im patriotisme dix citoyen. Mais l’initiation
n’alloit pas originairement jus-
ques-là ; ce fut l ’ouvrage d’une philosophie
raffinée. Cette étude perpétuelle du
philosophe à séparer son aine de la contagion
de son corps, et à s’affranchir
des passions , afin d’être plus libre et
plus léger, au moment de partir pour
l ’autre vie ( i ) , a dégénéré en abstractions
de la vie contemplative, et engendré
toutes les chimères de la mysticité,
le célibat, les jeûnes, les abstinences ,
qui , mortifiant le corps, lui donnent
moins d’action sur l’ame (ur). Ce fut
cette perfection del’amequi,prise favtsse-
inentpourla vertu, fit disparoitre celle-ci,
et mit â sa place cle ridicules pratiques,
auxquelles furent accordées toutes les
faveurs de l ’Elysée. -
Alors commença l’abus de la doctrine
ancienne sur LElysée et le Iartare ,
lorsque des vertus et des crimes factices
lurent substitués aux "vices et aux vertus
-réelles, et que la môraie devenant fausse
ou ridicule , on chercha encore a 1 appuyer
de la religion. Si la religion avoit
contribué à civiliser les nations sauvages
, ie rafhnement cle la religion contribua
à dénaturer les nations erviliSees.
Si par elle les premières sociétés lurent
formées, par elle aussi lurent formées les
institutions les plus anti - sociales ; et
riiomme fut dégradé par la prétendue
perfection, qu’on crut donner au moyen
qu’on employa primitivement pour per-
iection'ner sa nature. Elle avoit tire
riiüiiiine des forêts où il mangeoit le
■ gland ; elle le renvoya dans ces mêmes
forêts pour y vivre de racines. La population
autrefois soufffoit des meurtres ,
que commettait l’homme sauvage ; elle
souffrit encore autant de la vie célibataire
, mise au nombre des vertus, et regardée
comme l’état le plus parfait de
rhoinme. Sous prétexte d’ajouter à sa
raison par une théologie abstraite , on
le dégrada; et l’homme religieux, en
parcourant tous les degrés de la vie con-
( i) l’hæd. p. ic-8 et u f .
teinplative , éprouva ce qüe l'homme
physique éprouve , lorsqu’il a parcouru
tous ceux de sa vie. Il finit par x «omber
dans une espèce d ’enfance, qui tient de
l ’imbécillité', et qui est l ’effet plutôt
de l ’affaissement cl’une m a c h in e q u i
se détruit , que de la foiblesse d’une
machine , qui n’est pas encore suffisam-
ment organisée -.carie délire commence
au point où la raison finit, et.celle-ci
finit, lorsqu’on la cherche dans une perfection
placée hors des bornes que la
Nature lui a données. La religion parut
presqueêtre u tile, tant qu’elle se borna à
fortifier de bonnes lois, et qu’elle ne proposa
des récompenses et des peines,
qu’aux vertus et aux vices , que toute,,
société sage encourage ou punit. Mais
lorsqu’elle prêta son appui à la philosophie
, où plutôt aux chimères de la métaphysique
, à.' une fausse morale , qui
par le silence , la retraite, la contemplation
, croit arriver à cette préséance,
que les anciens accordoient dans l’Elysée
aux vertus sociales, que l’Initiation
avoit consacrées ;- dès-lors les opinions
religieuses, dégradant l ’homme', rétrécirent
son génie, et le rendirent la honte
et le fardeau des sociétés , dont il Revoit
être l’ornement et l’appui. Ainsi les
pythagorièiens, les Platoniciens qui mirent
en vogue cette prétendue perfection
philosophique , qui détache l ’homme du
commerce du monde , nuisirent à la
société, en remplissant son esprit d’idées
fausses,- qui le rendoient plutôt ridicule
que vraiment vertueux. L ’homme social
doit être acif, et leur philosophie en
faisoit un être oisif et étranger à ses
concitoyens.
C’étoit dans les écoles de l ’Egypte et
de i’Üiient, qu’ils avoient puisé ces chimères
philosophiques et ces absurdes
pratiques , par lesquelles on crut affaiblir
1'-union de l'âme à la matière, et la
rendre plus propre à la contemplation
des êtres réels , dont ce monde n’est
qu’une ombre et une foible image. Ou
donna
donna au corps le régime, que l ’on
croyoit le plus favorable à l ’ame ; on
exténua l ’u n , on dégrada l ’autre, pour
une plus grande perfection. On se dépouilla
de tout, même de sa raison, pour
arriver plus sûrement à la contemplation
des êtres incréés, et ce monde ne fut
plus regardé que comme une affreuse
prison, comme une terre d’exil, à laquelle
on chercha à se soustraire, afin d’être
rendu plutôt dans la céleste patrie. On
eut des extases , pendant lesquelles
l ame , sortie en quelque sorte du corps
par ses abstractions , faisoit déjà des
excursions dans l’Empyrée et dans le
Champ de la Vérité , où elle devoit se
fixer un jour, dès que fa mort l ’auroit
affranchie des liens du corps, et lui
auroit rendu l ’usage de ses ailes, que
la glû de la matière terrestre avoit enchaînées
et appesanties. Que de sottises
on crut et on fit, dans le délire d’une
imagination égarée par la métaphysique
et par la mysticité religieuse h Tel
est l’homme ; il perd toujours le bien,
lorsqu’en cherchant le mieux, il sort
au-delà des limites du vrai. L ’empire
cle la raison a des bornes ; celui des
chimères n’en a point. Lorsqu’une fois
on y est entré , l ’homme égaré n’est
plus un homme ; il est plus vil que l ’animal
, à qui la Nature a refusé la raison.
Gar si celui-ci n ’a pas nos con-
noissances, il n’a pas non plus nos
erreurs.
Quel spectacle humiliant pour l ’humanité,
que celui d’un homme fort et
vigoureux, qui vit d’aumônes, plutôt
que des fruits de son travail ; qu i, pouvant
dans les arts et dans le commerce,
mener une vie active, utile
a lui-même et à ses concitoyens, aime
mieux n’être qu’un benêt contemplatif,
a charge à la société, dont il est la
honte et le fardeau ! Otez lui l’opinion
que c’est une vertu , vous le rendez à la
société et .à lui-même. La mysticité a
donc détruit les effets de la Religion pri-
(0 Hist. Ane. t. i , .p. ,46, in-40.
Relig. Univ. Tome II.
mitive; l ’une a voit pu former les liens des
sociétés,l’autre les a rompus; l ’une auroit
pu perfectionner l ’homme , l’autre l ’a
dégradé. Les Sauvages épars dans
leurs forêts, avec leurs femmes et leurs
enfans, se nourrissant des fruits du
chêne ou de la chasse, étoient des
hommes. Les Solitaires de la Thébaïde
n ’en étoient pas ; et l’habitant des forêts
de Germanie est plus respectable
à mes y e u x , que l ’habitant de la ville
d’Oxyrinque , toute peuplée de Moines.
'J’ai pitié du hon Rollin ( i ) , dont
l ’histoire antiphilosophique est si propre
à corrompre la raison de notre jeunesse
, lorsqu’avec l ’abbé' Fleury U
nous fait l ’éloge des vertueux habitans
de cette ville, qui contenoit ving mille
Vierges, et dix mille Moines. Voilà
ce qu’il appelle un prodige de la grâce ,
et l’honneur du Christianisme. Cela peut
être ; mais alors le Christianisme lui-
même sera la honte de l ’humanité. Ce
n’est point là perfectionner les sociétés,
c ’estles détruire pardeux terribles fléaux,
l’oisiveté et le célibat. Eh ! quel Législateur
se seroit jamais avisé de les faire
entrer dans le plan de sa législation,
comme un moyen de perfectionner sa
République , et d’attacher des récompenses
et des distinctions à ces deux
vices anti-sociaux P Qu’on ne dise pas
que ce soit là l ’abus de la religion, et
qu’on ne doive pas décrier un établissement,
parce que des abus s’y sont
glissés. Ce n ’est point un abus dans
les principes de la Religion Chrétienne :
c ’est au contraire la perfection du
Christianisme,et le Prêtre nous enseigne,
que chacun de nous doit viser à la
perfection. Un Chartreux en délire, un
insensé Trapiste qu i, comme les fous,
se condamnent à vivre toujours renfermés
, sans communiquer avec le reste de
la société , occupés de méditations aussi
tristes, que chimériques et inutiles,
vivant durement, s’exténuant, épuisant
saintement toutes les forces du corps
X «