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vers. C’est ici le lieu de se rappeler ce
que nous avons dit ailleurs (1), sur les
deux grandes causes, ou sur la division
de la cause universelle , en cause active
et en cause passive , ainsi que sur
les emblèmes destinés à en retracer l ’idée.
C’étoientlà'lesdeuxgrandes divinités,
qu’on proposoit au culte des Initiés à
Samothrace, suivant Varron. « Dans les
» principes de l’initiation aux mystères
» de Samothrace, dit ce savant (a), le
» ciel et laterre semblent deux premières
» divinitésjcesontlesDieux puissans.que
» l’on honore à Samothrace, et ceux dont
» les noms sont consacrés dans les livres
» de nos augures (J). L ’une de ces divi-
» nités est mâle, et l’autre femelle. C’est
» dans les mêmes rapports, que l’ame
» est avec le corps , l’humide avec le
» froid ». Les Curètes en Crète avoient
élevé un autel au ciel et à la terre (3) ,
dontilscélébroientles mystères àGnosse,
tlansun bois de cyprès. L ’image symbolique
de ces deux divinités, ou du principe
actif et passif du monde , étoit le
membre actif et passif des générations
humaines , symbole expressif d’une
grande idée cosmogonique ; c’étoit le
Phalluset le Cteis, ou l’organe générateur
de l ’homme et celui de la femme, que l ’on
exposoit aux hommages de l ’Initié. Le
Lingam chez les Indiens, comme nous
l’avons déjà dit, exprime la même idée
philosophique , sur l ’union des deux
grandes causes de la nature, qui concourent,
l’une activement, l’autre passivement
, à la génération de tous les
êtres.
C’est cette idée philosophique sur la
grande division du monde , en ses deux
grandes parties , qu’on voulut exprimer
par l ’union des organes sexuels de
l'homme et de la femme. Le même génie
allégorique, qui avoit fait consacrer
l'oeuf, pour représenter le monde , dont
il a la forme, et q u i, comme lu i, con-
'1) T . i , I. 2, c. 2 , p. 124— t7y.
r î ) Varro dé Ling. L a t. 1» 4 ,
(3; Di^d. i. 5.
tient les germes , que la chaleur fait
éclore, en échauffant les fluides , où ils
nagent, fit choisir les organes de la génération,
comme symboles de la double
force génératrice , que le monde renferme
en lui : la faculté génératrice
du grand monde fut exprimée par les
organes générateurs du petit monde,
ou de l ’homme. Les Initiés à Eleusis
commençoient , comme dit Pro-
clus , par invoquer les deux grandes
causes de la Nature , le ciel et la
terre (4),sur lesquels ils fîxoient successivement
leurs regards , en dirigeant vers
eux une prière. Et ils croyoient devoir
leur rendre cet hommage , parce qu’ils
voyoient en eux, ajoute Proclus , le
père et la mère de toutes les générations.
Le concours de ces deux agens de l’Univers
s’appeloit , suivant le même
auteur , mariage dans la langue Théologique.
C’est ce mariage donc, qui fut
représenté par l’union du Cteis et du
Phallus, consacrés dans les mystères. O11
exposoit , dit Saint Augustin (5) , le
Phallus dans le temple de Liber, ou de
Bacchus, et le Cteis dans le temple de
Libéra , ou de Proserpine.
Tertullien, dans son traité contré les
Valentinicns(6) , où il parle, comme dans
tous ses autres ouvrages , en déelama-
teur plutôt qu’en philosophe, assure que
les Valentiniens avoient conservé ce
symbole dans leurs San ctuaîres, et qu’ils
avoient emprunté cet usage des mystères
d’Eleusis. Quelle est , dit ce décla-
mateur , la Divinité qu’on va adorer
dans ces sanctuaires 5 quel est le grand
objet des désirs des Eptotes ; quel est
le prix du secret de ces mystères ? La
figure d’un membre viril, que l ’on découvre
aux yeux de l’Initié (m). Tertullien
convient cependant, que les Initiés
à ces mystères donnoient une explication
de ce symbole, tirée de la nature
, dont le nom respectable servoit,
(4) Procl. in Tim. 1. y, p. 299.
(5) Aog.deCiv. 1. 6 , c . 9. Meurs Eleufc. c. 1 1 ,
(b) Tertull, arlr. Yaient. c. r.
dit-il, d’excuse à ce simulacre infâme (ri).
Ils avoient raison de se défendre par le
but allégorique de cet emblème ; et Tertullien
etoit irop peu philosophe., pour
en comprendre le sens sublime. Les
autres pères n’6nt: pas été plus justes ,
ni plus modérés, dans leurs reproches.
Clément d’Alexandrie parle de la Ciste
( 1 ) , dans laquelle étoit déposé le
membre de Bacchus, et que les Initiés
aux mystères des Dieux Cabîres honoraient
en Etrurie. Il rappelle ailleurs
les cérémonies!, prétendues indécentes ,
de différentes villes y qui dressoient le
Phallus en honneur de Bacchus. Enfin ,
il déclame fort contre les symboles obscènes
(1) exposés dansd’autres mystères;
tels que le Cteis , ou la partie sexuelle
de la femme. Voilà, dit-il, ces augustes
mystères, auxquels il est àpropos que la
nuit prêteuses voiles (o)j ; Arnobe (3) et
les autres ne se. sont pas donné la. peine
d’examiner le sens de ces symboles, parce
qu’aucun d’eux ne veut recevoir les interprétations
allégoriques., que les payens
leur en donnoient, comme Arnobe lui-
même en convient. Ils vouloient crier ,
tonner contre le Paganisme ; et ils se seraient
privés d’une belle occasion de le
faire, s’ils eussent admis des explications
tant soit peu raisonnables. Tel étoit le ca-
ractère de tous lesDocteurs chrétiens; telle
ctoit leur mauvaise foi à l’égard de leurs
adversaires. Nous y avons cependant
gagné d’apprendre d’eux plusieurs particularités
relatives aux cérémonies religieuses
, et aux mystères des anciens y
et entre autres , l ’usage dans lequel, on
étoit de consacrer les parties caractéristiques
des sexes, et de les proposer,
a la vénération des peuples. Ils ont ridiculisé
ces usages ; pour nous, notre
devoir est de chercher à pénétrer le sens
de ces emblèmes. Notre tâche est un
peu plus difficile que la leur. L a pudeur
de cesDocteurs ignorans étoit alarmée de
(1) Clem. Alex, in Prêt. p. 12— 02.
(2) Ibid, 14.
(3) ArnoB. Cont. Gent. l. 5.
(4) Aristôph, Acharnan. v. 241-^42-259-2(10.'
voir .une troupe de jeunes Canéphores
(4), distinguées par leur naissance et leurs
moeurs , porter une de ces corbeilles
mystiques , d’où sortoit un énorme
Priape o it , les. femmes de Lavinium,
la tête couronnée de Phallus entrelacés,
porter en pompe les armes du Dieu de
la génération, dans leur plus grand déve-
loppemejit.:Leur vue s’arrêta là ; et irrités
contre les abus , qui provinrent
de Ces fêtes, ils ne voulurent plus entendre
raison sur le but mystique de
l ’institution primitive. Si l ’oeuf Orphique
eût été aussi scandaleux, ils l ’auroient
aussi brisé , dans leur sainte colère.
Ces tirages et' ees symboles avoient
passé d’Egypte en Grèce, avec les initia-
tiqns t.eJigieuses. L ’Egypte avoit son oeuf
d’Osiris , comme la Grèce l ’oeuf Orphique
consacré à Bacchus. Elle consacra
le meinbre d ’Osiris , comme les
Grecs celui de leur Baeohus. Non seulement
les .Egyptiens , mais tous le*
autres peuples, qui consacrèrent ce
symbole, crurent devoir honorer en lui
la force active de la génération universelle
des animaux, suivant Diodore de
Sicile (5 ), Les mêmes raisons le firent révérer
par les Assyriens et les Perses , au
rapport du Géographe Ptolémée ( 6).
Dans la ■ distribution du Zodiaque en
douze gfandes Divinités ; qu’imagina
l’Astrologie ancienne (y) ; on‘ observe
quelesAstrologuesont eu l ’attention d’en
affecter six au principe mâle , et six au
principe femelle, ensortequé fa ceinture
cluiZjodiaque, où s’exerce la- for ce génératrice
du monde et qui enveloppe la
Sphère, fut partagée également entre les
deux causes actives et piassives , qui résident
dans le monde. Cette observation
est de Proclus (8). Ce philosophe a plus
que personne insisté sur ce dogme fondamental
de la théologie ancienne, qui
a sur-tout marque, d’une .manière -bien
distincte , les caractères sexuels de la
(5) Diod. Sic. !; r , p. 55,
(6j Ptoiem. Geoy;iyl., 1. .
(7) Manil. Astrcii. ï. 2, v. 437 , etc.
(8) Procl. Çom. in Tim. 1. 2, p.’ 67.