit,, et iis faisoient tomber
toutes sortes ds cbâtimens sur leur tête.
On voit donc clairement ici la religion
employée à son plus noble usage, à entretenir
l’homme dans la pratique de la
justice et de toutes les vertus , et à lui
faire craindre le vice. L ’homme tr-eu-
voit son intérêt à faire le bien , et à
éviter le mal moral. Ce sont la ces fictions
, dont Timée croit qu’il est permis
de faire usage, pour attacher au devoir
les âmes rebelles à la raison , et qui ne
cèdent qu’à la crainte, soit des châtf-
mens qu’infligent les loix , soit des pu-,
nitions qui attendent les crimes aux
enfers. Voilà cè qu’on enseignoit dans
les mystères, dont le but étoit de procurer
à l’homme sur la terre une félicité
réelle par la vertu , en le soutenant par
l ’espoir trompeur d’une félicité imaginaire
, dans un monde inconnu et chimérique.
L ’homme vertueux y trouvoit
une consolation dans ^ses maux , et une
nouvelle satisfaction dans la jouissance
de ses vertus ; et l’homme vicieux y
gagnoit aussi , dit Plutarque ,(i) puis-
qu il étoit plus avantageux pour lui d’être
d’un mal à venir, que de s exposer déjà
ici-bas à un mal réel, et aux suites, du
crime en le commettant. On ne peut
apporter d’excuse plus spécieuse en faveur
préservé du crime , par la crainte (i)
(i) Plat, Non poq$ Survit. 1104.
de l’imposture religieuse ; mais
elle détruit, en même'temps, les notions
de vice et de vertu , de vérité et
de mensonge , qui sont distingués par
leur essence , et non pas par, l’intérêt
social. Si le mensonge peut être permis,
quand il est utile à celui qu’on trompe ;
et la vérité écartée , quand elle pourront
nuire à ceux qu’011 voudrait éclairer
, il s’ensuit quq l’intérêt social est
la seule règle de l’Usage que nous devons
faire de l’un et de l’autre , et que
le mensonge et la vérité se confondent
dans l’idée d’utilité publique', au lieu
d’être distingués essentiellement par la
nature. On pourra donc dire ; fuyons
la vérité ,,comme onpeut dire , fuyons
le mensonge pet la proscription portée
contre célui-ci n’aura pas été prononcée
par le Dieu de vérité , mais par les Législateurs
, pour le seul cas où il pour-
roit être nuisible. Mon respect pour la
vérité ne ine permet pas d’admettre un
tel principe : je pense, comme tous les
Sages , qu’elle doit être le but de toutes
nos recherches ; e t, dut-on en abuser,
comme on abuse de tout, puisqu'on
abuse aussi du mensonge , je redoute
encore moins les abus , qui pourraient
naître de la- eonnoissance de quelques
vérités , que ceux qui sortent nécessairement
d’un système universel d imposture.
Je sais que l’art de tromper est
plus facile que celui d’instruire ; mais
il n’en est pas moins vrai, qu’il ne doit
pas avoir sur lui la préférence dans un
plan de législation et dans un système
de morale : la vertu est la fille de la
raison et de la vérité ; l’erreur et l'ignorance
sont mères de tous les vices.
Louons donc le but qu’ont eu des Législateurs
en inventant et en enseignant
ces dogmes religieux ; mais ne louons
que le_ but, et blâmons le moyen.
Une fois que les Philosophes et les
Législateurs eurentimaginé cette grande
Jiction politique , les Poètes et les Mys-
tagogues s’empressèrent de la propager
et de l’accréditer dans l’esprit des peuples
, en la consacrant, les uns dans
leurs poèmes , les autres dans lès sanctuaires
; et ils la revêtirent des charmes,
les uns de la poésie, les autres du spectacle
et des illusions magiques. Tous
s’unirent ensemble pour tromper les
hommes, afin de perfectionner leurs
moeurs et de les mieux conduire : car la
poésie , dans son origine, fut toute
entière consacrée -à chanter lés Dieux,
et à donner des leçons de morale aux
hommes.
Le champ le plus libre fut ouvert à
la fiction (7)', et le génie des Poètes
et des Prêtres ne tarit plus , lorsqu'il
s’agit de peindre, soit les délices du
séjour de l’homme vertueux après sa
mort, soit les horreurs des affreuses prisons,
destinées à punir le crime. Chacun
voulut enchérir sur les descriptions, qui
avoient été faites déjà par d’autres , de
ces terres inconnues , de ce monde de
nouvelle création , que l’imagination
poétique peupla d’ombres, de fantômes
et de chimères pour étonner le peuple,
dont on crut que l’esprit se serait peu
familiarisé avec les notions abstraites de
la morale et de la métaphysique. L ’Elysée
et le Tartare plaisoiertt plus et frap-
poient davantage ; la baguette magique
du Prêtre les fît tout-à-coup paroîtrè
dans l’ombre des sanctuaires , les mit
en spectacle , trompa l’oeil par des fantômes
, et donna au peuple un véritable
opéra religieux , sous le nom d’initiation
et de mystères (/•). On piqua la
curiosité par le secret ; on l’irrita par
les difficultés qu’il y eut d’y être admis ,
et par les épreuves qu’on exigeoit. On
amusa par la variété des scènes, par la
Pompe des décorations , et par le jeu
des machines ; on imprima Je respect
(1) Act. disput. Arch. Menant. EccIs»*-GFæc.
Lût. p. 60.
parla gravité des acteurs etparlamajesté
du cérémonial ; on excita tour-à-tour la
crainte et l’espérance , la tristesse et la
joie ; mais il en fut de cet opéra, comme
des nôtres. Il fut toujours de peu d’utilité
pour les spectateurs , et tourna
tout entier au profit des' directeurs et
des acteurs (s). C’étoit là le grand secret
de cettefranemaçon-neriereligieuse, qu’il
n’étoit donné de connoître qu’à ceux
qui en vivotent. « Où vas-tu , dit Ar-
» Ohelaüs à Manès (1) , qui alloit célé-
y> brer ses mystères dans!’antre Mithria-
» que ? Vas-‘tu , barbare , en imposer
y> au peuple , et jouer la comédie, dans
35 la célébration des mystères de ta Di-
33 vinité 33 ? Ge que disoit Archelaiis à
Manès pouvoit s’adresser à tous les prêtres
et à tous les chefs d’initiations , qui
n’ont jamais été que les comédiens de
la Divinité ; il n’y a eu de différence
que dans la nature des farces, plus ou
moins amusantes, et des théâtres plus
ou moins pompeux. Les Cabires de
Samothrace , les Dactyles Idéens , les
Curètes de Crète, les Corybantes, les
Galles , les Métagyrtes de Phrygie , les
Telchines de Troade, étoient de mauvais
farceurs et de misérables charlatans,
qui vivoient aux dépens des nations
sauvages , qu’ils trompoient au nom de
la Divinité. Le .grand opéra étoit à Eleusis
; mais par-tout on étoit le jouet de
l’imposture religieuse (r).
Les Hiérophantes , en hommes profonds
, qui connoiesoient bien le génie
du peuple et l’art de le conduire , tirèrent
parti de tout pour l’amener à leur
but, et pour accréditer leur spectacle.
Ils voulurent que la nuit couvrît de ses
voiles leurs mystères , comme ils les
couvraient eux-mêmes sou-s le voile du
secret. L ’obscurité est favorable au
prestige, et prête davantage à l’illusion ;
ils en firent donc usage, pour tromper,
j>ar des fantômes magiques , l’oeil de
l’Initié crédule (zr), On initia dans des