» meurtriers, dans des corps de 'bêtes
>, féroces ; celles des hommes lubriques
» dans des sangliers ou des pourceaux ;
» celles des hommes ‘légers et incons-
» tans, dans des oiseaux ; celles des
» paresseux , des fainéans, des igno-
» rans et des sots , dans les poissons.
» C'est la juste Némésis qui règle ces
» peines dans uné seconde vie, de con-
i> cert avec les Dieux terrestres, ven-
53 geurs des crimes, dont iis ont été
33 les témoins. Le Dieu arbitre de
33 toutes choses leur a conlié Fadmi-
« nistration de ce monde inférieur 33.
On voit e'videmment, que Timée étoit
dans ces principes philosophiques , qui
-veulent qü’on emploie tout, jusqu’au
prestige et à l’imposture, pour contenir
les hommes dans îles bornes de
la justice et du devoir. Toutes les fictions
religieuses lui paroissent bonnes
aux yeux de la politique, quoique révoltantes
aux yeux de la raison;‘mais
il n’en conseille l’usage , que pour le
peuple, pour les hommes grossiers et
ignorans, chez qui la raison seule 11e
peut commander aux passions, et pour
qui les Loix sont un frein insuffisant.
Effectivement, de pareils moyens ne
peuvent avoir d’effet que sur l’esprit
du peuple grossier et ignorant ; car il
en est de l’empire du prestige religieux ,
comme de celui, de la nuit ; c’est au
sein dés ténèbres qu’il est établi; et
il finit au moment où la lumière de
la raison commence à briller. Niiina ',
sectateur de la même doctrine, avoit
admis la même maxime politique pour
civiliser les Romains , dont Romulus
n’avoit pas cru devoir enchaîner la
pensée et dégrader la raison. Il osa
donner aux Romains ran'chde religieux ,
qui leur fit redouter , dit Tite-Live (h ) ,
l ’infraction d’un serment, et le manque
de bonne foi, autant -que les menaces
et la sévérité des, Loix. Le respect
qu’on avoit potir. Sa Sagesse et se's ver(
1) Tit. Liv. Decad. 1 , 1. 1 , c. ai.
(a) Ibid. c. 19.
tus 11e lui parut pas suffisant, pour faire
recevoir des loix religieuses qu’il auroit
lui-même imaginées. Il lui falloit une
grande autorité pour les appuyer (2);
c’étoit celle des Dieux , qui seuls ont
droit de dicter aux hommes des loix
religieuses. Il fit, comme tous les autres
Législateurs en religion; il eut recours
à l ’imposture et an prestige , pour faire
çroire qu’il avoit reçu des Dieux eux-
mêmes le code sacré , qu’il donnoit à
ses peuples. Il se retira, ditPlutarque (3),
dans une espèce de désert , dans des
bois et des'.lieux solitaires; et là, il
feignit d’être en •commerce avec la
Déesse Egérie, qui, ienflamihée d’amour
pour lu i, éclairoit son esprit et le rem-
plissoit de la connoissance des choses
divines. Ce fut d’après, ses avis , »dit
Tite-Live (4), qu’il annonça avoir rédigé
son code religieux ; c’étoit elle qui lui
avoit appris quels étoient les sacrifices
les plus agréables à chaque Divinité ;
quels étoient lés Prêtres qui dévoient
être affectés à. chaque sacerdoce. Elle
lui avoit confié sur-tout ce secret si
important de la Politique , qui éfablis-
soit la distinction des jours, où l’on
pourroit traiter ou non d’affaires publiques
; car il devoit être très - utile
souvent, ajoute Tite-Live, 'de pouvoir
se dispenser de traiter avec le peuple. Il
s’empara sur-tout du Sacerdoce, ce grand
instrument de despotisme, et réunit
en une même main toute la puissance
des Loix et celle de la Religion (g ).
Il ne se hornef pas à établir la Religion
; il fortifia la superstition , W
crut propre à la maintenir ; et ce fut
par-là sur-tout qu’il dégrada les Romains.
Il acrédita les augures, les prodiges
et la fausse opinion1 que la
foudre est une marque èertaine de ta
colère des Dieux ; il composa le Rituel
destiné à indiquer les cérémonies par
Ifesquellêà, on pouvoit expier ces pro-
:diges,'!ét eri écarter les funestes enets.
(3) Plut. Vita Numa.
(4) Tit: Liv. if 1 , c, «9. .
Il y vit un. moyen de maintenir dans
l’espiit du peuple l’idée de la Providence,
sans laquelle la législation n’eût
pu tirer aucun parti du culte religieux ,
puisqu’elle seule lie la justice divine
à la justice humaine , et qu’elle établit
une surveillance de nos actions , infiniment
plus pénétrante et plus étendue,
que celle des Loix. Ce sont ces superstitions
, qui s’enracinèrent si fortement
dans l’esprit des Romains , qu’il n’y
eut pas dans la suite de prodige si
absurde , auquel ils ne crussent et
qu’ils 11e cherchassent à expier. La
lecture de Tite-Live suffit pour en convaincre.
Aussi Plutarque remarque-t-il,
que Numa, sentant combien il étoit
difficile d’apprivoiser un peuple aussi
fier et aussi féroce, que i’étoient. les
Romains, emprunta le grand ressort
des opinions religieuses. Par des fêtes,
des sacrifices, des danses, et des processions
qu’il conduisoit , et- dont il
avoit su tempérer la gravité par l’amour
et l’attrait du plaisir, il adoucit et apprivoisa
ces âmes hautaines ; et! en leur
jetant de temps en temps des frayeurs
dans l’esprit,- comme. cle la part des
Dieux , et en leur faisant ■ accroire
qu’il avoit eu des visions étranges, ou
entendu des voix effroyables et menaçantes
, il acheva de les captiver et de
les humilier sous la Religion. C’est-à-
dire , que Numa traita les Romains,
comme on traite desenfans, qu’on berce
de contes , et à qui on fait peur du
loup ; aussi tint-il leur raison dans une
éternelle enfance , sous le joug de l ’imposture
, qui abusa si souvent de leur
crédulité. Ce n’est donc pas à tort que
nous avons dit, que la politique de Numa
avilit les Romains par la Religion, en
établissant celle-ci sur la superstition
qu’il fit naître et qu’il chercha toujours
à entretenir. Aussi Plutarque observe-
t-il , qu’il accoutuma son peuple à croire
à des contes absurdes , qui n’ont rien
Que de fabuleux; et à le regarder luimême
comme un homme miraculeux,
de manière à être persuadés , qu’il n’y
avoit rien de si inci'oyable , ni de si
impossible , qui ne lui fut aisé , s’il
l’entreprenoit. Numa fut donc un despote
, puisqu’il chercha à dégrader la
raison par l’imposture religieuse.
Nous nous sommes attachés à saisir
le caractère de Numa, et son esprit
législatif , afin de nous former une
idée juste des Législateurs anciens, qui
ont eu à civiliser des Peuples sauvages ,
et à conduire des hommes grossiers et
ignorans ; et nous ayons vu, que leur
grand secret fut d’employer le prestige
et l’illusion des idées religieuses,,
et d’égarer leur raison par . des contes
merveilleux, au lieu de la perfectionner
par la réflexion et la philosophie ; ce
qu’ils ont jugé impossible.
Numa n’a fait qu’employer un moyen,
dont ■ avoient usé tous les Législateurs.
Plutarque pense, comme nous, que c’est
avec beaucoup de vraisemblance qu’on
a dit, que Lycurgue , Numa , et plusieurs
autres grands Législateurs, pour
adoucir et apprivoiser des peuples féroces
et difficiles à manier, et pour
mieux faire recevoir les grandes nouveautés
qu’ils vouloient introduire ,
firent semblant d’être appuyés sur l ’autorité
des Dieux, seule capable de sauver
ceux en faveur desquels ils faisoient
cette fiction. Diodore de Sicile ( 1 ) atteste
cette supercherie de tous les Législateurs
anciens. Il-nousditque Menés,
premier Législateur des' Egyptiens ,
prince d’un rare génie, qui avoit
mérité une réputation distinguée par
ses bienfaits, et qui avoit .donné à ce
peuple les premières Loix écrites, feignit
de les avoir reçues de Mercure ,
qui lui-même les avoit dictées , afin
quelles fussent la source de leur bonheur.
Que Minos en Crète (//), Lycurgue
à Lacédémone., en avoicnC fait autant;
l’un disoit avoir reçu ses loix de Jupiter ■
et l'autre d'Apollon. Que cette super(
1) Diod. Sic. 1. I , c. 94, p. 10;.