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que les vrais philosophes (1), qui ont
su se soustraire au tourbillon des affaires,
le juge leur témoignoit son estime , et
les envoyoit aux îles Fortunées, c’est-à-
dire dans l’Elysée. Ce n’étoit pas au hasard
que se donnoient, dit Virgile, les
différentes demeures de l’enfer (2); un
arrêt toujours juste en Faisoit le partage.
Minos , assis sur son tribunal, convo-
quoit l ’assemblée des ombres, et s’in-
formoit de la vie de chacun , et des
crimes qu’il pouvoit avoir commis. Les
morts étoient-conduits à ce redoutable
tribunal , par leur Génie familier ou
Ange Gardien, qui avoitété l'inspecteur
de toute leur conduite (3), et qui ne leur
permettoit d’emporter avec eux que leurs
moeurs et les fruits de leur bonne éducation.
Ce guide leur étoit nécessaire ;
sans cela ils se seroient perdus dans les
routes tortueuses et multipliées, qui for-
moient le long labyrinthe qu’il falloit
parcourir,avant d’arriver au lieu de leur
destination. L ’iiomme vertueux suivoit
son guide sans résistance ; mais celui qui
s’étoit tenu trop fortement attaché aux
biens et aux plaisirs de ce monde, avoit
besoin que son guide lui fît violence et
l ’en arrachât. Quant aux âmes criminelles
et noircies des forfaits les plus
atroces , elles étoient en horreur aux
autres, qui les fuyoient. Personne ne
vouloit les accompagner ni les guider;
ce n’étoit qu’a près avoir erré long-temps,
qu’elles arrivoient au lieu qu’elles dévoient
habiter (4), tandis que l’ame qui
avoit mené une vie pure et sage, mar-
choit sous la conduite et en la compagnie
des Dieux, pour se rendre au séjour
de l’éternelle félicité. Afin de donner
à cette fiction plus de poids , on
supposoit que cette description n’étoit
point imaginée par les Philosophes ou
les Poètes, mais faite d’après le récit et
le témoignage d’un homme mort etresf
i ) Ibid. p. 526,
(2) Æneid. 1. 6, v. 43I.
(3) Phædon , p. 107.
(4) Ibid. p . 108.
(5) Plato de Rep. 1. io> P- é i4>
suscité ; car ces résurrections ont été
souvent imaginées pour accréditer des
fables (5).
Cet homme , ayant été tué dans un
combat, fut porté dans sa maison, et
mis sur le bûcher le douzième jour après
sa mort. Àu moment où on alloit le
brûler, il ressuscita, et raconta ce qu’il
avoit vu aux enfers. Clément d’Alexandrie
(6) fait honneur à Zoroastre de ce
miraculeux récit, qu’il regarde comme
une fiction sur les voyages de l’ame à
travers- lej signes du Zodiaque , dans
son retour vers la lumière Ethérée. On
fait dire à cet homme merveilleux, que
lorsque son ame eut été séparée de son
corps, il s’étoit trouvé voyageant avec
une foule nombreuse de morts, pour
se rendre dans un lieu divin, où il
apperçut deux ouvertures voisines l’une
de l’autre, qui formoient l’entrée d’un
gouffre qui s’enfonçoit sous la terre ; et
deux autres au-dessus, dans le Ciel, qui
leur correspond oient. Dans l’espace qui
séparoit ces différentes ouverture^, sié-
geoient des juges , qui, après avoir informé
sur la conduite de ceux qui pa-
roissoient à leur tribunal, faisoient passer
les justes à leur droite, où se îrou-
voit l’ouverture qui conduisoit aux régions
supérieures du Ciel, après avoir
attaché devant eux la sentence qui at-
testoit leur vertu. On appeloit ce lieu divin
, où se rêunissoient les âmes pour
être jugées, le Champ de la Vérité {p)',
sans doute parce que toute vérité y étoit
révélée, et qu’aucun crime n’échappoit
à la connoissance et à la justice du
Juge. Jean ( 8 ) nous montre le Ciel
qui s’ouvre, et un Génie lumineux qui
s’appeloit fidèle et véritable ; c’est
le Verbe de Dieu qui juge. Hieroclès (9)
parle aussi du fameux Champ de la
vérité. C’est dans ce champ, dit l’auteur
(6J Clem. Alex. Strom. 1. 3 , p. 593.
(7) Axioe. p. 371.
(8) Apocal. c. 19 , v. 11.
(9) Hierocl. p. 360. . , ; .
R E L I G I O N U
d’Axiochus , que siègent les juges
Minos et Rhadamante , qui informent
contre chacun des morts qui
y arrivent , pour savoir quel genre
de vie ils ont mené, quels ont été rieurs
goûts, tant qu’ils ont été unis au corps.
Là il est impossible de mentir : c’est ce
qu’observe pareillement Virgile ( i ) ,
lorsqu’il nous dit que Rhadamante les
force d’avouer les crimes qu’ils ont
commis sur la terre, et dont ils s’é-
toient flattés d’avoir dérobé aux autres
mortels la connoissance. C’est l’idée
des Chrétiens , qui supposent qu’au
jour du jugement , toutes les consciences
seront dévoilées, et tout mis au
grand jour. C’est ce qui arrivoit à ceux
qui comparoissoient devant le tribunal
établi dans le Champ de la Vérité. Ceux
qui avoient été dociles aux avis 4e leur
Ange Gardien, ou du bon Ange, alloient
$e réunir au choeur des fidèles, ou des
âmes vertueuses (2) ; car, comme l’ob-
sërve très-bien Servins ( 3 ), chacun en
naissant entroit au monde accompagné
de deux Génies (4), dont l ’un lui eon-
seilloit le mal,,et l’autre lui conseilloit
le bien. I ls f toient pendant sa vie les témoins
de toute sa conduite, et après la
mort, ils le faisoient passer à un état
plus heureux ou plus meflheureux. Les
coupables de grands crimes, conduits
par le mauvais Génie , pasSoient à la
gauche, etc. Dans Lucien, c’est l’ombre
que nos corps projettent, et qui nous
accompagne toute notre vie , qui renferme
l’intelligence , qui vient rendre
compte de notre conduite au tribunal
du grand Juge(5). Ils passoient à la gauche
pour prendre la route qui descendoit
dans les abîmes de la terre, portant
derrière eux la sentence qui contenoit
l’énumération de leurs crimes. Il me
semble encore ici voir le Dieu des Chrétiens
, qui, au jugement universel, fait
passer les bons ou les agneaux à sa
(1) AEneid. 1. 9, v. 367.'
(2) Axiochus, p, 371.
(3) Connu. Æneid. 1. 6 , v. 535.
(4) Plat, de Rep. 10 ) p. $20.
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droite , et les méchans ou les boucs à sa
gauche. Nos écrivains Chrétiens , ou les
auteurs de la triste légende de. Christ,
n’ont été que de misérables plagiaires. Les
juges, dit l’auteur de cet apologue (6),
lui ordonnèrent de bien observer tout ce
qui se passoit, parce qu’il devoit retourner
sur la terre , et informer les vivans
de ce qui se pratiquoit chez les morts.
Il remarqua donc des âmes, qui s’en alloient
par les deux ouvertures , tant par
celles du Cie l, que par celles de la
terre, aussi-tôt qu’elles avoient subi le
jugement. Far une des ouvertures de la
terre, arrivoient les âmes qui venoient
pour être jugées ; et par l’autre, celles
qui avoient été condamnées rentroient
dans les abîmes profonds de la terre.
Par une des ouvertures du Ciel, les âmes
des justes remontaient vers le séjour de
la lumière et’ de la félicité éternelle ;et
par l’autre elles en descendoient pour
animer des corps. Celles qui montaient
de la terre paroissoient sales et poudreuses
; celles au contraire, qui descen-
doient du Ciel, étoient blanches et lumineuses.
Comme elles arrivoient des deux
côtés en foule au rendez-vous, elles
avoient l’air d’être fatiguées d’un long
voyage, et d’avoir besoin de se reposer
dans la prairie, qui se trouvoit placée au
milieu de leur route. L à , celles qui s’étalent
autrefois connues s’embrassoient,
et toutes, tant çelles qui montaient de
la terre , que celles qui descendoient du
Ciel , s’informoient de l ’état de celles
de leur connoissance, qui y étoient encore
restées, et chacune s’empressoit de
satisfaire à ces questions par ses réponses.
Les unes , celles qui arrivoient
de la terre, plongées encore dans la
douleur, et tout eplorées, racontaient
les maux qu’elles avoient éprouvés, et
dont elles avoient été témoins, dans le
pénible voyage qu’elles avoient fait sous
la terre (7), etce voyage n’étoit pas moins
(5) Lucian. Neeyomantia. 1 . 1 , p. J08.
(6) Plat, de Rep. 1. 10, p. 614.
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