heureusement on a toujours prodigué
celui-là, et on l’a confié.„aux mains
les plus perfides ; ensorte qu’il a été
une source de maux pour le corps politique
, bien loin de le guérir. De
bonnes lois, fondées sur la justice et
la sagesse éternelle, et fortifiées par
les soins d’une bonne éducation , par
le développement et la perfection de
nos facultés intellectuelles; voilà les
seuls instrumens politiques qu’on dût
employer. La raison les avouoit tous,
parce qu’ils sont ceux de la Nature, et
'de la vérité ; mais c’étoit se tromper
que de croire , qu'on rendroit l’homme
meilleur en le dégradant par la crédulité
et la superstition. Numa avilit
par sa Religion ces braves Romains,
qui avoient jeté les fondeinens de la
capitale du Monde ; il leur donna des
superstitions, plutôt que des vertus ,
et sans le règne de Tullus, qui les tira
de l’affaissement dans lequel ils étoient
tombés, Rome périssoit dans son berceau.
Si les Romains eurent des vertus,
ils les durent à leur goût pour
l ’Agriculture, et à leur amour et leur
respect pour la pauvreté. Ils les perdirent,
dès qu’ils aimèrent les richesses
et les productions des arts; et il ne
leur resta plus què les superstitions de
Numa et des Temples. Les maîtres du
Monde étoient encore courbés sous la
verge despotique des Augures ; ils
avoient de la religion , et ils n’avoient
pins de moeurs. Tels ils sont encore aujourd’hui
qu’ils rampen t sous des Prêtres.
La raison s’indigne en voyant, que du
temps d’Auguste, Tite-Live écrivant
l ’histoire de Rome déshonore chacun
d ? ses livres par plusieurs chapitres,
qui attestent sa honteuse crédulité et
celle des Romains. Rome dut toute sa
gloire à ses vertus morales, plutôt qu’à
ses idées . religieuses.' Du moment où
il ne lui resta plus que cèlles-ci , le
sceptre de l’Univers 6e brisa dans ses
mains ; et les conquérons du inonde
devinrent de vils esclaves , lorsque le
despotisme resserra pour eux les fers
de la superstition , auxquels Numa les
avoit accoutumés (a). SI nous portons
nos regards sur l’Egypte , sur cette
terre, qui enfanta toutes les Religions,
qu’y voyons-nous ? Des hommes dégradés
par le despotisme sacerdotal,
et par des Rois choisis par des Prêtres.
Jamais les institutions religieuses n’ont
contribué à la puissance et à la grandeur
des Peuples. Les premiers Chefs
des sociétés manquèrent donc leur but
en établissant à grands frais cette
machine politique’, qui a pesé.si longtemps
sur l’humanité, dont elle a fait
le malheur et la honte.
Il en est des passions de l’ame,
comme des maladies du corps ; se tromper
dans le choix des remèdes, c’est
aigrir la maladie; et l’art alors n’est
qu'un. mal de plus. Le Médecin seul
y gagne, parce qu’il est toujours payé ;
mais la société en est la victime. C’est
aux sources de cette erreur que nous
nous proposons de remonter, et nous
en suivrons la marche dans l’ordre
social', en examinant son origine, ses
progrès , ses effets, et ses formes variées
, chez les différons Peuples , et
dans les différentes associations religieuses.
Nous tâcherons d’en donner
l’esprit général, plutôt que de nous
appesantir sur les détails; genre d’érudition
, auquel nous n’aspirons pas.
Les hommes jouirent long-temps des
bienfaits de la Nature, comme font les
enfans, sans raisonner sur les çauses;
et lorsqu’il leur vint dans l’idée de les
chercher, ils crurent les trouver dans
la Nature elle-même. Elle fut donc
pour eux la cause première de tout ce
qui a un commencement et une fin,
c’est-à-dire, leur première Divinité. Ils
recevoient ses dons , sans avoir imagine
encore qu’on pût les solliciter, et les
obtenir par des offrandes et des prières.
Ils crpyoient Dieu assez bon, pour
n’avoir pas besoin que l’homme l’intéressât
par le tableau de ses besoins.
On ne connoissoit point ce commerce
de présehs de la part des mortels, et
de faveurs de la part des Dieux, que
certains hommes adroits imaginèrent,
qui se fit ensuite par leur entremise ,
et dont eux seuls tirèrent tout le profit.
Les Prêtres de Chaldée, qui attribuoient
tout aux Astres, et qui les Regardaient
comme autant de Dieux ( i ), avoient
inventé l’art d’en modifier les influences,
d’en augmenter la bénignité, et d’en
détourner la malignité. Ceux qui avoient
comparé l'administration du monde'à,
une grande monarchie, dont les. Astres ,
supposés intelligens, étoient lés ministres
, et dont le Soleil étoit lé chef
suprême, firent croire qu’on pouvoit
traiter avec le roi de l’Univers , et avec
ses ministres, comme on traitoit avec
les despotes de l’Orient,, et avec les
dépositaires de leur puissance, dont on
gagnoit la faveur par des prières et
des présens. Telle fut l ’origine du culte,
fondé tout entier sur les besoins de
l’homme , et , sur le. sentiment de sa
dépendance. Si l’homme eût été sans
besoins, ou les Dieux sans surveillance,
point de culte ; et l’idée (l’une providence
universelle en fut la première
base (2).
Cette Providence néanmoins n’étoit
pas celle à qui rien n’échappe, . puisqu’il
falloit que l’homme l’avertît de
ses besoins,; elle n’étoit pas invariable
dans ses décrets, puisqu’en , la priant
on pouvoit les faire changer ; elle
n’étoit pas désintéressée , puisqu’elle
exigeoit des offrandes et des présens.
Toutes ces suppositions entrent. nécessairement
dans l'établissement du culte,
qui n’étoit, à proprement parler, qu’un
commerce intéressé entre l’homme et les
Dieux,fait par l’entremise desPrêtres. Car
on peut l’avouer à la honte de l’homme ,
on crut que jamais la reconnoissance ne
l’eût fait religieux, si ce n’étoit dans la vue
d’attirer de nouveaux bienfaits ; et alorsce
n’est plus de la reconnoissance, mais la
prudence du besoin. Je prie , pour que
(1) Maimon. More Nevoch. part. 3 , ç. 3.
(1) Cic. de Nat. Deor. 1. 1 , c. A.
111
vous donniez ; je remercie pour que vous
soyez disposé à donner encore. Les hommes
frappés du spectacle de l’Univers, et
de son influence sur leurs besoins, persuadés
d’ailleurs, qu’il renfermoit en lui un
principe d’intelligence , qui pouvoit les
entendre , demandèrent au Ciel de
verser la pluie sur leurs champs , et
an Soleil de mûrir leurs moissons (/>).
Les hommes, dit Plutarque (3), voyant
la marche régulière et le mouvement
perpétuel du Ciel et des Astres , qui
ramènent sur notre horizon le Soleil ,
et la Lune , leur donnèrent le nom
de Dieux. Plutarque regarde cette observation
comme la première source
des opinions religieuses. Il ajouté, que
le Ciel leur parut faire la fonction de
père par les pluies, qu’il verse dans 1«
sein çle la terre, qui, à cét égard, fait
la fonction de mère, en recevant de
lui la semence ,,qui la féconde. Il dit
ailleurs (Symp. 1. 6, Prob. a) , qu’après
•que. l ’Agriculteur a employé tous les
moyens qui sont eii lui, pour remédier
aux inconvéniens de la ’sécheresse, de
la chaleur et du froid, alors il s’adresse
aux Dieux, pour obtenir dès secours
qui ne sontppintau pouvoir de l’homme;
tels qu’une tendre rosée, une chaleur
douce! un vent modéré. Ainsi.lê besoin
de la pluie et du beau temps, chez
les' peuples,, agricolès , celui de vents
heureux pour, les Navigateurs, Celui
de la santé pour tous les hommes, ont
été les premiers fôndèmens du Culte,
dès que dés hommes adroits, observateurs
dè la Nature., dont ils prédirent
où imitèrent quelques phénomènes, vinrent
à bout de persuader, qu’ils étoient
i,es, dépositaires‘ de ses secrets, et les
ministres de sa puissance et de ses bienfaits.
Telle fut l ’origine du culte des
Astres, et- des.,'Intelligences, que l’on
.'piaçoitd.ansle'S'olçil, dan? les Planètes,
dans, les Etoiles et dans fous .les èl’é-
rneqs. Les hommes , quoique presque
(3) De Pl.;üt. Phi!. 1. 1 , c. 6.