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 leur  supplice  plus  cruel,  La  morsure  
 des  bêtes  féroces  ou  des  reptiles  ,  la  
 fiamme  dévorante déchiroit  ou  brûloit  
 éternellement  leurs  corps.  Tel  étoit.le  
 sort de ceux qui,  après avoir  passé leur  
 vie  dans  le  crime  ,  étpient  livrés  aux  
 Furies, qui  les  conduisoient à  travers le  
 Tartare  dans l ’Erèbe  et le  Caiios  (1).  , 
 On n’a voit,  comme  on le  voit,  rien  
 négligé  pour  rendre  la  plus  affreuse  
 qu’il  fut  possible  la  peinture  des  
 enfers,  afin  d’inspirer  une  grande  terreur  
 au  crime.  Ces  récits  effrayans  entroient  
 dans  la  première  éducation  ,  
 que  les  nourrices  et les  mères  crédules  
 donnoient  à  leurs  enfans ;  et  on  sait  
 combien  sont fortes et durables ces premières  
 impressions  ,  sur-tout  quand  
 l’opinion  publique,  ou  l’exemple  de  
 la crédulité des autres,  de  grands Poètes  
 tels  qu’Homère,  de grands Philosophes  
 tels  que Platon,  un  respectable Hiérophante  
 ,  des images ,  des tableaux ,  des  
 sacrifices funèbres, d’augustes  mystères,  
 le silence des Sanctuaires; quand  tout se  
 réunissoitpour fortifier et perpétuer cette  
 croyance.  Je  dis  cette  croyance  ,  car  
 il falloir beaucoup  de  foi ;  aussi c’étoit  
 la  première  chose  qu’on  exigeoit  de  
 l ’initié ,  à  qui  on  ne  donnoit  et  on  
 ne  pouvoit  donner  de  preuves  ni  de  
 bonnes  raisons  des  choses ;  qu’on  lui  
 enseignoit.  J’écoutai et  je  fus  obligé  de  
 le  croire  sur parole ,  dit  Plutarque  (2),  
 ou  plutôt  un  des  interlocuteurs  de  son  
 traité  sur  la  cessation  des , oracles  ,  
 comme  on  fait  dans  les  initiations  et  
 les  mystères,  ne  pouvant  tirer  ni  démonstration  
 ni  preuve de ce qu’il  avan-  
 çoit. Il s’agissoit des promesses,  que l’on  
 faisoit  à  l’homme  vertueux,  de  jouir  
 après  sa  mort  dé  la  vue  du  champ  de  
 la  vérité ;  vision,  en  comparaison  de  
 laquelle, dit-il,  l’Epoptée  des  mystères  
 d’ici-bas  n’étoit  qu’un  songe.  La  foi  
 étoit  donc  la base  des  dogmes  de  l’initiation  
 ; et la première profession qu’on 
 |li)  Ibid.  p.  371. 
 (a)  Plut.  de Oracyl.  defect. 
 y  devoit  faire, comme chez nous,  étoit  
 celle d’une grande crédulité. Ce principe  
 une fois àdmis, l’imposture a beau jeu, et  
 le  prestige  n’est  plus  difficile.  Rien  ne  
 coûte plus à l ’homme ,  qui a fait le sacrifice  
 de sa raison ; il n’est point de fable si  
 absurde, qui ne devienne alors la sagesse  
 et la  raison  publique  d’un  peuple.  La  
 fable  de  l’Elysée  et  du  Tartare,  sous  
 différens noms et sous différentes formes  
 plus  ou  moins  agréables,  a  parcouru  
 l’Univers, et a servi à établir des craintes  
 superstitieuses ,  plutôt qu’à  donner  aux  
 hommes  des  vertus.  Car  celles-ci  ont  
 leur  racine  dans  la  vérité  et  dans  la  
 raison,  ennemies  naturelles  du  mensonge  
 et  du  délire  religieux.  A  ces  
 deux  fables  s’en  joignit  une  troisième,  
 celle  du  Purgatoire  ou  des  expiations,  
 et  celle-ci  fut  la  mieux  conçue par  les  
 Prêtres, parce  qu’elle  fut  la  plus  lucrative  
 pour  eux.  On  se  fit  payer  pour  
 déliver  l’homme  de  la  crainte  des  horreurs  
 du  Tartare,  et  pour  lui  faciliter  
 la  route  vers  le  séjour  de  la  félicité.  
 Voici  comme  on  raisonna. 
 On  peut  distinguer  les  hommes  en  
 trois  classes  (y). Les uns  ont une  vertu  
 épurée,  et  une  ame  affranchie  de  la  
 tyrannie  des  passions  ;  c est  le  plus  
 petit nombre ; ce sont les élus. Lesautr.es  
 ont  Paine  souillée  des  plus  noirs  forfaits  
 ;  ce n’est  pas encore  le  plus  grand  
 nombre heureusement. Il en est d’autres,  
 et  c’est incontestablement le plus grand  
 nombre, qui ont des moeurs communes,  
 qui sont demir vicieux, demi-vertueux, et  
 qui ne sont dignes ni de l’Elysée  , ni  du  
 Tartare ;  c’est-à-dire,  dont  la conduite  
 tient  le .milieu  entre  celle  des  hommes  
 très-justes et celle des hommes très-criminels. 
  Cette  triple  division  nous  est donnée  
 par  Platon  lui-même  ,  dans  le  
 Phédon  (  3  )  ,  lorsqu’il  distingue  
 trois  espèces  de morts ,  qui  vont  com-  
 paroître  au  redoutable  tribunal  des  enfers. 
   Elle  se  trouve  aussi  faite  par Plu- 
 (3)  Plato inPhsed. p. 11). 
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 tarque  ( 1 ) ,  qui  traite  le  même  sujet,  
 et qui  disserte sur  l’état des âmes après  
 la  mort,  dans  sa  réponse  aux  Epicuriens. 
   Voici  comme  s’exprime  Platon  
 dans  son  Phédon  ,  après  nous  avoir  
 donné  la  description  de  la  terre  céleste  
 ,  et  des  demeures  souterraines.  
 «  liés  choses  étant  ainsi  disposées  par  
 »  la  Nature ,  lorsque  les  morts  sont  
 »  arrivés  dans  le  lieu, où  le  Génie  fa-  
 »  milier  de  chacun  l’a  conduit,  on  
 »  commence  d’abord  par  juger  ceux  
 »  qui ont vécu conformément aux règles  
 »  de  l’honnêteté ,  de  la  piété ,  et  de  
 35  la  justice ;  ceux  qui  s’en  sont  abso-  
 »  lument  écartés ,  et ceux  qui  ont  tenu  
 »  une  espèce  de  milieu  entre  les  uns  
 »  et  les  autres.  Ils  s’avancent  ensuite  
 »  tous  vers  l’Achéron  ;  et  montant  
 »  sur  les  barques  qui  leur  sont  desti-  
 »  nées,  ils  passent dans  le marais ,  où  
 »  ils  doivent  habiter  quelque  temps  :  
 »  jusqu’à  ce'qu’ayant  subi le châtiment  
 »  de  leurs  injustices,  et  s’étant  puri-  
 33  fiés  de  leurs  souillures ,  ils  puissent  
 »  en  sortir,  pour  y  recevoir,  chacun  
 33  proportionnellement à son mérite,  la  
 »  récompense  du  bien  qu’ils  ont  fait.  
 »  Parmi ceux  que l’on punit  ,  s’il en est  
 »  qui,  par  l’énormité de leurs  forfaits ,  
 »  soient  regardés  comme  incurables ,  
 »  tels  que ceux qui se sont  rendus  cou-  
 »  pables  de  grands  sacrilèges,  tels  que  
 »  lès  assassins,  tels enfin, que tous  ceux  
 »  qui  sont  noircis  de  forfaits  ,  ceux-là  
 »  sont, Comme ils le méritent, précipités  
 »  dans  le  Tartare  d’où  ils  ne  sortiront  
 »  jamais ». 
 Voilà  bien ceux que la Religion  Chrétienne  
 désigne,  sous  le nom  d’hommes  
 coupables  de péchés  mortels,  et qu’elle  
 condamne à  des supplices  sans  fin,  ou  
 qu’elle  livre  à  la  damnation  éternelle.  
 Voyons maintenan t ce qu’éprouvent ceux  
 qui n’ont que des péchés  véniels,  et les  
 effets de cette distinction,  que sûrement  
 Platon  n’a  pu  emprunter des  Chrétiens. 
 (1)  Plut,  non posse  suavit  y iv ...  p.  1104- 
 (2)  Plut.  ibid.  p.  114. 
 i S i 
 «  Mais  ceux,  continue  Platon,  qui  se  
 »  trouvent  avoir  commis  des  péchés,  
 »  grands  à  la  vérité  ,  mais  pourtant  
 »  dignes  de  pardon,  comme  de  s’être  
 »  portés  à quelque  excès contre un père  
 »  ou  une  mère ,  dans un  mouvement  
 »  de  colère,  et  qui  en  ont  fait  péni-  
 »  tence  le  reste  de  leur  vie ;  ou même  
 »  ceux  qui,  également  par  colère,  se  
 »  seroient  rendus  homicides,  de  quel-  
 »  que  autre manière  :  ceux là  sont en-  
 »  voyés  aussi  dans  les  prisons  du  Tar-  
 »  tare,  mais  pour  une  année  seule-  
 33  ment ;  après  lequel  temps,  les  flots  
 »  les rejettent; les homicides par  le  Co-  
 »  cyte ,  et  les enfans  coupables  de vio-  
 «  lence  à  l’égard  de  leurs  parens,  par  
 »  le  Phlégéton  (2).  Lorsqu’une  fois  ils  
 »  sont rendus près du marais de l’Aché-  
 »  ron ,  ils  sollicitent à grands  cris  leur  
 »  grâce,  de  la  part  de  ceux  qu’ils  ont  
 »  tués ou outragésjils les invoquent,afin  
 »  d’obtenir  d’eux  la  liberté  de  débar-  
 »  quer dans  le marais  et d’y être reçus.  
 »  S’ils  réussissent  à  les  fléchir,  il!  y  
 »  descendent  et  là  finissent  leurs  tour-  
 »  mens ;  autrement  ils  sont  repoussés  
 »  de -nouveau  dans  le  Tartare,  et  de  
 »  là rejetés dans les fleuves ;  et ce genre  
 »  de  supplice  ne  finit  pour  eux, que  
 3>  lorsqu’ils  sont  venus  à  bout  de  flé-  
 »  chir  ceux  qu’ils  ont  outragés.  Telle  
 33  est  la  peine  portée  contre  eux  par  
 >3  l’arrêt  des  juges  redoutables ». 
 Nous  avons vu plus haut Platon, dans  
 son Gorgias(3) ,  établir la même distinction  
 entre  les  coupables.,  dont  les  uns  
 ont  commis  des  fautes  que  rien  ne  
 peut  expier ,  et  dont  le  supplice  doit  
 éternellement  effrayer  ceux  qui  voudraient  
 les  imiter,  et  dont  les  autres  
 ont  conservé  des souillures, qui peuvent  
 s’effacer,  et qui n’ont pas d’autre moyen  
 de  se délivrer  des  suites de  leurs  injustices  
 ,  que  de  subir un  châtiment  momentané. 
   Le Juge des enfers,  en les  en.  
 voyant  les  uns  et les autres  au  lieu  des 
 (3)  Plat.  Gorgias, p.  525.