dessein des Législateurs , si on eût
donné à croire, que ce ne fut que pour
enseigner ce dogme, qu’eût été établie
l ’initiation. C’eût été un sûr moyen de détruire
l’illusion des fantômes mystiques,
que d’en marquer trop visiblement le
but. Du temps de Cicéron , il n’y avoit
personne, pas même les vieilles femmes,
qui crussent aux fables des enfers, à
l ’Achéron (1) , aux sombres demeures
de l’Enfer, à ces lieux affreux que couvrent
d’éternelles ténèbres. La lumière
de la raison avoit déj à fait évanouir ces
fantômes , qui avoient pris naissance
dans l’obscurité des sanctuaires. César
parle ouvertement „ en plein Sénat, de
l ’état de l’homme après la mort: là ,
dit-il , finissent toutes nos peines (z).
Et Caton, qui relève son opinion, n’ose
défendre la fable des Enfers , quoiqu’il
semble ne pas la désapprouver. 11 par-
loit à des nommes instruits , et c’étoit
pour le peuple que ces figures furent
imaginées. On crut, que le moyen le
plus sûr de l’instruire, c’étoit de lui
cacher le but de l'instruction, comme
on fit dans l’apologue et dans les fables.
On a l’air de ne débiter qu’un conte, et
c’est de la morale que l’on enseigne.
On cache exprès 6on dessein , pour atteindre
plus sûrement son but («). C’est
par une suite du même génie , que les
anciens Législateurs cachèrent, sous l’appareil
d’une cérémonie mystérieuse et
pompeuse , l’intention secrète d accréditer
la fable de l’Elysée et du Tartare ,
qui étoit le principal dogme qu’on y en-
seignoit, et qu’on impnmoit dans l’esprit
, par la force qu’a le prestige sur
les sens et sur l’imagination. C’étoit
aussi dans cette vue , et à cette occasion
, que l’on découvroit l’origine de
l’ame , sa chûte sur la terre à travers les
Sphères et les élémens , et son retour-
au lieu de son origine, lorsque, dans son
union à la matière terrestre, le feu sacré
{,1) Cicer. Tuscul. I. i , c. z i.
(2) SalList. Cacilin.
(;) Nonnus Scbol. ad Greg. Nanz. Orat. 3 ;
p. 1.30— 143.
qui formoit son essence , n’avoit point
contracté de souillures,etne s’étoit point
chargé de particules étrangères qui, en
le dénaturant, l’appesantissaient et re-
tardoient ce retour. C’étoit ici la partie
la plus métaphysique , et que ne pou-
voit guère entendre le commun des Initiés
, mais dont on lui donnoit le spectacle
par des figures et des spectres allé-
goriques : car il n’est point d idée si
abstraite , qu’on n’ait cherché à faire
naître , et à rendre par des images sensibles.
Ce que le secret avoit de piquant le
devenoit davantage encore , par les difficultés
de l’obtenir ; les obstacles et
l’attente redoubloient la curiosité. -Tout
le monde connoît les épreuves, que l’on
faisoit subir aux aspirans à l’initiation
du Soleil, chez les Perses , ou aux mystères
de Mithra. On commençoit par
des épreuves légères , et on arrivoit graduellement
aux épreuves les plus cruelles
(3) , dans lesquelles la vie du Récipiendaire
étoit souvent exposée. Grégoire
de Nazianze (4) les appelle des tortures
et des supplices mystiques. On ne pou-
voit, dit Suidas , y être initie, qu’après
avoir prouvé , par des épreuves les plus
terribles f cju/on a.voit une ame ver-
tueuse et hors de l’atteinte de toute passion
; en quelque sorte impassible (é).
On en comptoit douze prin cipales ;
d’autres en portent le nombre plus loin
(5) : nous n’entrerons pas dans lé détail
de Ges supplices religieux. Les épreuves
de l’initiation E'ensiniennen’étoient
pas aussi red outa Lies ; mais il y en avoit ;
et l’attente sur-tout, dans laquelle on te-
noit quelques années l’aspirant, on 1 intervalle
qu’on mettoit entre l’admission
aux petits mystères «et 1 initiation aux
grands mystères, étoit une .espèce^ de
torture donnée à la curiosité, «p p11
vouloit irriter , comme l’observe tres-
bien Tertullien (6). Ils donnoient ainsi
(4) Greg. Naz. Orat. 1 , in Jul., et in 33, Lum-
(5) Hoslstenii Observât, ad vit. Pyth. p. i°I >
Ed t. finir, fi4’ . 16343. ■ ■
(6) Tertull. Orat. adv. Valent. Initio.
de l’importance à la chose en la faisant
attendre , persuadés que les hommes
prisent toujours beaucoup ce qu’on leur
fait long - temps désirer et acheter bien
cher. C’est ainsi que les prêtres Egyptien s
éprouvèrent Pythagore (1) , avant de
l’admettre à la connoissance des secrets
de la science sacrée. Il obtint, par son
incroyable patience, et par le courage
avec lequel il surmonta tous les obstacles
, d’être admis à leur société , et de
recevoir d’eux des leçons. Les Philosophes
et les Sophistes imitèrent dans la
suite les Mystagogues ; ils firent désirer
la science, afin d’y attacher davantage ,
et d’éprouver si l ’aspirant étoit digne
de la recevoir. Il n’y sut pas jusqu’aux
Astrologues , qui ne jetassent le voile du
mystère sur leurs merveilleux secrets ,
comme on peut le voir à la fin du
Traité de Firrnicus. Ils tâchoient de distinguer
ceux qui seroient dignes de recevoir
leurs leçons. Firrnicus rappelle
l’exemple d’Orphée, de Platon,, et de
tous les Sages, qui avoient touj ours craint
de confier leur doctrine au vulgaire (2) ,
etquiavoient fait choix de leurs disciples.
Les Cénobites (3) faisoient coucher
à la porte de leurs monastères, pendant
plusieurs jours , ceux qui vouloient être
admis à leur société, et ils imaginèrent des
noviciats , durant lesquels on éprouvoit
la sincérité du désir et la patience de
l’Aspirant. Tous les ordres Ascétiques
empruntèrent cette institution des Egyptiens.
Chez les Juifs, les Esséniens n’aa-
mettoient dans leur société les nouveaux
Candidats , qu’après qu’ils avoient passé
par plusieurs épreuves graduées (4). En
général,toutes les associationsreligieuses
ont admis des épreuves,avant de recevoir
de nouveaux membres, et la nécessité
du choix n’en fut pas la seule cause ;
on voulut encore éprouver et fortifier le
désir , qui s’irrite naturellement par la
résistance, et ne devient que plus ar-
(1} Porph. vit Pyth. p. 3.
(2) Firjii. 1, y , in Præf.
N I V Ë R S E L L E.
dent. Cette connoissance, que les anciens
cliefs d’initiation avoient du coeur de
l’homme, fut une des principales caus:s
qui firent exiger des épreuves et différer
quelque temps d’ouvrir lès portes du
sanctuaire , en accumulant devant elles
plusieurs obstacles, et en n’y laissant
pénétrer que graduellement.
La vanité qu’on met à tenir une association
, qui nous place dans une caste
privilégiée par ses espérances , et qui
nous sépare du commun des hommes,
contribua encore à multiplier le nombre
des membres de ces sortes- de confréries.
Le goût pour les initiations se
communiqua de proche en pioche , et se
répandit par toute la terre. On se fit
initier, comme on se fait Francmaçon,
pour satisfaire sa curiosité et sa vanité
tout ensemble. On n’avoit que des concitoyens
; on vouloit avoir des frères,
et resserrer les liens du civisme par un
lien plus étroit, par celui de la fraternité
religieuse qui, rapprochant les hommes,
les unissoit plus fortement entre eux»
Le foible et le pauvre même pou-
voient espérer plùs aisément des secours
de l’homme puissant et opulent,- avec
le'quel l’association religieuse lui don-
noit des rapports plus directs. C’est
même cet espoir qui, parmi nous, a
fait faire une assez grande fortune à la
Francmaçonnerie ; on donnoit à croire ,
que les franemaçons se faisoient un devoir
de s’entre-aider, et quele malheureux
trouvoit des secours dans ses frères. Je-
ne doute point que cette espérance
n’ait quelquefois été employée dans
certaines sectes, pour les accréditer. On
peut même dire, que c’est une des principales
sources de la grande fortune,
qu’a faite l’initiation des Chrétiens.
A tous ces moyens , que les Chefs
des institutions religieuses , connues
sous le nom d’initiations et de mystères ,
(3) Jsannes Cats. 1. 4 , Instit. c. J.
(4) Porghyr. 1. 4 , de Àfejtû. R a