mêmes de nos injustices, nous fournirons
de quoi faire les offrandes qui
appaisent leur courroux. Ce raisonnement
n’a été malheureusement que tr op
de fois fa it, par des hommes avides, qui
se sont crus libres envers la Divinité,
en partageant avec ses Prêtres les dépouilles
des malheureux, et qui ont perpétué
le souvenir de leurs forfaits parmi
les hommes, par des dotations pieuses,
qu’ils croyoient propres à les faire oublier
aux Dieux , qui en dévoient
être les vengeurs.
On persuada, dit Platon ( 1 ) , non-
seulement à des particuliers , mais, à
des villes entières, qu’il y a des moyens
de se purifier de l’injustice, et de s’affranchir
des suites qu elle pourroit avoir;
et cela , par des sacrifices , des spectacles
et des fêtes; que la Religion offre
ces ressources aux vivans et aux morts ,
dans ce que nous appelons initiations ,
ou telètes , qui délivrent des maux,
que sans cela on éprouverait après la
mort, et qu’éprouvent tous ceux qui
auront négligé de faire ces sortes de
sacrifices. On conçoit combien cette
crainte du Purgatoire, dont l’initiation
affrancbissoit, dut mettre en vogue
les initiations , et rapporter d’argent
aux Prêtres. C ar, si originairement les
initiations furent gratuites, elles finirent
dans la suite par être payées, d’après
une loi proposée par Aristogiton. Les
Métagyrtes, les Prêtres d’Isis ( 2 ) , les
Orphéotélestes , et tous ces mendians,
qui promettoient les faveurs de l ’Elysée
et les indulgences, qui sauvoient du
fatal bourbier, se faisoient payer du
petit peuple. 11 étoit bien juste en effet
, que si les Prêtres s’étoient prêtés
à la fiction du Tartare.et de l’Elysée,
qui étoit toute entière en faveur de la
législation, et ne pouvoit rien rapporter
aux Prêtres , on leur accordât la
permission d’imaginer celle du Purgatoire
, qui tournerait toute entière à leur
profit. Dès qu’on pouvoit se racheter
( i j Ibid. p. 364-
de ses peines , il ne manqua plus de
gens timides et crédules , qui payèrent
pour s'en faire délivrer. Leur ministère
étoit superflu pour ceux vqui étoient
assez purs pour prétendre à l’Elysée, ou
qui en étoient déjà en possession. Il
etoit également inutile à ceux qui ,
coupables des plus grands crimes, etoient
condamnés par les juges à rester éternellement
dans le Tartare. Mais il ne
l’étoit pas pour ceux, qui avoient espérance
d’arriver à l ’E lysée, et qui
avoient besoin d’obtenir le pardon de
leurs fautes, de la part de ceux qu ils
avoient offensés.La première fable etoitle
secret de.s législateurs ; la seconde fut le
secret des Prêtres. Voici comme ils raisonnèrent.
Qui condamne aux peines du
Purgatoire? Dieu. Pourquoi condanme-
t-il ? Pour expier de* iautes. Qui est
offensé par ces fautes ? Dieu.
Donc c’est lui qu’il faut fléchir, d apres
le dogme Mystagogique, qui suppose
que celui qui est détenu pour un temps
dans les prisons souterraines, n’en peut
sortir, qu’autant qu'il a obtenu sa grâce
d e l’ofïènsé. Mais si c’est lui qu’il faut fléchir
. quile peut mieux que ses ministres,
qui sont les dépositaires de sa puissance,
de ses secrets, qui ont toute sa Confiance
, et qui sont chargés par état
de lui adresser pour nous des prières, et
d’en obtenir des grâces ? Ce furent donc
eux qui se chargèrent de prier , et
leurs prières parurent plus puissantes,
que celles de ces malheureux coupables,
frappés encore d» la justice divine,ou que
celles de leurs parens , peut-être aussi
coupables qu’eux. A nous seuls, dirent
les Prêtres, il appartient de lever des
mains pures et innocentes vers le Ciel,
et de sacrifier sur ses autels la victime
sans tache, qui doit effacer tous les
péchés. Nous consentons volontiers à
adresser pour vous nos prières, ahn
d’abréger la durée,et d’adoucir la rigueur
du supplice. Mais la chose vaut bien
la peme d’être payée. Vos biens vous
Ça) Apsin. de Art. Rhet. p. 635. Ed. Aid. Ma nul.
deviendront inutiles après la mort ; vous
n’emporterez -point avec vous vos richesses
; disposez-en par testament en
notre faveur ; et nous nous chargeons
de prier pour vous. Tous ceux qui nous
remplaceront, et entre les mains desquels
ces Liens passeront dans la suite des
siècles , s’acquitteront du même devoir ;
et quelle que soit la durée de votre séjour
dans le Purgatoire, il y aura toujours
pour vous sur la terre des sacrifices,
et des prières adressées à la Divinité,
pour appaiser sa justice, et abréger
vos souffrances. Vos biens , qui seraient
perdus pour vous à la mort, vont continuer
de vous être utiles, et serviront
à faire oublier les crimes, qui vous les
ont procurés, ou qui en ont accompagné
la jouissance. En nous les donnant
, vous les sanctifiez, et Dieu vous
tiendra compte des offrandes faites à
ses Prêtres et à son Eglise.
Le calcul étoit simple, et le marché
se concluoit aisément, entre le Prêtre
imposteur, armé des terreurs de l ’en-
fër, et fort de l ’ascendant d’un ministère
sacré, et le malheureux moribond,
dont l’ame. crédule et tourmentée de
remords, alloit paraître devant le tribunal
redoutable du grand Juge, entre
les mains duquel on enseignoit qu’il
étoit terrible de tomber.
Ainsi les Prêtres et les Eglises s’enri-
ebissoient ; les dotations pieuses, les institutions
monastiques se multiplioient
aux dépens des familles dépouillées par
la pieuse imbécillité d’un parent, et
par la religieuse friponnerie des Prêtres
et des Moines. Par-tout l ’oisiveté monacale
s’engraissa de la substance des
Peuples; et l ’Eglise, si pauvre dans son
origine , en créant des assignats sur
les biens du Paradis, acquit sur la terre
ces immenses possessions, sur lesquelles
à notre tour, nous venons de créer
des assignats, sauf à leur rendre les
biens célestes, auxquels nous renonçons
et que nous leur rendons, en
reconnoissant le droit de propriété qu’ils
ont dessus, à titre d’inventeurs. Les
choses vont être remises à leur place
naturelle ; les Prêtres reprendront leur
Paradis ; et nous nos prairies, nos forêts
, et nos terres cultivées. Personne
n’aura à se plaindre du mauvais marché
qu’ont fait ses pères. Quelque juste
que paroisse ce retrait, les tyrans de
notre raison ne se sont pas déssaisis
aussi aisément de leurs anciens vols.
Ils ont fait parler la Religion qui con-
damnoit leur luxe insultant, et leurs
débauches honteuses ; et ils l ’ont appelée
au secours des crimes qu’elle proscrit.
Pour se maintenir dans la possession
injuste de ces anciennes usurpà-
tions, ils ont alarmé les âmes foibles
sur les dangers prétendus que courait
la Religion, ou plutôt sur la chute de
leur énorme fortune; ils ont retrouvé
et aiguisé de nouveau les poignards de
la S. Barthéiemi. Ils ont embrasé leur
patrie du feu des guerres civiles , portant
par-tout les torches des Furies, sous
le nom de flambeau de la Religion ; et
plutôt que de consentir à être réduits à
cette médiocrité honnête, qu’onleurpro-
posoit alors, qui, chez tous les peuples,
a toujours été regardée comme la sauvegarde
des vertus, et qui rendit autrefois
leur religion respectable, ils ont
ébranlé toutl’Empire,et l’Univers même,
au risque d’être ensevelis sous ses ruines.'
Tant est terrible la vengeance d’un
Prêtre avide, à qui l ’on ravit le fruit
de plusieurs siècles d’imposture. Tant
le système absurde des Législateurs , qui
se sont associés les.Prêtres, est fatale
aux sociétés, dont ils croyaient faire
le bonheur. La vérité auroit-elle jamais
causé tant de maux ?
C’est donc ici le lieu d’examiner les
avantages et les inconvéniens, qui ont
dû résulter de ces institutions, et de
voir si ce sont les sociétés ou les Prêtres ,
qui y ont lé plus gagné.
L ’imposture de l’initiation, et des
dogmes sur l’Enfer et l’Elysée, si elle
eût été toujours dirigée par des bommes
'éV a