employèrent, pour attirer les peuples
dans les Sanctuaires , ajoutons-y les
espérances, qu’ils donnoient,etlès hautes
promesses , qu’ils faisoient à ceux qui
se seraient fait initier. L’Initié se re-
gardoit comme le favori des Dieux (i) ;
pour lui seul le Ciel ouvroit ses trésors
; heureux pendant sa vie par la
vertu et par la faveur du Ciel, il pou-
voit encore après sa mort se promettre
une félicité éternelle. On ne craignit
point de prodiguer des promesses, qu’on
ne s’engageoit point à garantir , et
dont l’inexécution ne devoit jamais être
reprochée à ses auteurs , au moins
pour celles qui ne dévoient avoir leur
effet qu’ après la mort; et celles-là étoient
les plus grandes et les plus pompeuses.
Cependant on en osa hasarder quelques
unes, même pour cette vie, dont la
crédulité des peuples étoit le plus sûr
garant ( a ).
Les Prêtres de l’île de Samothrace
accréditèrent sur-tout leurs mystères, en
promettant des vents favorables, et une
heureuse navigation à ceux qui se faisoient
initier. Les Argonautes, battus
de l ’orage , font voeu de relâcher
dans cette île ( 3). L’orage s’appaise ,
les Dioscures paroissent ; les navigateurs
abordent à l’entrée de la nuit, se font
initier, et repartent avec l’espérance
,d’unehéureu§e navigation.On promettent
aux Initiés l’apparition des Cabires ( c ) ,
ou de Castor et de Pollux, Dieux tutélaires
des navigateurs ( 4 ) , ceux qu’Ho-
race invoque dans une de ses Odes,
afin d’obtenir une heureuse navigation
pour le vaisseau, qui doit porter V irgile
en Grèce. Ces Dieux , apparoissant au
milieu d’un orage ( 5,) , avoient le pouvoir
de le calmer aussitôt. C’étoient eux
qu’iavoquoient des navigateurs menacés
d’un naufrage, comme on invoque S. 1
(1) Sor.tocl. apud Plut, de aud'enêl. Poetis.
(а) Cicer. de Legib. 1. 2.
(3j Apoli. Argon. 1. 1 , v- 915— 18.
(4) Biod. Sic. 1. 5.
(5) Vêtus Apoli. Scl'oI. 1. 1.
(б) SchûitÂrist. de Face. .
Nicolas. Ilfaut convenir, que de pareilles
promesses dévoient être d’un grand prix
chez des Insulaires , et pour tous les
navigateurs en général. Le Scholiaste
d’Aristophane d it, que les Initiés à
ces mystères sont des hommes justes,
qui ont le privilège d’échapper ( 6 )
aux plus grands maux et aux tempêtes
( uf).
On voit, par un passage de Démos-
thène, que l’Initié aux mystères d’Orphée
, après avoir été purifié, étoit
censé s’être soustrait à l’empire du mal,
pour passer à un état de vie qui lui
donnoit des espérances plus heureuses.
J’ai évité le mal, lui faisoit-on dire,
et j’ai trouvé le mieux.
Les Initiés aux mystères d’Eleusis (7)
se persuadoient, que pour eux seuls
le Soleil brilloit d’une clarté pure.
Ils se flattoient, que les Déesses les
inspiraient et leur donnoient de sages
conseils, comme on voit par l’exemple
de Périclès (8).
L ’initiation dissipoitles erreurs, écar-
toit les malheurs (9) ; et après avoir
répandu la joie dans le coeur de l’homme
pendant sa vie , elle lui donnoit encore
les espérances les plus douces au moment
de la mort, comme l’attestent
Cicéron et Isocrate ( 10). Nous devons,
dit- ce dernier, aux Déesses d’Eleusis,
d’être affranchis de la vie sauvage des
premiers hommes , et les flatteuses es-
péranoes que nous donne l’initiation,
pour le moment de la mort et pour
toute l’éternité. L’avantage que nous
retirons de ces augustes cérémonies,
dit Aristide ( x 1 ) , n’est pas seulement
la joie présente , ni la délivrance et
l’affranchissement de nos anciens maux;
. mais encore la douce espérance , que
nous avons à la mort, de passer à un
état plus heureux.
(7) Aristoph. in Ranù, V. 773.
(8; Sopater. 1$) Aristid. in Eleus.
(10) Isocrat. in Pane^yr. Cicer. d$ Leg. I. a»
(11) Aciîtid. in Eieusm.
Ce sont ces grandes promesses , qui
ont fait dire à Théon ( 1 ) , que la participation
aux mystères étoit la plus
belle chose, et la source des plus grands
biens. En effet, la félicité qu’on s’en
promettait ne se bornoit pas à cette
vie mortelle ; mais elle s’étendoit encore
su-deià du tombeau. Là commençoit
une nouvelle vie, durant laquelle l’Initié
devoit jouir d’un bonheur sans mélange
et sans bornes. Les Corybantes pro-
mettoient la vie étemelle aux initiés
aux mystères de Gybèle et d’Atys (2),
On voit évidemment par Apulée (3),
que le grand objet des Isiaques etoit
de tracer à l'Initié le tableau de la vie
future , pour laquelle on lui donnoit les
plus grandes espérances. C’est ce qu’on
apperçoit au milieu du récit imposant,
qu'il nous fait de ce qu’il a vu : «Je
» me suis, dit-il, approché des confins
» de la mort : ayant foulé aux pieds
» le seuil ’de Proserpine , j’en suis re-
» venu à travers tous les éiémens. Au
» milieu de la nuit, le Soleil me parut
» briller d’une lumière éclatante. J’ai
» été en présence des Dieux supérieurs
» et inférieurs , et je les ai adorés de
» fort près ». La Déesse lui d it, que
lorsqu’il aura atteint le terme de sa
vie , il descendra aux enfers ; qu’il habitera
l’Ely6ée, et que même , dès ce moment
, il peut se promettre de longs
jours sur la terre , où il vivra heureux
et plein de gloire sous sa protection.
Isis avoit le pouvoir de détourner les
malignes influences des Astres, d’arrêter
l’exécution de l’arrêt des Parques , et de
faire échapper les navigateurs aux périls
de la mer.
LJnitié étoit sûr d’occuper une place
distinguée dans le séjour des ombres (4) 3
et sa vanité jouissoit du frivole espoir
de n’être point confondu dans la foule
des profanes, dont l’initiation l’avoitdéjà
séparé pendant sa vie. Le droit de pré-
(1) Theon in Paradèig.
(a) De Ci-vic Dei, k 7 , c. 14.
C-î) Apulée Metam. 1. u.
séance sur les autres ombres lui étoit dévolu
, et les Enfers avoient aussi leurs
privilégiés. Les Chrétiens ont admis absolument
les mêmes dogmes. Il n’y aura
dans le Paradis que des Chrétiens, et ils
formeron t la caste heureuse et privilégiée
de l’Empire des Morts. Certaines sectes
d’initiés se flattoient de l’espoir d’habiter
avec les Dieux, et de tenir la place qui
approcherait le plus de la Divinité (5),
Nous avons le même préjugé sur nas
Saints. Toutes ces sottises viennent à-
peu-près de la même fabrique, et ont
été jetées dans le même moule; seulement
les biens promis étoient différens ,
et on servoit chacun suivant son goût.
Aux Thraces, qui aimoient le vin et qui
en buvoient largement, on leur promit
des banquets , et le nectar qui devoit les
enivrer éternellement. Mahomet promit
aux Asiatiques, qui aiment les femmes,
un Paradis peuplé de.jeunes Ouris, ou
de femmes toujours jeunes et toujours
vierges. La secte desChrétiens, née dans
un pays où l ’on vante beaucoup l’harmonie
céleste et les concerts donnés par
les Anges , et les autres intelligences,
dont la Chaldée avoit formé un ordre
hiérarchique , distribué dans tontes le*
Sphères , ont un Paradis dont lés Anges
composent l’orchestre, et où les intelligences
sacrées entonnent des hymnes,
devant le trône de Dieu. Les hommes
y joueront encore à la chapelle, et ce
qui amuse ici bas les sots, les amusera
encore après la mort. Les Grecs., amateurs
des arts, de la danse, de la musique,
des exercices gymniques et des
fêtes champêtres, dévoient retrouver
tous ces plaisirs dans l’Elysée, et satisfaire
complètement le goût que chacun
avoit eu sur la terre. On y connoît le
Paradis d’un peuple aimable , qui transporte
dans l'Elysée les fêtes et les jeux
de la Grèce , et qui en fait 4e séjour des
talens et des arts d’agrément.
(4J AEscbin. ,in Axioch. p.61. Laert. 1. 6, Viiâ
Diog. p. 389. Arist/Scholiasrl adRan. v. 773.
(53 Platon Phædon. p. i n .