ou profitant d’une circonstance heureuse
, il n’a pas pris avis de l’église.
Les moindres petites familiarités sont
des crimes punissables aux enfers, et
Vénus est presque toujours exposée à
être livrée aux Furies chez les Chrétiens.
N’être pas exact à manger Dieu,
dans sa métamorphose en gaufre sacrée
, au moins une fois l’an , ou rire
des sots qui s’en nourrissent ; ne pas
aller confier ses fredaines amoureuses
à l’oreille d’un Moine usé de débauche,
et d’un Prêtre séducteur, sont des crimes
dignes de la mort étemelle ; et le Tar-
tare n’a pas assez de supplices , pour
punir un mépris aussi marqué de toute
Religion. Voilà ce qu’on appelle des
crimes; voilà ce qu’on punit aux enfers
, c’est-à-dire, qu’on y punit l’homme
qui a eu assez de sens commun pour
rixe des sottises des autres; et que tandis
que la crédulité à l’imposture mène
droit à l’Elysée, la sagesse et la raison
nous conduisent au Tartare. Encore
une fois une pareille initiation n’a jamais
été faite pour perfectionner la
raison humaine. Cependant ce ne sont
pas simplement ici des conseils évangéliques,
qui ne sont donnés qu’aux
âmes privilégiées ; c’est le droit commun
, par lequel sont rigoureusement
régis tous les fidèles.
Jusques ici, nous > n’avons examiné
que le ridicule de ces dogmes, et ce
qu’ils avoient d’inconséquent, eu égard
au but politique des institutions! religieuses';
maintenant nous- allons faire
voir tous les dangers qu’ils ont pour
la morale. Il n’est rien d’aussi destructif
de toute morale, que la confusion des
idées de vice et de vertu, et que l’abus
des récompenses et des peines qu’ou
leur attache. Or cet abus, cette confusion,
la Religion des Chrétiens les a
introduits dans la morale. Nous ne.dis-
convenons pas que la ; Religion des
Chrétiens ne récompense des 'vertus ,
et ne punisse des vicetq que toute-bonne
morale doit encourager , ou .réprimer.
Mai* outre qu’elle » ’a rien en cela,- qui
ne lui soit commun avec les anciennes
initiations, et qui puisse en conséquence
lui donner la préférence sur elles, on
peut dire qu’elle a un grand inconvénient,
c’est celui de mettre des pratiques
frivoles et ridicules sur la même
ligne que les vertus réelles , et même
de leur donner un caractère de perfection
, qui les place au-dessus des vertus
ordinaires ; et au contraire, de traiter
les affections les plus douces , les
jouissances les plus permises par la Nature
, qui en a fait un besoin, de les
traiter, dis-je, à l’égal des plus grands
forfaits. Si celui qui donne naissance
à un homme, sans consulter le Prêtre ,
est coupable autant que celui qui le
détruit,, l’amour et l’homicide sont
donc également des crimes aux yeux
de la ISfature, de la raison humaine
ei de la justice divine. Si l’homme qui
a mangé de la viande ou n’a pas jeûné
le jour de Vénus, qui précède le jour
du Soleil, qui le premier suit-la pleine
Lune de l’équinoxe de Printemps, est
condamné au Tartare , pour y souffrir
éternellement à côté de celui qui a
.percé le sein d’un père ou d’une mère ;
manger certains alimens, en certains
jours, est donc un crime égal à celui d’un
fils, qui souille ses mains d’un parricide.
Quelle confusion dans les idées du
juste et de l’injuste, ou de ce qui est permis
par la Nature et la raison, et de
ce qui ne l’est pas ! Cette association
bizarre des ridicules et des vertus, des
jouissances que permet la Nature, et
des crimes qu’ejle proscrit, tourne nécessairement
au détriment de la morale
, et expose souvent l’homme religieux
à prendre le change , lorsqu’on
lui présente, confondues sous les mêmes
couleurs , des choses aussi distinguées
par leur nature. On se forme alors
une conscience fausse, qui conçoit des
.scrupules aussi grands pour l ’infraction
d’une loi absurde, qu’elle en doit concevoir,
pour la loi la plus inviolable et
la plug".:sacrée ..pour tout;homme,pensant
pet qui attache autant d'importance
à des pratiques superstitieuses et puériles
, qu’elle en doit attacher aux vertus
réelles, et aux qualités sociales.
La multiplicité des devoirs qu’on impose
à l’homme en affoiblit le lien, et
souvent le force à se méprendre sur
le choix. S’il n’est pas éclairé, il se
trompe presque toujours,, et il mesure les
choses sur le degré d’importance qu’on
lui a dit qu’il falloit y attacher. 11 est
à craindre sur-tout que le peuple, quand
une fois il a franchi la ligne qui sépare
ce .qui est permis de ce qui ne l’est
pas, n’étende le mépris qu’il a fait
d’une prohibition ridicule et injuste ,
sur une autre qui ne l’est pas ; et qu’il
ne confonde, dans l’infraction , les ioix
que le Législateur a cru juste de faire
observer par la menace des mêmes
peines. Il a lieu de croire, que celui
qui lui a interdit, comme crime, ce
que le besoin impérieux de la Nature
lui commande et semble légitimer,
ne l’ait également trompé , en lui défendant
ce que réellement elle condamne
j et que si les feux de l’amour
ne sont pas des forfaits , ceux de la
colère n’aient des effets également légitimes
, puisque le tempérament et la
Élature les allument tous les deux. Il est
à craindre , que la défense qu’on fait à
l’homme de manger le pain d’autrui, en
tout temps , ne lui paroisse aussi injuste,
que celle qui lui défend de manger le
sien en certains jours , quoique le besoin
de nourriture le presse ; et que
les menaces de l ’enfer, pour le premier
crime ne soient pas plus réelles, que
pour l’autre , attendu que celui qui le
trompe sur un point peut bien le
tromper sur deux. Gomme on ne lui a
pas permis de raisonner sur la légitimité
des défenses . qu’on lui fait, et
des devoirs qu’on lui impose , et qu’il
n’a d’autre règle qu’une foi aveugle;
dès qu’il cesse d’être" crédule, il Cesse
presque toujours d’être vertueux , parce
qu’il n’a pas été accoutumé à éclairer
du flambeau de la raison sa marche
*t sa conduite; etiqu’on lui a fait chercher
ailleurs, qu’en lui-même, les principes
de la justice'et de la morale. Plus
»ne défense est injuste et ridicule, plus
on est tenté de s’en affranchir ; et une
fois que le peuple s’,est enhardi, jusqu’à
s’élever au-dessus du niveau d’une loi,
il ne lui en coûte plus guères, pour les
franchir toutes. Dès qu’une fois il ne
croit plus à l’enfer, il ne croit plus à
la morale qu’on avoit appuyée sur cette
crainte ; et il cesse d’y croire, quand
à tout propos on le présente à ses yeux,
pour punir les moindres foiblesses et
les plus légères infractions. Comme il
doit être damné pour toujours, en vio--
lant les préceptes ridicules des Prêtres,
il ne lui servira plus de, rien de respecter
les loix des Législateurs ; puisque
déjà l ’arrêt de mort est prononcé, et
qu’il ne peut arriver un plus grand
mal. Ainsi, le frein qu’on avoit employé
pour le retenir, après l ’avoir fatigué
sans raison long-temps, devient bientôt
inutile pour le conduire; Une fois rompu,
rien ne peut plus, l’arrêter ; il est
sourd à la voix de la raison, depuis
que la Religion liii a défendu d’y prêter
l’oreille , et lui a recommandé de se
défier d’elle.
La crainte de l ’enfer n’empêchera pas
de voler et de .s’enrichir, par des voies
injustes , un homme qui croit être déjà
damné pour des intrigues-amoureuses ,
dont il ne peut se débarrasser, ou pour
avoir méprisé des'observations puériles
et des abstinences’, auxquelles il ne petit
s’assujettir. Le pas est franchi pour lui;
et il ne respecte pas plus une loi sociale
qu’il' n’â ' respecté . tirfé loi religieuse ,
quand il n’en voit .pas l’infraction distinguée
par la nature des peine®. A
force d’avoir étouffé dès remords factices
, pour des crimes chimériques , il
vient à bout d’étouffef dés'’remords
réels, que la Nature attaéhé"aux véritables
crimes.
Il en est de même pour la pratique des
vertus, et p rurl’observation des devoirs
religieux, quand ces devoirs ne sont
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