rans féroces, tels qu’Ardiée de Pam-
phylie (1), qui avoit massacré son père,
-vieillard le plus respectable, un frère
aîné, et qui s’étoît souillé d’une foule d’au-
très crimes. Ily mettous ceux quis’étoient
rendus coupables de quelqu’injustice,envers
qui que ce fût, qui ayoient été
cause de plusieurs meurtres, en trahissant
ou des villes ou des camps, en précipitant
leurs concitoyens dans la servitude
, ou qui avoient été ou les àuteurs
ou les complices de semblables forfaits.
Chacun de ces crimes étoit puni séparément,
et toujours dans une propor-
tioii décuple. Les punitions étoient
les plus rigoureuses envers ceux qui
s’étoient rendus coupables d’impiété envers
les Dieux, de parricide envers leurs
parens, et qui avoient souillé leurs mains,
par des meurtres. C’étoient là ces morts,
que dès Génies malfaisans , 'sous des
formes affreuses, saisissoient, lioient,
garrotoient, précipitaient violemment
contre terre , écorchoient , et déchiraient
avec des instrumèns hérissés de
pointes de fer , en publiant à haute
voix la nature des crimes qui leur avoient
mérité çes supplices.
La richesse même étoit uneespèce de
crime , contre lequel, dit Menippe dans .
Lucien (a), les Juges des Enfers avoient
prononcé de rigoureuses peines. parce
que le riche ordinairement est un homme
injuste, qui vit des fruits da la violence
et du brigandage, et qui insulte à la
misère du pauvre. Le même anathème
a été prononcé contre la richesse ,' par
le compilateur qui a composé le Coda
Moral des Chrétiens , ou l’Evangile.
Virgile met également au nombre des
coupables punis aux Enfers, les riches
qui n’ont pas secouru les malheureux ,
et qui ont gardé pour eux seuls leurs
richesses (3).
Ainsi, continue Menippe, ceux à qui
(i) Plat, de Rep. 1. 10, p. ÇiJ,
(*) Necyomatit, p. 317, t. 1.
(.3) .ARneid. 6, v. 62e.
(4) Luçian. ibid. p. 307.
la puissance elles richesses ont inspiré un
fol orgueil, au point de se faire presque
adorer par les autres hommes, sont envoyés
au Tartare par ordre de Minos (4).
On y voit des rois , des satrapes, des
riches orgueilleux, confondus avec des
esclaves et des pauvres, et livrés aux
plus cruels supplices, devenir la proie
de la Chimère et du Cerbère, qui les
déchirent. On y voit conduire au tribunal
du grand Juge (3), chargés de
fers, les adultères, les 'débauchés, les
calomniateurs, les lâches flatteurs, les
usuriers, etc:
On y punissoit les' sacrilèges (6) , les
meurtriers, tous ceux qui étoient coupables
de grandesin justices, ou de crimes
incurables, et dont la vie n’avoit été
qu’une suite de forfaits. L ’abus du pouvoir
suprême,: la tyrannie et l’injustice
des hommes puissans , y étoient sur-tout
punis des plus rigoureux supplices (7).
Le crime, dans quelque rang qu’il fût
commis , n’échappoit point à la justice
des Enfers. Ainsi les rois et leurs sujets
(8), contenus par la crainte, étoient
forcés de se renfermer dans les bornes
de la j ustice, et de respecter l’empire des
lois, que la Nature et la raison ont établies
comme base de toutes les sociétés.
Il résulte de tout ceci, que l ’initiation
ou le dogme des récompenses, et des
peines, qu’on enseignoit aux initiés chez
les Grecs, ne prononçoit de peines, que
contre les crimes qui blessent l ’humanité
, et qni nuisent au bien général des
sociétés, c’est-à-dire qu’il ne condamnoit
que ce que la Nature , la justice, et de
bonnes lois dans tout pays doivent condamner.
Cette institution étoit à cet égard
sage , puisqu’elle ne sortoit point des bornes
d’une bonne législation, et ne créoit
pûint des crimes, pour avoir le plaisir de
les punir. Si elle punissoit l ’irréligion et
l ’incrédulité à ces dogmes, c’est que la re-
(3) Ibid. p. 308.
(6) Phædon. p. 113.
(7) Axioch, p. 371.
(8) Gorgias, p. 515.
ligioil é tan t la base de la législation,
c ’étoit lui ôter son plus grand appui, et
conséquemment nuire à la société, que
de détruire ou d’attaquer des opinions ,
que l’on croyoit être le plus sûr lien de
l’ordre social. Dès-là que les Législateurs
avoient cru utile d ’employer rillusion
et le prestige, ils dévoient proscrire
tout ce qui tendoit à lé faire évanouir.
Aussi avons-nous vu que l’on enseignoit
au peuple, que le grand crime de Sisyphe
étoit de n’avoir point fait assez de
cas des mystères d’Eleusis (1) ycelui de
Salmonée, d’avoir voulu rivaliser avec
Jupiter, et imiter sa foudre. On peut
dire en un mot,qu’aucune action n’étoit
, punie dans le Tartare , que celle qui
etoit punissable dans un Etat bien constitué
, et que Minos aux Enfers punissoit
les Crimes, qu’il avoit autrefois punis
sur la terre , d’après les sages lois'des
Cretois.
Il en fut de même dans la fiction de
l’Elysée, où l ’on rie récompensa que de
véritables vertus, èt des services importons
rendus à la société. Virgile (2) place
dans l’Blysée les braves défenseurs de la
patrie, qui sont morts, on qui ont été
blessés en combattant pour elle ; les
prêtres qui , par la pureté de leurs
moeurs,ont justifié l’excellencedes vertus
dont ils donnoient la leçon , et qui ont
soutenu toute la dignité du Sacerdoce.
On y voit aussi les inventeurs des arts, les
auteurs des découvertes utiles, et en
général tous ceux qui ont bien mérité
dès hommes, et qui ont acquis des droits
au souvenir et à la reconnoissance de
leurs semblables (s). 1
Comme poète, Virgile a aussi ménagé
une petite place pour les poètes, qui
donnent des leçons de vertu , et qui se
rendent dignes des faveurs du Dieu qui
les inspire. Cicéron, en homme d’E ta t ,
<pû aimoit tendrement sa patrie (r ) ,
y donne une place distinguée -à ceux
qui auront signalé leur patriotisme (3) 3
(1) Paasaniai Phoc. 343.
(3) Virgil. ÛEneid, 6 , y. 660.
à ceux qui ont sagement gouverné et
sauvé des Etats, aux amis de la justice,
aux bons fils, aux bons parens et surtout
aux bons citoyens. Les soins qu’on
prend pour sa patrie , dit-il, facilitent à
l’ame son retour vers les Dieux et vers le
Ciel, sa véritable patrie. Une pareille doctrine
étoit bien propre à encourager les
taleris, les vertus et le patriotisme. C’est
l’homme utile à la société, que l ’on ré-
compenseici, etnonpasun moine oisif,
an très-inutile contemplatif.
Dans l’Elysée de Platon (4) , c’est la
bienfaisance , la justice et la religion
qui sont récompensées. Ôn y voirie juste
Aristide; il est du. petit nombre de ceux
qui , revetus d’un grand pouvoir, n’en
ont jamais abusé, et ont administré avec
justice les emplois qui leur ont été confiés.
La piété et sur-tout l’amour de. la
vérité y sont réçompen sés. Comme Virgile
y a marque une place pour les grands
Postes, Cicéron une pour les hommes
d Etat, qui ont défendu ou sauvé la patrie,
Platon en a aussi donné une au philosophe
, qui ne s’ingère point dans l’administration
des affaires et qui vit avec lui-
même , occupé uniquement d’épurer son.
ame des passions, qui s’attache -à la recherche
de la vérité, méprise les biens
qu estiment les autres hommes, et qui
forme son coeur à la vertu (u). C’est l’extension
de cette-idéePlatonicienne, qui a
égaré les hommes, qui, sous prétexte
d’une plus grande perfection ; se sont
isoles dans la société, et ont cru, parune
contemplation oisive, mériter l’Elysée,
que jusques-là on n’avoit promis qu’aux
talens utiles , et à l’exercice des-vertus
de la vie la plus active. On. peut dire,
que Platon et Pythagore , en ce sens ,
furent les chefs de tous les moines
et que le trop grand prix qu’ils attachèrent
à la philosophie et à l’étude des
vérités qui épurent l’aine, a été la source
de l ’erreur, qui a substitué desridicules
à des vertus , et l’égoïsme du solitaire
(3) Cic. Somm Scip. e. 3, c. o.
U) Pht. de Rep. 1. 10, p. 61 j. Gorg. p. 51.