»Sa
l ’initié demandent la fin , pour arrivejr
au terme désir-é du repos, dont jouis-
soient enfin les âmes vertueuses. Les
Juifs admirent aussi cette doctrine (i).
Chez les Grecs , outre Pythagore , Em-
>edocie l ’avoit aussi enseignée. Ce phi*
osophe l ’avoit portée j usqu’à la métamorphose
en plante ; c ’étoit là comme le
dernier terme de la dégradation de
l ’ame (2). Le laurier étoit la plus excellente
métamorphose de l ’ame en
plante ; et le Lion la plus noble en
animal quadrupède. C’est Elien qui
nous l ’apprend (3). On en devinera
aisément la raison. Le laurier étoit la
plante et le Lion l ’animal, que les anciens
«voient çonsaçrés au soleil , dans lequel
les aines les plus vertueuses dévoient
passer , suivant le système oriental
, adopté par les Manichéens, etc.
Manès avoit aussi conservé l’opinion
orientale , sur la cause de cette dégradation
: elle étoit une suite des fautes
commises dans une première vie , et une
expiation de ces mêmes fautes ; c’est-à-
dire , qu’il l’attribuoit à la même cause,
que celle que clonnoient,suivantCicéron,
les anciens Poètes Mystagogues , tels
qu ’Orphée, et les Chefs des initiations,
savoir aux erreurs et aux crimes d’une
vie antérieure. Manès , fidèle aux principes
de cette Théologie , que Timée
appelle barbare , ou dogmes étrangers
(4 ) , ne se contentoit pas d’établir sa
transmigration des âmes d’un corps humain
dtins un autre. Il prétendit ( 5),
que celles des grands pécheurs étoient
envoyées dans des corps d’animaux plus
ou moins vils,plus ou moins misérables, à
proportion de leurs vices ou de leurs
vertus. Je ne doute point. que ce Sectaire
n’eût fait passer nos Moines et nos
Abbés commelidataires, ainsi que nos
Chanoines,dans des corps de pourceaux,
comme les compagnons d’Ulysse, et qu’il 1
(1) Marsham. Chron. Caii. p. 287,
(a) Dicg. Laer. vit. Emp. p. 616.
(3) ,4E»ian. de Anim. 1.12, e. 7.
(4., T:m. dcAnim. taundi.
n’eût regardé notre Eglise comme nne
véritable Circé. Manès avoit trouvé cette
doctrine établie chez toutes les Nations
de l'Orient, chez tous les Peuples , que
les Grecs appeloient Barbares. Aussi
Archélaüs traite-t-il Manès de Barbare
Persan (6).
Les Curdes, dit Hyde, les Indiens,
les Chinois, envoient les âmes dans des
corps de bêtes, croyant qu’elles subissent
diverses transmigrations, et divers
degrés de peines ordonnées pour
leur purification, et qu’enfin elles parviennent
aùCiel. Il y a beaucoup de vraisemblance,
que c ’est de ces Philosophes
orientaux , que Pythagore et ensuite Platon
prirent leurs dogmes sur la Métempsycose.
Car enfin laissant des allégories
au moins très-incertaines, Platon a en-
seigné,que les âmes des méchans passent
après la mort dans les corps de certains
animaux , dont ils ont eu les vices pendant
la vie. Les âmes voluptueuses ou
gourmandes sont exilées dans des corps
d’anes ou d’autres animaux lascifs ;
celles des tyrans en des corps de Loups
ou de Vautours. On attribue le même
sentiment aux Cabalistes ; tout cela
étoit pris dans la Philosophie orientale
(7). Il est certain , que les Cabalistes
gardent encore cette ancienne opinion.
Le Rabbin Elie témoigne, que la
Métempsycose est un sentiment reçu
et approuvé par les Maîtres ; ils ne
doutent point, que les âmes humaines
ne passent d’un corps dans un autre,
au moins trois fois. Ils assurent, que
l ’ame d’Adam passa dans David, et
qu’elle doit un jour animer le corps
du Messie. Us ajoutent, que l ’ame d’un
adultère est envoyée dans le corps d’un
chameau ; que celle de David auroitsubi
cette peine, s’il n’eût obtenu sa grâce par
la pénitence. Le Rabbin Menassch-ben-
Israël dit , que Dieu ne perd pas
(5) Beausobr. t. 2, p. 496.
(6) Act, Disp. Archel. apud Zacegani Monum.
Ecoles. Græc. et Lutiuæ , p. 62,63.
(7) Beausobr. t. 2, p. 491.
entièrement les âmes ( i ) , et ne les
anéantit jamais ; . qu’il n’a point résolu
de les bannir absolument et pour
toujours de sa présence ; mais seulement
pour un temps, jusqu’à ce qu’elles
soient purifiées de leurs péchés ; après
quoi, il les renvoie dans te monde, au
moyen de la Métempsycose.
Non seulement les docteurs Juifs (z),
mais des docteurs Chrétiens, vénérables
par leur vertu et leur savoir , ont été
dans la même opinion. Origène a c ru ,
que les âmes animent divers corps successivement,
et que ces transmigrations
sont réglées , à proportion de leurs mérites
ou de leurs démérites. Saint Jérôme
lui reproche d’avoir cru , que les âmes
raisonnables pussent être avilies jusqu’au
point de passer dans les corps des
bêtes. On trouve dans Synésius la même
doctrine sur la Métempsycose , et sur
le retour des âmes dans la matière terrestre
, pour y subir une nouvelle organisation
, lorsqu’elles n’avoient point été
suffisamment purifiées, et Synésius avoit
été initié. Voici ce qu’il dit dans la prière
qu’il adresse à Dieu (3). « O père ! ac-
» cordez-moi que mon ame, réunie à la
» lumière, ne soit plus replongée dans
» les ordures de la terre ». Cette prière
ressemble fort à celle des initiés , qui
demandent à être affranchis du cercle
des générations, et à arriver au séjour lumineux
, où ils respireront de leurs maux.
Joignons à Synésius un autre philosophe
chrétien, mais plus ancien que lu i, et qui
se déclare hautement pour la même opinion
(4). « Les âmes, suivant lui, qui ont
» négligé de s’attacher à Dieu, sont obli-
» gées par la loi du Destin de commencer
» un nouveau genre de vie , tout con-
» traire au précédent, jusqu’à ce qu’elles
» se repentent de leurs péchés ». Voilà
bien une Palingénésie formellement
prononcée. Les Simoniens , les Basi-
lidiens, les Valentiniens , les Marcio-
(1) Beausob. ibirl. t. s , p. 447.
(a) Ibid. p. 592— 493.
(3Î Nicephôr.'Greg. p. 381 « p. 240 et 141, et
p* 38A Synésius Frag. 3, v. 725.
6) Ctojfsjijw W fini. §. «87,
nites,en général tous les Gnostiques (.>),
professèrent la même opinion sur la
Métempsycose. On apperçoit quelques
traces de cette croyance, jusques dans
les disciples de Christ, et dans l ’Evangile
même. En effet, il paroît que le3
prétendu? disciples de Christ, ou l’auteur
qui les fait parler dans la légende
Evangélique, croyoient à la préexistence
des âmes, et vraisemblablement à leurs
transmigrations en plusieurs corps, puisqu’ils
sontsupposés demander àCh ris t(6),
si un homme , qui étoit venu au monde
aveugle, ne s’étoit pas attiré cette punition
par quelque péché, qu’il eût
commis avant que de naître. Ce qui
confirme cette pensée , c’est qu’on
attribue la même opinion aux Pharisiens
(7).
Nous ne pousserons pas plus loin
l ’examen de l ’étendue de cette doctrine,
que l ’on peut regarder comme une des
plus anciennes et des plus répandues,
qui ait été enseignée aux hommes.
Nous reviendrons aux principes, sur lesquels
elle fut établie , et au but qu’on
se proposa en l’enseignant. La préexistence
des âmes , prouvée si au long
Îiar Platon dans le dixième livre des
ois, étoit le premier fondement de la
Métempsycose (8), comme fluet l’a fort
bien démontré dans ses Oriqcnia.ua.
Cette opinion , sur la préexistence de
l ’ame, étoit l’opinion générale de tous
les philosophes anciens, et fut très-commune
parmi les Pères Grecs. Elle leur
parut même nécessaire, pour maintenir
l ’immortalité de Paine , base essentielle
de l’opinion sur les récompenses et les
peines , sans laquelle la morale chrétienne
ne pouvoit se soutenir. Nous
avons vu , que cette préexistence étoit
une suite des principes de Pythagore et
des autres philosophes sur la nature de
l ’ame , qu’ils regardoient comme une
portioncule du feu Ether immortel ,
, (sè Beausobr. t. a, p. 4911
(é) Jean, e 9, v. 2.
(7) Basn. Hist. Jud.t. 2, part. 2, p. 19.
Ü) Beausobr. c, 2, p. 494.