Camille fut père de trois Cabires , qui
eux-mêmes donnèrent naissance aux
N y mphes Cabirides. Pherecy de fait n aître
les trois Cabires et les trois Nymphes
Cabirides , immédiatement de Vulcain
et de Cabire , Hile de Protée. Il ajoute,
que les uns et les autres eurent leur
culte particulier ; que les Cabires furent
principalement honorés à Lemnos ,
( pays de Vulcain ) à Imbros , et dans la
Troade, et'que leurs noms sont mystérieux.
Les lieux consacrés à ces
Génies, du temps de Strabon, étoientdé-
serts : tels, par exemple, que Coryban-
tion , dans l’Amaxitie , près de Smin-
thion , et Corybissadans la Scepsie.
Ce qui fit croire qn’ils étaient fils dé
Vulcain , c’est l’opinion de quelques-
uns,tels que Sophocle, qui admettentcinq
premiers Cabires , qui découvrirent le
fer , apprirent aux hommes à le travailler
, et qui inventèrent quantité
d’arts utiles. Parmi les noms que l ’on
donne aux Cabires, on remarque ceux de
Salaminus^às Damnameneus, d’Hercule
et d'Acmon- Dans l’ancienne langue
Grecque , Acmon signifioit le Ciel (1).
On dit aussi que les Dactyles adoroient
Kelmis, Damnameneus et le puissant
Acmon ; ce qui nous reporte vers le culte
des Cabires et sur-tout du ciel , que
Varron dit être la grande Divinité Ca-
birique de Samothrace. On disoit des
Cabires, tantôt qu’ils étaient originaires
de l’Ida, tantôt qu’ils étaient venus s’y
établir. On sait, que tout le territoire du
Mont Ida étoit consacré à la mère des
Dieux. Aussi s’accordoit-on à croire,
suivant Strabon, que les Cabires habitaient
en. Phrygie , aux environs du
Mont Ida , et qu’ils étaient auprès de la
mère des Dieux. On appelle ici Phrygie
la Troade , et tout le pays où Dardanus
bâtit sa ville.
Nous concluront de tout ceci deux
choses, i p. que la Phrygie paroît avoir
e'té originairement le berceau du culte 1
(1) Hesych. Etymol. Magn,
(a) Hoiac. 1. i , Od. J.
des Cabires , porté ensuite à Samothrace
parles Phrygiens, ou par les habitons
de la Troade.
ap. Que non-seulement le nom de Cabire
fut donné aux grandes Divinités
que l’on honoroit dans les mystères
mais encore que , sous le nom de
Cabires , ou de Grands , on désigna ,
soit des Génies , soit même des Prêtres
attachés au culte de Rhéa, ou de Cybèle,
de la Terre, etc.
Les Dioscures , ou les Dieux tutélaires
de la navigation , furent donc
honorés du nom de Cabires, et à ce
titre, honorés à Samothrace.
Il en dut être de même de Vénus,
qu’Horace unit aux Dioscures , dans
l’Ode qu’il adresse aux Divinités tutélaires
de la navigation , pour obtenir
des vents favorables au voyage de Virgile
(2). Le Poète y donne à Vénus le
titre d’usage à Samothrace , Diva j>o-
tens , qui répond à Dieu puissant, que
Varron traduit par Divus potens, mot
équivalent à celui de Cahar, fort et
puissant.
Ainsi Vénus dut être invoquée avec
les Dioscures , dans les mystères des
Dieux tutélaires de la navigation. Elle
le fut effectivement, et on la compta au
nombre des trois Divinités Cabiriqnes
(d) , dont Scopas fit la statue (3). Vénus
présidoit au mois de Mai, au signe du
Taureau, époque à laquelle s’ouvroit la
navigation. L’entrée du Soleil dans ce
signe étoit marquée, le soir par le coucher
Héliaque des Gémeaux, et le matin
par le lever du Cocher céleste. Ces Astres
furent donc des signes, qui annon-
çoientle retour des vents heureux et celui
de la navigation. Donc,non-seulement les
Dioscures ou Gémeaux, les Dieux de Samothrace
les plus connus, furent honorés
à Samothrace ; mais la planète, qui préside
auTaureauet le Désir son fils; mais
la belle constellation du Cocher , Phaë-
ton, quiouvroit le jour en ce moment;
(3) Plia. Hist. Nat. 1. 36, c. 4.
tous ces Génies y furent consacrés,suivant
le témoignage de Pline. Scopas, dit cet
Ecrivain, fit les statues de Vénus, de Po-
thos , ou du Désir son fils , et de Phaë-
ton , Divinités honorées à Samothrace,
par les cérémonies les plus augustes.
Sanchoniaton , parlant de cette heureuse
époque du printemps, dans son
histoire allégorique, où les phénomènes
annuels d e là nature sont décrits sous
la forme de l’histoire, dit : « en ce temps
» les Dioscures firen t des «idéaux et s’em-
» barquèrent sur la mer ( t) ».
Si Enée emportait les grands Dieux
en s’embarquant, c’est qu’ils étaient les
protecteurs de sa navigation. C’étoient
eux qui dévoient assurer le sviccès de
son voyage. Les figures de ces Cabires
étoient sculptées sur la poupe des vaisseaux
des Phéniciens ; on les appeloit
Pataïques Phéniciens, fils de Vulcain.
L’île de Samothrace acquit une grande
célébrité chez toutes les Nations maritimes
, par la réputation qu’elle avoit
d’être consacrée spécialement aux Divinités
tutélaires des Navigateurs. On alloit y
prier les Dieux d’accorder des vents favorables
, et solliciter des apparitions
ou Epiphanies des Dioscures. On don-
noit aux Initiés à ces mystères l’espérance
d’être exempts de tous les périls de lamer.
Tous les matelots dévoient donc avoir
grande dévotion auxDieuxdo Samothrace.
Ils étoient pour eux ce qu’est S. Nicolas.
Dans l’expédition des Argonautes,
Orphée, seul sur le vaisseau initié à ces
mystères , conseille à ses compagnons,
au moment où ils étoient battus d’un
violent orage (2), de relâcher à Samothrace.
Aussitôt l’orage s’appaise ( 3 ) , et
les feux Saint-Elme, qui sont censés être
l’image des Dioscures, paroissent au haut
des mâts. Tout l’équipage descend dans
l’île, à l’entrée de la nuit. Les Argonautes
(ij Euseb. Pracp. Ev. 1. .3 , c. i,t.
(2) ApolU Argon. 1. 1 , v. piy.
(3) Diod. I, 4.
(4) Orph. Argon. V. 465. Val. Flace. I. 1 ,
T' 435-
lo 3
se font initier aux mystères, et se rembarquent
, emportant avec eiix l’espérance
d’une heureuse navigation (4).
Il n’est pas étonnant, que les Prêtres
de Samothrace, avec on pareil secret ,
fissent une immense fortune aux
dépens des Navigateurs crédules, qui
réconnoissoient l’empire de leurs Dieux
sur les mers.
Au reste , tout ne se bornoit point à
Samothrace à obtenir des vents favorables
et une navigation heureuse. Les
promesses des Hiérophantes s’éten-
doient plus loin , et le but de ces initiations
avoit quelque chose d’infiniment
plus grand ; savoir , de consacrer
l’homme à la Divinité par des enpaae-
mens a la vertu, et de lui assurer Jes recompenses
, que la justice des Dieux réserve
aux Initiés après la mort. C’était
là sur - tout ce qui rendoit ces cérémonies
augustes , et ce qui inspireit à
tous les peuples un si grand respect
pour elles , et un si grand désir d’être
admis à ces mystères. Ce fut là aussi
ce qui fit donner à cette île originairement
le nom d’île sacrée. Elle étoit rés-
pectée de tous les peuples. Les Romains,
devenus maîtres du monde , lui laissèrent
sa liberté et ses loix (e) ; elle étoit,
en quelque sorte, un asyle pour tous les
malheureux,et elle avoit un privilège d’inviolabilité.
Evandre, Général de Persée,
s’y étoit réfugié (5) ; Persée lui-même
crut y trouver un asyle.
On y purifioit de l’homicide. C’étoit
un Prêtre appelé Koës, qui était chargé
de cette fonction (6). Néanmoins il
étoit des espèces d’homicides, dont ce
Prêtre ne purifioit pas.toujours , tels
que de ceux qui étoient commis dan»
un temple , comme on le voit par l’exemple
de ce même Evandre (7).
Le Koës écoutoit la confession des fau-
(5) Plin. 1. 4, c. 23. Tit. Liv, 45, c- 5-
(6) Hesycb. Voc. Kouf.
(y) Ibid. Tit. Liv