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Firmicus, que les Phrygien* n’y voyoient
qu’une représentation allégorique des
phénomènes de la nature , et une suite
de faits physiques, déguisés, sous, le voile
d’une histoire merveilleuse j ce qui a
été le caractère Universel de toutes les
fables sacrées, chez tous les Orientaux.
Julien (1) , dans son Discours sur la
Mère des Dieux, reconnoît cette vérité,
et il donne la raison de ce génie allégorique
des Peintres de la nature. 8i ce
caractère a été celui de tous les Prêtres
et de tous les Ecrivains sacrés de tous
les peuples , à plus forte raison a-t-il dû
être celui des Prêtres des Phrygiens, chez
qui l’apologue étoit en si grand honneur.
Comme ces fêtes étoient liées aux
époques les plus remarquables de l’année
| aux équinoxes , moment où la
Nature fait éclore tous" les germes de
son sein , et où ensuite elle perd sa
fécondité. et rentre dans le repos dé
l ’hiver, ceux qui ont cherché les causes
physiques de cette institution , ont arrêté
leurs yeux aux opérations agricoles
et aux phénomènes périodiques
de la végétation du blé , c’est-à-dire ,
aux effets, plutôt qu’aux causes, et aux
objets secondaires de ces fictions , plutôt
qu’aux agens réunis de la végétation
universelle. Ces fêtes étoient lugubres
dans les premiers jours (2) , et accompagnées
de deuil, de gémissemens et
de cris lamentables, sur la mort d’Alys ;
et ensuite de cris de joie, au moment de
son retour, qué l’on célébrait dans les
Hilaries. « Vous hurlez, ditFirmicus, en
» action de grâces de la renaissance des
» fruits 3 vous vous lamentez, pour
» vous réjouir ensuite. » Firmicus leur
reproche de chercher à déguiser les objets
de leurs larmes et de leurs regrets ,
en se couvrant du prétexte d’une allégorie
physique , à laquelle Firmicus se
refuse à tort , comme ont fait tous
les Ecrivains Chrétiens, qui Yoyoient 1
(1) Julian. Ora.t.
(a) Firmic. p. 8.
avec peine , que leurs adversaires fissent
évanouir le ridicule apparent de leurs
fables et de leurs cérémonies religieuses
en les rappelant à leur véritable origine
, à l’histoire figurée de la Nature.
Les Chrétiens trouvoient leur compte à
convaincre d’absurdité les Payens ; et,
quoique la Physique fût effectivement la
base de la Religion de ces derniers,
leurs explications étoient siincomplettes
et si peu satisfaisantes , que les Chrétiens
sortaient toujours avec avantage
de la dispute. Mais ils ne dévoient pas
cependant conclure, qu’on ne pût pas
donner de bonnes explications , et des
raisons satisfaisantes du culte de leurs
adversaires , parce que celles qu’on leur
donnoit étoient effectivement assez
mauvaises. De ce qu’une bonne cause
est mal plaidée, il ne s’ensuit pas qu’elle
ne puisse être mieux plaidée, et qu’elle
soit mauvaise, parce qu’elle est mal défendue.
C’étoit pourtant la. conclusion
que tiraient les Ecrivains Chrétiens,
avec une espèce de triomphe insolent,
fondé tout entier sur l’ignorance , où
étoient la plûpart des Payens de leur
propre Religion. Ils savoient seulement
en gros, que toutes ces absurdités n’étaient
qu’apparentes ; qn’il y avoit un
point de vue physique, sous lequel ces
fictions dévoient être' envisagées , 'et
sous lequel on retrouvoit toute la sagesse
des anciens. Mais dès qu’ils s’ef-
forçoient d’expliquer, ils n’étoient pas
heureux, parce qu’ils manquoient de la
première des clés, celle que fournit
l’instruction, sans laquelle il est impossible
de pénétrer dans les sanctuaires
de l ’antiquité.
Porphyre donne une explication
tirée, n on pas des moissons et des fruits,
comme celle dont nous parle Firmicus,
mais des fleurs ( 3 ) , dont, suivant lui,
Atys est l’emblème ; de ces fleurs qui
tombent avant le fruit. Cette explication
n’est pas plus satisfaisante , quoique
(3) August. de Civ. Dei, p. 7, e. îj.
physique ; car si la véritable explication
estnéeessairemenntphysique, il ne s’ensuit
pas pour cela qu’elles soient bonnes,
précisément parce qu’elles sontphysiques.
1 Les explications de Varron (1) rap-
pelôiént aussi le culte de Cybèle et
d’Atys à la Nature ; ët c’étoit une conséquence
nécessaire de l’opinion , qui
faisoit de la Terre, principe passif de
toutes les productions , la Divinité physique
adorée sous le nom de Cybèle.
Varron cherchoit même l’explication de
la plûpart des attributs de cette Déesse,
dans les propriétés et les qualités de la
Terre, dans sa figure et sa solidité ,
et dans les villes qui la couvrent (2).
La plûpart de tous ses attributs et des
symboles mystérieux de son culte , suivant
cet Auteur, sont relatifs à l ’ordre
du' monde. Cette assertion est vraie ;
mais les explications qu’il en donne ne
sont pas plus heureuses. Pour nous,
sans nous arrêter aux différentes inter prétations
, que les anciens ont données
des emblèmes religieux et des fictions
sacrées , qui appartiennent au culte de
Cybèle et d’Atys, nous continuerons
de rassembler les traditions variées de
leurs aventures et les pratiques superstitieuses
de ce culte.
Les Phrygiens racontent (3 ) , qu’un
certain Mæon, roi de Phrygie, eut
de Dindyma sa femme une fille, qui
fut exposée sur le mont Cybèle , où
elle fut nourrie par des lionnes et
des panthères , et d’autres animaux farouches
, qui venoient l’allaiter. Des
femmes, qui venoient y faire paître leurs
bestiaux, témoins de ce miracle, enlevèrent
ce jeune enfant, et lui donnèrent
le nom de Cybèle et de Déesse
des Montagnes, à cause de la montagne
où elle se trouvoit ainsi exposée. Devenue
plus grande, la jeune Princesse se fît
remarquer par sa beauté, sa chasteté ,
et par son esprit inventif (s). Ce fut
elle qui la première inventa les instruit)
Ibid. 1. 4,e. 10, et 1. 7, e. 2.
(a) Ibid. I. 7, c. *4 et c. 2J.
(j) Diod. Sicul. 1. 3, c. 58,p. 126, eu:
mens de musique , les cymbales ,
les tambours, la flûte et les danses.
Marsyas le Phrygien , connu par son
talent pour la musique ( 4 ) > s’attacha
à elle,et l’accompagna’ jusques
dans le Nord , où elle porta ses pas
errans,après la mort d’Atys. Atys étoit
un jeune Berger Phrygien, dont elle
était devenue amoureuse, et qui la rendit
mère. Son père s’en étant apperçu, fit
périr, non-seulement son amant infortuné
, mais même sa nourrice. Cette
mort porta le désespoir dans Paine de
Cybèle , et le délire dans son esprit ,
au point qu’elle s’exila et courut les
montagnes, en poussant d’affreux hur-
lemens, au bruit des tambours et des
cymbales. Apollon, qui la rencontra
dans cet état, en devint amoureux ;
écarta Marsyas son rival, qu’il fit périr
et écorcher vivant, et accompagna Cybèle
, jusques dans les contrées Hyper-
boréennes. Cependant la Phrygie , où le
corps d’Atys étoit resté sans sépulture,
fut frappée de stérilité et affligée de la
peste ; et elle ne trouva de remède à
ses maux, qu’en faisant rendre la sépulture
au corps du malheureux amant de
Cybèle , et ' en l’honorant elle - même
comme une Déesse ( 5 ) , conformément
à l’oracle d’Apollon, qui leur ordonna
de chercher les restes d’Atys.
Comme ils ne les trouvèrent point, et
qu’il n’en restait plus rien , ils firent
une image de ce jeune homme, à qui
ils rendirent les honneurs funèbres,
en donnant tous les signes de la douleur
la plus vive , et exprimant par,
leurs gémissemens les regrets de cette
mort, en expiation de leur crime. Cybèle
elle-même eut ses autels, et fut
honorée par des sacrifices renouvelés
tous les ans. On plaça, près de sa
statue, des images de lions et de panthères
> en mémoire de ce que ces
animaux avoient pris soin de la nourrir.
Les Phrygiens conservèrent, jusques
(4) Ibid. c. 59.
( j) Diod. ibid. 1. J , e. 57,