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Le Chantre de Thrace (1) , à qui la
Grèce devoit ses mystères, paroissoit
en longue robe, comme un Hiérophante,
et marioit les accens de sa voix aux
sons harmonieux de sa lyre : il passoit
pour avoir civilise les sauvages de la
Grèce, par le moyen de la musique et
des mystères. C’est à ce titre, que Virgile
le l'ait paraître le premier dans l'Elysée,
à la tête de tous les Initiés. On lui devoit,
aingi qu’à Musée, le Rituel des Initiations
(a). C’est pour cette même raison,
que la Sy bille s’adresse spécialement
à Musée, quiétoitau milieu d’un groupe
d’Initiés,attentifs à ses leçons,et qu’elle lui
demande en quel lieu elle pourratrouver
Anchise (3). Chacun d’eux y remplis-
soit encore les fonctions, et conservoit
tous les goûts, qu’il avoit eus sur la terre.
Les chefs des peuplades Troyennes, lins
et Assaracus (e) , se plaisent encore à
manier des armes, à nourrir des chevaux
et à conduire des chars. D’autres, couchés
mollement sur l’herbe , dans des
champs couverts d’une éternelle verdure,
à l ’ombre des forêts odoriférantes de lauriers
, prennent un repas champêtre, et
égayent le festin par des chants de
■ joie. Ceux-ci, dans la prairie ou sur
l’arène, s’amusent aux exercices du pugilat
et de la lutte, et ils ont encore leur
gymnase, où ils acquièrent une force
et une vigueur, que rien ne pourra jamais
altérer. Ceux-là chantent des vers,
et d’un pied léger foulant la terre en cadence,
forment entr’eux des choeurs et
des danses. Ils ont leur Ciel, leur Soleil et
leurs astres, dont aucune nuit n obscurcit
jamais le pur éclat. Telle est la
description abrégée, que Virgile nous
fait de l’Élysée ou du séjour des âmes
vertueuses. Jean, dans son Autopsie ou
Apocalypse ; le philosophe Eschine ,
dans son traité intitulé Axiochus, font
d’autres descriptions également agréables
, sous d’autres trait? et avec des
(i) -AF.neid. 1. 6, v. 640.
(1) Plat, de Rep. 1. s , p. 564.
(3) AEneid. 1. 6 , v . 667«
(4) Pied. Olytnp. i.
couleurs différentes ; mais tous font passer
l ’initié dans une région lumineuse ,
où l’aine jouit d’une félicité éternelle,
telle que nous l’a décrit Pindare, dans
sa seconde Olympique (4) ■ U nous peint
les âmes vertueuses, que l’initiation a
sanctifiées , transportées dans, les îles
Fortunées , où le zépirir entretient uçe
fraîcheur éternelle. Là coulent des ruisseaux,
dont Fonde pure arrose des prairies
émaillées de fleurs de couleur d’or,
destinées à former-les couronnes, qui
ceignent la tête des heureux habitans de
l’Élysée ( 5 ). Les uns font courir des
chevaux dans les plaines fleuries ; les
autres touchent la lyre , au milieu des
bosquets de roses, dont l’odeur agréable
parfume l’air, ouàl’ombre d’arbres, qui
portent des pommes d’or (6).
Us ont leurs écoles de philosophie (7),
leurs musiciens, leurs poètes, des festins
publics, des banquets sacrés, enfin
tout ce qui tient au luxe et aux délices
de la vie éternelle. On n’y connoxt ni le
froid, ni les grandes chaleurs, mais on
y éprouve une température douce, et
on y jouit d’un printemps éternel. La
terre, de son sein fécond, y fait éclore
toutes sortes de fruits, dans toutes les
saisons de l’année. L’eau des fontaines
y est la plus pure ; les prairies sont se-
mées de fleurs de toute espèce.
On peut voir dans Ltfcien , ( Hist.
verae, a , t. 1 , p. j5o, etc.) son arrivée
prétendue dans les îles Fortunées, la
description brillante qu’il en fait, et surtout
celle de la ville des Bienheureux
et de leur félicité. Sa description est, en
beaucoup de points, semblable à celle de
la Sainte Jérusalem, faite par 1 auteiA
de l’Apocalypse. On y retrouve la villa
d’or pur , les murailles d’emeraude, les
édifices de jaspe, les autels d’améthyste ;
la ville a sept portes, au lieu de douze
dans l’Apocalypse ; mais l’allusion n en
est pas moins Astrologique, dans l’une et
(5) Homer. A Odyss. v. 563. ..
(6) Pindar. apud. Plnn Consol. ad Ap««-
p. 120.
(7) Autn Axiwhi, p- én
R E L I GION Ü N I V E R S é LLE.
l'autre fiction ; on n’y connoît jamais de
nuit ; il y règne un printemps éternel.
Les murs de la ville sont baignés par un
fleuve d’essences les plus exquises , qui
coule à travers des prairies émaillées de
fleurs ; le zéphir agite mollement les
arbres , qui donnent douze fois du fruit
par année , une fois chaque mois ,
comme dans l’Apocalypse. 365- sources
d’eau coulent autour de la ville ; il y a
sept fleuves de lait. C’est dans les champs
Elysés, que se donne le banquet sacré ,
dont la joie est égayée par la musique et
par les chants de la poésie.' On y voit
Homère , Arion chantre de Lesbos ,
Anacréon , Stésicore. Lé chant des oiseaux
les plus harmonieux forme les
entr’actes de oe concert. Deux fontaines,
celle des ris , et celle des plaisirs
, sont à l’entrée de la salle de festin,
et chacun des convives va y boire en
entrant. On voit à ."ce banquet tous les
anciens Législateurs , les Sages et les
Philosophes de la Grèce les plus connus.
Nous tirerons le rideau sur d’autres
plaisirs qu’on y goûte, et nous ne suivrons
pas plus loin la description, que
les diffërens auteurs anciens nous ont
donnée de ces lieux enchan teurs, créés
et embellis par l’imagination poétique
des; premiers chefs d’initiation. Ils tail-
loient, comme on dit vulgairement, en
plein drap, et ils n’ont rien épargné, pour
en rendre la peinture agréable et séduisante;
mais ils ne se sont pas tous accordés
sur le lieu, où ils placeraient leur
Elysée. Les uns ont placé l’entrée des
enfers aux portes mêmes de la nuit ,
ou au couchant, aux extrémités occidentales
du monde connu, dans l’Océan
Atlantique, aux îles qu’on appelle encore
aujourd’hui les îles Fortunées.
Quelques - uns ont fixé les îles Fortunées
anx environs de l’Egypte ( 1 ) ;
d’autres près de l’île de Lesbos. Flomère
0 ) Diod. I. 5, p. 239. Hesycb.
. (a) Odyss... 4 , V. 593.
(3) Strab. 1. 3, p. 154.
U) Plutarch. de Facie in orbe Lu lus. Plat.
Phsdon.
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les placé aux extrémités de la terre (2) ;
ce que Strabon entend par les extrémités
de l’Espagne (3). Mais par extrémités
de-la terre, on peut aussi entendre
la partie supérieure de la terre et des
élémens qui l’environnent, ou la partie
de l’espace, qui confine à la Sphère de
la Luné ; ce qui s’accorde assez avec le
lieu, que leur assignent Plutarque et Platon
(4). Le premier place danslaLuneCe
lieü, qui reçoit les âmes des morts qui
ont bien vécu.
Le second imagine , au-dessus de la
terre, une térre céleste, terre sainte ;
c’est cette terre sainte , placée au-delà
de l’Ether, qui a servi de modèle à Jean,
pour imaginèr sa Jérusalem céleste, toute
brillante d’or! et de lumière. C’est là ce lieu
Ethéré ou cet air libre et lumineux des
Pythagoriciens, dont il est parlé dans les
vers d’or (5) , et dans Hiéroclès , commentateur
de cet ouvrage. C’étoit là le
véritable Elysée, celui dans lequel pas-
soient les âmes vertueuses ; pour aller
jouir de la société des Dieux, et assister
au banquet sacré des Immortels. C’est
alors, dit Platon (6), que Parue, dégagée
du corps , va se réunir à l’élément divin,
qui a la plus grande analogie avec sa nature,'
et, comme disent les Initiés, qu’elle
va réellement s’unir aux Dieux, pour
y vivre éternellement avec eux.
, Les Brachmanes -de l’Inde avoient
aussi de pareilles fictions sur l’immortalité
de l’ame , et sur le jugement qu’elle
subis soit anx enfers (7).
Les Perses avoient imaginé le Paradis
d’Ormusd, ou du principe lumière (8),
dans lequel passeraient les Initiés, pour
vivre absorbés dans une, lumière pure
et éternelle, au sein d'unie- félicité inaltérable.
Plutarque- (0) nous en donne
une idée abrégée , d’après la doctrine des
Mages. Ceux - ci pensoient que, dans
le monde actuel, les biens étoient mêlés
(3) Aurea Carmin, v. 70.
(6) Plat. Phædon.
(7) Staak 1. 13, p. 713..
(?) Plut, de Isid. p. 370.
(9) De Facie in orbe Lunæ, jp 94».