
 
		tramens ,  Ont fait croire ,  dit-il,  que  la  
 musique  en  général  a  son  origine  dans  
 la Thrace et  dans  l’Asie.  Il  en  tire  une  
 induction,  du nom même des lieux  où  
 les Muses furent  honorées.  Il reconnoït  
 aussi  que  les premiers,  qui  cultivèrent  
 -la  musique  ,  étoient  les  mêmes  qui  
 avoient  établi  les initiations  et les mystères  
 ,  Orphée, Musée,  Ennidlpe,  dont  
 le  nom  même  rappelle  la  beauté  de  
 son  chant;  c’est-à-dire,  qu’au  moins  
 ils  sont  les  premiers ,  qui  l’aient  fait  
 coûter aux  Grecs ,  par  l’usage  qu’ils  en  
 firent  pour  la  civilisation,  et  dans  la  
 célébration  des  mystères  où les  choeurs  
 jouoient  un  rôle  si  important.  Il  ne  
 sépare  pas  la  musique  de  la  morale  ,  
 qu’elle servoit  à établir  originairement,  
 ni de la philosophie qui l’employa.  Car  
 ri on  a  quelquefois ,  dit-il,  abusé de  la  
 musique  au  théâtre  ou  ailleurs ,  on  ne  
 doit  pas  pour  cela  accuser  l'art  lui-  
 même,  ni  oublier  la^ nature  des  en-  
 seigaemeHS,  dont  il  est  le  principe  et  
 la source. Tout  ce  qui  contribue  à perfectionner  
 l’esprit , nous vient des Dieux.  
 Aussi a-t-on  regardé  les Dieux comme  
 les  inventeurs  de  la  musique,  qui  est.  
 destinée  à  les  chanter.  Strabon  auroit  
 pu  en  dire  autant  des  mystères,  qui  
 «voient  le  même  but,  et  dont  l’invention  
 étoit  aussi  attribuée  aux  Dieux  
 ouaux enfans desDieux. Il cite l’autorité  
 de  Platon ,  et  avant  lui  celle  des  Pythagoriciens, 
 qui donnèrent à la musique  
 le nom de Philosophie. Effectivement,  
 nous  voyons  que  parmi les  moyens  de  
 perfectionner  l ’homme,  que  donnent  
 les  anciens  Philosophes,  la  musique  
 et  la  philosophie  sont  les  deux  premiers  
 ;  que  ce  n’est  que  pour le  peuple  
 et pour  celui  qu’il est  plus aisé  de conduire  
 par  les  illusions  de  l’imagination  
 que  par  la  raison ,  qu’ils  ont  inventé  
 les  principaux  dogmes  de  l’initiation  ;  
 savoir  l’idée  de  l’Elysée  et  du Tartare.  
 Timée  de  Loeres  s’exprime  de  la  manière  
 la  plus  fclaire  à  cet  égard.  Voici 
 f i )   Timéèée Lecr. c. 6. §. 9. Traé. Batteux, 
 ce  qu’il  nous dit (1)  :  «la musique  et  la  
 »  philosophie  qui  la  conduit,  ont  été  
 »  établies par  les Lois  et  par les  Dieux  
 »  pour  perfectionner  l’ame.  Elles  ha-  
 »  bituent,elles persuadent, elles forcent  
 »  sa partie irraisonnable d’obéir à l’autre.  
 »  Elles  adoucissent  la  partie  irascible ;  
 3»  elles  tranquillisent la  concupiscence,  
 »  et  les  empêchent  toutes  deux  de  se  
 si  mouvoir  -contré  la  raison,  ou  de  
 33  rester  oisives,. quand  la  raison  les  
 33  appelle  soit  pour  agir,  soit  pour  
 33  jouir.  Car  c’est  là  toute  la  sagesse;  
 33  agir  et  se  retenir  selon  la  raison.  
 33  La  philosophie  vénérable  et  auguste  
 »  nous  a  purgés  de nos  erreurs  pour  
 33  nous  donner  la  science ;  "elle  a  re-  
 »  tiré  nos  esprits  de  l’ignorance  pro-  
 33  fonde  , pour  les  élever  à  la  contem-  
 3»  plation  des  choses  divines,  par  les-  
 33  quelles  l ’homme  devient  heureux,  
 33  quand  il  sait  réunir  avec  les  con-  
 33  noissances,  la  modération  dans  les  
 33  choses  humaines,  et  une  juste  acti-  
 33  vité  dans  tout  le  cours  de  la  vie ». 
 Ici  finit,  dans Timée,  l ’éducation du  
 sage  et  dé  l’homme, qui peut se  laisser  
 conduire  par  les  rapports  que  son  organisation  
 a  avec  la  musique ,  et  sa  
 raison  avec  la  philosophie.  Quant  aux  
 autres  hommes,  c’est-à-dire,  au  grand  
 nombre  ,  et  spécialement  au  peuple ,  
 qui  ne  peut,  dit-on,  ( car  toujours  en  
 l’a calomnié ),  recevoir cette noble  éducation  
 , il ne trouve  plus d’autre moyen  
 de  le  contenir,  que  par  la  crainte des  
 peines  portées  par  les  L oix ,  c’est-a-  
 dire,  par  le  dernier  moyen  qu’eussent  
 les  premiers  Législateurs,  de  retenir  
 ceux  qui n’avoient pu être préservés  du  
 crime  par  une  sage éducation.  Mais du  
 temps de Timée, les Législateurs avoient  
 trouvé le secret de faire parler les Dieux,  
 et  de  lés  rendre surveillans  et vengeurs  
 des  crimes  des  hommes.  Ce  nouveau  
 ressort,  qu’avoit  inventé  3a  pohTîque ,  
 il consent  qu’on  l’emploie,  comme un  
 remède  extrême  contré  ceux  que  m 
 l’éducation,  ni  la  philosophie,  ni  les,  
 peines  portées  par  les  Loix,  rie  pourvoient  
 retenir;  c’est-à-dire,  qu’il  le  
 regarde comme  le  remède réservé  à un  
 malade  désespéré,  et  qui  quelquefois  
 pourra  réussir.  Il  permet  qu’on  fasse  
 valoir  ces  fictions  poétiques,  sur  les  
 vengeances qu’ont  souvent  exercées les  
 Dieux contre dès  hommes  ou  des  peuples  
 coupables ;  et  qu’on  leur  présente  
 l ’image des enfers  et  des supplices,  qui  
 y  sont  réservés  aux  criminels.  Il  convient, 
  que  ce sont des mensonges ; mais  
 il soutient, que  le  mensonge  peut  être  
 employé pour retenir  ceux  qui ne peuvent  
 être  retenus  par  la  vérité;  c’est-  
 à-dire ,  qu’il  veut  que  les  idées  religieuses  
 viennent  à  l’appui  des  moyens  
 politiques,tirés de l ’éducation et des loix;  
 et  que le  mensonge  soit  appelé  au  secours  
 de  la  vérité,  quand  elle  est  trop  
 foible  pour  faire  triompher  la  raison.  
 Cette  maxime  est  la  même  que  celle  
 de ces Philosophes,  dont parle Cicéron ,  
 qui ne  donnoient  à  la Religion  d’autre  
 origine , que  le  besoin  de conduire  les  
 hommes  par  l’opiniori,  quand  on  ne  
 pouvoit  les  conduire par la raison. 
 cc  Les  opinions  religieuses,  disoient  
 »  ces  Philosophes  ( 1  ) ,  ont  été  toutes  
 »  imaginées par les Sages , pour le bien  
 33  des  sociétés ,  afin  de, conduire  par  
 33  ce  moyen  ceux  que  la  raison  ne  
 >3  pouvoit rappeler  au devoir 33.  C’étoit  
 une  grande vérité  destructive  de  toutes  
 les  Religions,  comme  l’observe  très-  
 bien un des  interlocuteurs du  Dialogue  
 de  Cicéron,  sur  la  nature  des  Dieux ;  
 mais  ce  n’en  étoit  pas  moins  une  vérité  
 incontestable, sur-tout dans le  sens  
 qu’ils l’entendoient ;  c’est-à-dire,  pour  
 la partie  qui  la  lie  à  la morale  et  aux  
 loix ( e ) ,  par  la  crainte  des  châtimens  
 et  l ’espoir  des  récompenses, que  l’on  
 doit  attendre  des  Dieux.  C’est  ce  
 dernier  ressort,  dont Timée  de Loeres  
 sent  toute l ’utilité,  quoi  qu’il  en  avoue  
 la  fausseté.  De  ce  genre  étoit,  sans 
 (1)  Cicer.  de Nat. Deor.  !.  1 ,  c.  41, 
 doute, la fiction Egyptienne de la chùte  
 de  l’Atlantide,  suite  des  désordres  de ^  
 ses  habitans 5  de  la  submersion  de  
 l’Univers au temps  de Deucalion,  pour  
 punir  les  crimes du genre-humain  ;  des  
 destructions  périodiques  de  l’Univers,  
 lorsque  la  vertu  se  seroit  totalement  
 altérée ,  ,et  lorsque  le  vice  seroit  parvenu  
 à  son  comble ;  de  la  fable  du  
 Tartare  et  de  l’Elysée ,  dans  lesquels  
 passoient les aines  après la mort,  pour  
 y subir  un jugement et  recevoir la punition  
 de leurs  crimes ,  ou la récompense  
 de  leurs  vertus  ;  ou  enfin dans  une espèce  
 de Purgatoire,où par des expiations  
 douloureuses elles purifioient leurs souillures. 
  Toutes ces fictions étoient sorties de  
 l’obscurité  des  sanctuaires,  et  les  Philosophes  
 ,  les Poètes  et les Mystagogues  
 cherchèrent à les  accréditer , pour  intimider  
 les  hommes  incapables  de  s’élever  
 jusqu’à la vérité  des principes,  sur  
 lesquels  la  Nature  a  posé  les  bases  de  
 la  justice*et de  la morale  ( f ) .   « Quant  
 33  à  celui  qui  est  indocile  et  rebelle  à  
 33  la sagesse,  continue  Timée ,  que  les  
 33  punitions dont  le menacent  les  loix, 
 33  tombent  sur  lui_;  et  même  qu’on  
 33  l’effraie  par  les  terreurs  religieuses  
 »  qu impriment  ces  discours,  où  l’on  
 33  peint  la  vengeance  qu’exercent  les  
 »  Dieux  célestes,  et  les  supplices  iné-  
 33  vitables, qui  sont  réservés  aux  cou-  
 33  pables  dans  les  enfers ,  et  les  autres  
 »  fictions, que le Poète d’Ionie a ramas-  
 33  sées ,  d’après  les  anciennes opinions  
 33  sacrées.  Car, comme  on  guérit  quel-  
 33 ‘quefois  le  corps  par  des  poisons,  
 33  quand  le  mal  ne  cède  pas  à  des  re-  
 33  mèdes plus  sains ;  on contient  égale-  
 33  ment  les  esprits  par  des mensonges,  
 3>  lorsqu’on  ne  peut les  retenir  par  la  
 33  vérité.  Qu’on  y  joigne  même  ,  s’il  
 33  est  nécessaire,  la  terreur  de  ces  
 3> ' dogmes étrangers,  qui  font passer les  
 3»  âmes  des  hommes  mous  et  timides  
 ‘ 33  dans  des corps  de  femmes,  que  leur  
 »  foiblesse expose à l’injure ;  celles des 
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