148 RELIGION UNI V ERS E L L E
que de mille ans (n). Celles au contraire
qui descendoient du Ciel, racontoient
les merveilles qu’elles y avoient vues ,
et peignoient la vie délicieuse qu’elles
y avoient menée. Cette fiction Théologique
sur les voyages des âmes , qui du
Ciel descendent sur la terre, et qui ensuite
remontent de la terre vers le Ciel, n’é>-
toit pas particulière aux Philosophes ; on
la mettoit en spectacle dans les Sanctuaires
, et elle faisoit partie des dogmes de
l’Initiation, comme nous le verrons bientôt
dans les mystères de Mithra, dans la
vision d’Apulée , et dans l’Autopsie de
Jean, autrement l’Apocalypse. La fiction
de Platon , ou la révélation de cet
Er de Pamphylie, et celle dé Jean, ou
d’un Hiérophante dePhrygie, avoient le
même but moral, que les apologues du
Phrygien Esope, celui dé former les hommes
au bien et de leur inspirer l’amour de
la vertu et la crainte du, vice. Aussi
voyons-nous que la conclusion ou la
moralité de toutes ces f ables, est qu’il
faut nous préparer à paraître devant le
Grand Juge (o), avec un coeur pur de
toute souillure, comme le conclut Socrate
dans le Gorgias (i) ; car pour l’aine
souillée de- crimes, descendre aux enfers
est' le plus grand des maux, dit Socrate.
C’est la même moralité que tiré
Platon, dans sa fable de Er , dont il
déduit cette conséquence (2), qu’il faut
s’attacher à la justice et à la sagesse,
afin de pouvoir un jour tenir cette route
élevée , qui conduit vers les Cieux , et
éviter la plupart des maux auxquels
l ’ameest exposée, dan s le voyage souterrain
de mille ans (3). C’esteneore la même
moralité,que Socratetire dans le Phédon ;
qu’on doit chercher ici bas à épurer son
ame des passions , afin d’être prêt à paraître
au moment où le destin nous ap-
pelera aux Enfers. D'où il est aisé d’ap-
percevoir , que cette fiction, siuniversel-
fement répandue , n’avoit d’autre but 1 2 3
(1) Gorgias, p. 526; p. 322•
(2) Plat, i e Rep. i. t o , p. 621.
(3) Phaed. p. 114.
que celui qui est si évidemment mârqné,
iar la moralité que tiraient tous les Phi-
osophes , à la fin de ces espèces d’apologues
religieux. C’étoit une grande vérité
morale, qu’on cherchoit à inculquer,
sous le voile d’une grande fable , et par
l’appareil d’un grand spectacle, tel que
celui des fantômes mystiques , que l’on
faisoit paroître dans les sanctuaires, On
cherchoit aussi à rassurer l’homme contre
les horreurs de la mort, et contre l’idée
effrayante d'un anéantissement total.
La mort n’étoit plus qu’un passage à
un étatplns heureux, comme le dit l’auteur
du Dialogue intitulé Axiochus (4).
Mais il falloit avoir bien vécu, ajoute cet
auteur, pour pouvoir atteindre à cette
félicité. Ainsi la fiction de l’immortalité
de l’ame n’étoit consolante que pour
l’homme vertueux et religieux 3 elle
étoit désespérante pour les autres. Elle
entourait l’homme de terreurs et d’alarmes
, qui troubloient son repos pendant
tonte sa vie. En effet, rien n’étoit
si horrible , que la description que l’on
faisoit des cachots de l’enfer et des dif-
férens genres de supplices, qu’y éprou-
voient les coupables ; comme si l’homme
eût été encore plus habile à imaginer
des maux , qu’il ne l’est à raffiner sur le
plaisir. L ’imagination des Poètes a été
encore plus féconde , dans le tableau
qu’elle nous fait des enfers , que dans
ceux qu’elle a faits de l’Elysée. En quittant
le champ , où siège le redoutable
Juge (5) , le malheureux condamné passe
à gauche , pour descendre au Tar-
tare. Le premier objet qui s’offre à
lui, est une énorme bastille entourée
d’un triple mur, que le Phlégéton environne
de ses ondes enflammées, dans
laquelle il roule avec bruit des débris de
rochers brûlans. En face se présente une
immense porte, encadrée ' dans des co-
lonnes d’un métal si dur , qu’aucune
force, pas même celle des Dieux, ne
(4) Plat. t. 3, p. 572.
(5) Virgil. At'ilcid. 6 , v. 549.
R E L I G I O N U
saurait la détruire;elle est flan quée d’une
tour de fer qui s’élève très-haut. A l’entrée
est : assise l'affreuse Tisiphone ,
couverte d’une robe ensanglantée, et qui
nuit et jour veille à la garde de cette
porte. Lorsqu’on approche de cet horrible
séjour , l’on entend les. coups de
fouets , qui déchirent le-corps dès mal>-
heureux ; leurs ' gémissemens* plMfflïrs j
qui se mêlent au bruit des chaînes qu’ils
traînen t. A peine le juge sévère lés a livrés
aux Furies, que Tisiphone s’en saisit;
et armée d’un fouet et dé SerpenS
affreux, elleappeile ses soeurs , ministres
cruelles de ces terribles vengeances. Dès
que ces portes de fer, roulant avec nn
bruit horrible sur leurs gonds, viennent
à s’entr’ouvrir , on découvre l’affreux
abîme, qui renferme lès malheureux, que
la vengeance divine a livrés aux plus, ri'-*
goureux supplices. On y: voit une Hydre
effrayante par ses cent têtes, toujours
prêtes à dévorer des victimes. L’abîme ,
qu’on nomme Tartare, s’enfonce sous
la terre , ' à une profondeur double de
celle qui sépare la terre eïlé-fnême des
Cieux. Là furent précipités par la f ondre
les anciens enfans de la terre, les Géans
àpieds de serpent, qui s’agitefit.en tout
sens au fond de cet abîme. Cëtte fiction
a été répétée par l’auteur de l'Apocalypse
(1), qui nous peint un Ange qui
N I y E R S E L L E. , 49
et le manque de respect pour les Dieux,
sont lés premiers'crimes punis aux Enfers.
enchaîne au fond de l’abîme antiiiuum
Serpentem , l’ancien serpent , sou le
Diable, celui qùi avoit fait la guerre à
Dieu, comme les Géans à Jupiter. ù 1
Avec eux étoient les fils d’Àlêeüs, fils
de Titan et de la Terre , ' qui, pleins de
confiance en leur taille gigantesque ,
essayèrent de livrer un assaut au Ciel;’
et de détrôner le Roi des Dieux {»•). On
y voyoit l’impie Sahnonée, qui'chercha
a usurper les honneurs*de• Jaf Divinité ,
et qui trompbit les peuples de f Elîde; en
imitant les éclairs et le'bruit de la foudre1.
Jupiter, indigné de .cet attentat,- s’étoit:
arrné-d’une véritable fousüréV èt l'avoit
précipité dans le Tartare. Ainsi l’impiété,
( 0 Apec. c..20, v. 2— 3.
Cela clevoit être ainsi; il falloit
bien que l’irréligion fût cruellement punie,
si on vouloit inspirer du respect
pour les fictions ou fables sacréés. L’impudique"
Titye , ; qui attenta à l’honneur
de Latone , ou de là Vierge mère du
Soleil, y CouVre de son immense corps
neuf arpens de terre ; un cruel vautour
'S’attache à ses entrailles qu’il déchire,
et qui renaissent à chaque instant pour
éterniser son. supplice. Ici dès malheureux
sont effrayés dé. la tué d’un rocher
qui,- suspendu sur leur tête, paraît toujours
prêt à se détachery et à les écraser
par sa chute. D’autrës roulent avec effort
un rocher jusqu’au sommet d’une
montagne, que jamais ils ne peuvent atteindre;
paréehqu’au moment d’y toucher
le rocher leur échappe, et roulant
jusqu'au bas, il les oblige à recommencer
un nouveau travail, qui sera aussi inutile
que; le premier. C’est le supplice de
Sisyphe , fameux par ses brigandages.
Là Ixicm est attaché sur une roue, qui
tourne-Sans cessé, sans qu’il puisse espérer'de
repos à Sa douteur. Tel autre
est condamné à être éternellement assis
sur une pierre. Plus loin, on voit Tantale,
dévoré d’une faim et d’unesoif éternelles,
quoiqu’au milieu des eaux , et
qu’un arbre'chargé'de fruits se courbe
sur sa tête. Au moment où il veut boire ,
l’onde s’échappe de ses lèvres, ét il ne
trouve que le limon. Etend-il Sa main
pour saisir un fruit ? la branche perfide
aussitôt se relève, pour s’abaisser ensuite
et irriter encore sa.faim. Ailleurs ,
chiquante filles coupables sont condamnées
à rémplir uri tonneau percé
de mille trous, et dôht l’eau s’échappe
de toutes parts; d’autres’ étoient condamnées
à porter de l’eau dans un
crible. Tous étoient perpétuellement
tourmêntésparles Euriës,quî sëcouoîent
sur eux- leurs flambeaux (2)7 et qüi' ïès
frappant avec leurs Serpens rendpient
(2) Axioc. p. 372.