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anlres obscurs ; on planta des bois très-
épais autour des temples , pour y répandre
cette obscurité, qui imprime une
espèce de frayeur religieuse. Le nom
même de mystère , suivant Démétrius
de Phalère (2;) , étoit une expression
métaphorique , qui désignoit 1 horreur
secrète que les ténèbres inspirent. La
nuit fut presque touj ours destinée à
leur célébration (1) , et on les désigna
ordinairement, sous le nom de veilles,
ou cfe sacrifices nocturnes (2). Toutes
les religions ont eu leurs pervigilia ,
ou veilles sacrées (3). On donnoit à
ces nuffs le nom de nuits mystiques et
de nuits saintes (4)- La nuit de Pâques
est une' de ces veilles, pervigilium
Paschae{5). Oniuitioitla nuit aux'mystères
de Samothrace. Les cérémonies
de l ’initiaLion aux mystères d’Jsis, dont
parle Apulée , se eéïèbrôient la nuit ,
comme les autres mystères. Pour y être
admis, il falloir en obtenir la permission
du Grand-Prêtre.
Euripide fait dire à Bacclius, que ses
mystères se célèbrent la nuit (6), parce
que la nuit a quelque chose d’auguste
et d’imposant. On voit, donc , que “ce
n’est pas sans dessein que ies auteurs
de ces institutions , qui avoient étudié
la nature et tous ses rapports avec notre
organisation , avoient préféré la nuit
àu jour, pour la célébration de leurs
mystères (y ). On peut dire, que l ’obs-
cnrité leur est favorable , et qu’ils redoutent
le trop grand éclat du jour ,
ai- physique comme au moral : car si la
lumière appartient à la vérité , les ténèbres
forment l’apanage de 1,’imposture
et du mensonge, .La raison et la philosophie
jettent une lumière qu’ils redoutent.
Énfans de la n u i t i ls ne peuvent
reposer sûrement que dans l’ombre ;
et 1® prestige disparoît, au moment où
la îaison commence à luire. 1
(1) Demetr. de Eiccut. §. 101.
(2) Cic. de legib. I. 1. Aristoph. Schol.
(3) Evagr. Hist. Eccl. 1. 1 , c. ï 1. ïjeas. in.
(4) Sapat. Qÿest. 348.
Rien ne pique autant la curiosité
de l’homme , que l’air mystérieux sous
lequel on cache les choses , qu’on veut
qu’il désire çonnoître ; rien ne l’irrite
et ne l’accroît autant qu® les obstacles
qu’on semble apporter à la satisfaction
de son désir. Les Législateurs et les
Hiérophantes anciens profitèrent de cet
esprit de curiosité , et des moyens de
lui donner toute son activité , pour
conduire le peuple dans leurs sanctuaires
, et lui faire chercher des leçons ,
qu’il auroit peut-être fui, s’ils eussent
paru empressés de les lui offrir. Ils don-
n oient à cet esprit de mystère un prétexte
plus spécieux , celui d’imiter la
Divinité , qui se dérobe à nos. sens ,
et quise plaît à cacher les ressorts qui font
mouvoir l’univers. Mais ailleurs ils conviennent,
qu’ils ont caché les plus grandes
vérités sous le voile de l’allégorie ,
pour piquer davantage la curiosité de
l ’homme , et l’exciter à faire des recherches.
Il en fut dre même du secret dans
lequel on ensevelit les mystères. Il eut
le même but. Ceux à qui on le çonfioit
s’engageoient, par les plus teriibles set-
mens, à ne pas le révéler (7) ; et cela ,
afin d’en attirer d’autres , et de ne pas
se priver, pour la suite , d’un moyen
aussi puissant pour propager la doctrine
et multiplier le nombre des Disciples.
Il n’étoit pas permis de s’entretenir de
cet important secret avec d’antres ,
qu’avec les Initiés (8)., et la peine, de
mort étoit prononcée contre l’indiscret
qui l’auroit trahi, ou qui seroit entré clans
le temple, sans être initié. On fuyoit ,
comme un excommunié , celui qui auroit
trahi le secret, comme on le voit
dans Horace. Od. 2 , 1. 3.
Aristote fut accusé d’impiété par
l’Hiéropliante Eurymédon , pour avoir
sacrifié aux mânes de sa femme , suivant
le rit usité pour Gérés. Ce Philosophe
(3) Ftym. Mae. Cic. de Nat. Deor, 1. r.
(6) Eurip. in Bacch. v. 486.
(7) Firm. Astrcl. 1. 7 , in Lin,
(is) Meurs. Lleus. c. ao.
fût
fut obligé (1) de se retirer à Chalcis ; et
pour laver sa mémoire de cette tache ,
il ordonna, par son testament, d’élever
une statue à Gérés : car le sage, tôt ou
tard , a la foiblesse de sacrilier aux
préjugés des sots. Socrate sacrifie, en
mourant, à Esculape pour se disculper
du soupçon d’athéisme, et Buffon meurt
dans les bras d’un Capucin. C’est le
talon d’Achille pour les plus grands
hommes. La tête de Diagoras fut mise
à prix , pour avoir divulgué le secret
des mystères. Sa philosophie pensa lui
coûter la vie. Et quel homme en effet
peut -être impunément philosophe, au
milieu d’hommes subjugués par les préjugés
religieux ! Andocicle fut accusé
du même crime , ainsi qu’Alcibiade, et
tous deux cités au Tribunal de l’Inquisition
d’Athènes , le plus, terrible qui fût
jamais, puisqu’il traduisoit le coupable
devant un peuple crédule, qui le devoit
juger. Le Poète Eschyle est accusé d’avoir
mis sur. la scène des sujets mystérieux
, et il ne peut être absous , qu’en
prouvant qu’il n’avoit jamais été initié,
La politique, d’accord avec la superstition
, son grand instrument, punissent
de_ mort quiconque auroit cherché
a détruire le prestige : religieux , ou auroit
affoibli le désir et le goût, qu’on
avoit voulu faire naître pour ces sortes
d’institutions , en établissant la loi du
secret. II y a beaucoup de choses en
religion , dit Varron , sur lesquelles ,
quoiqu’elles soient fausses , il est dangereux
d’éclairer le peuple (2) ; et de-là
sontvenus le secretet le mystère, qu’on a
mis dans les anciennes initiations (z).
Nos sociétés de Francs-maçons ( et
les initiations n’étoient qu’une véritable
francmaçonnçrie ) n’attirent parmi
elles de nouveaux frères , que par le
secret prétendu de la francniaçonnerie ,
que chacun veut çonnoître. C’est la curiosité
qui nous y conduit ; le serment
et une petite vanité nous y lient. Nous
Sommes bien aises de laisser les autres
(0 Diog. Laert. 1. 5, c. 1.
lielig. Univ. Tome II.
dans la même ignorance où nous étions
nous-mêmes , et dont la curiosité peut
les tirer , quand il le.ur plaira de se faire
recevoir. Si le serment et la vanité
peuvent ainsi conserver un secret, et
procurer à une association de nouveaux
membres, par le seul attrait du mystère,
qu’étoit-ce chez les Athéniens, où l’indiscrétion
la plus légère étoit punie de
mort ? Qu’il y eût réellement un secret,
qu’il n’y en eût pas, on en soupçonnoit
un , et très - important , puisque les
hommes et les Dieux punissoient si
rigoureusement celui qui auroit osé le
divulguer. 11 n’y avoit donc pas d’autre
moyen de le çonnoître,que de se faire ini-
tieretd’entrer dans la confrérie ; cétoit là
qu’on vouloit amener les hommes pàr
la loi du secret ; et c’étoit le fin mot de
l’initiation. On avoit fait naître le désir
par l'art du mystère ; on le faisoit croître
par les difficultés mêmes de le satisfaire
, et par les épreuves préliminaires
qu’on exigeoit.
On avoit laissé échapper des sanctuaires
les dogmes , que tout le monde
avoit intérêt de çonnoître.
Séneque , comparant la philosophie
à l’initiation , dit que les plus saintes
cérémonies ne dévoient être connues
que des seuls adeptes ; mais qu’il y avoit
plusieurs préceptes, qui étoient connus,
même des profanes ( Senec. Epist. 95. )
Tel étoit le dogme des peines et des récompenses
, qui étoit le véritable but
qu’on s’y proposoit d’atteindre; mais on
cacha ce but en attachant de l’importance
à des mots mystiques , à certaines
représentations magiques, sur lesquelles
spécialement deyoit être étendu le voile,
et destinées iniquement à fortifier l’opinion
de l’existence de l’Elysée et des
Enfers. On donna aussi de l’importance
aux moyens de persuasion,pour mieux la
produire ; on fit perdre de vue l’objet
principal, en fixant l’attention sur l’accessoire
; et on craignit de trahir le
(a) August. de Chutât. 1. 4; c. 31.
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