cherie avoit été employée par tous les
Législateurs, chez tous les peuples du
monde. Que Zathraustes , chez les
Arimaspes, en faïsoit honneur au bon
Génie*; que Zamolxis, chez les Getes,
peuples qui aduiettoientl’immortalité de
l ’ame , disoitles avoir reçues de Vesta;
et qu’enfin, chez lés Juifs, Moïse feignit
tenir ses loix de Jehova, ou d’Iao,
comme l’appelle Diodore ; soit qu’ils
regardassent tous, comme divine et miraculeuse
, une invention qui devoit être
utile aux hommes , soit parce que le
peuple , subjugué par le respect qu il
portoit à la majesté de ceux qu’on sup-
posoit être inventeurs de ces loix, en
seroit plus religieux obsfervateur. Diodore
avoit bien saisi le génie de tous les
anciens Législateurs, et le système politique
des Chefs des premières sociétés.
L ’imposture et le prestige ont été
le principal ressort politique, et le
grand moyen de civilisation. C'est de
ce point qu’il faut partir , comme d’un
axiome incontestable.
Les historiens Juifs supposent que leur
Législateur , qu’ils nomment Moïse ,
celui dont vient de nous parler Diodore,
étoït fort instruit dans la science des
Egyptiens, c’est-à-dire, d’un peuple
cliez lequel tous les Législateurs ont
été s’instruire ; et cette science étoit
celle de conduire le peuple par les idées
religieuses. Car nulle partailleurs qu’en
Egypte, on n’a vu la Religion exercer
un plus grand empire , et le despotisme
sacerdotal mieux établi. Or ce
Moïse se donnoit pour un homme inspiré
,et il avoit appris assez de magie chez
les Egyptien», pour en imposer à un
peuple aussi crédule et aussi stupide,
que l’étoit le peuple Juif. Jamais le
prestige et l’imposture religieuse n’ont
aussi beau jeu, qu’auprès de pareils
hommes! Mais ce Moïse, avant de
donner ses loix sociales, son code et
son rituel religieux, feint d’avoir des
entretiens avec la Divinité, et d’avoir (i)
reçu'd’elle les tables de loix, qu’il donne
aux Hébreux. 11 va il l’écart, sur une
montagne , préparer pendant plusieurs
jours les machines qu’il doit faire jouer,
pour imiter la foudre et les éclairs.
Le jour arrivé pour opérer le prodige,
il assemble le peuple autour de la montagne
, à une certaine distance néanmoins
, dans la crainte que l’illusion ne
soit manquée, et la supercherie découverte.
Alors une forte explosion, semblable
à celle de la foudre, se fait entendre.
Les éclairs brillent ; il se perd
quelque temps lui-mêrne, au milieu de
la fumée de cette espèce de feu d’artifice
; puis il redescend et apporte au
peuple crédule lés loix, qu’il avoit rédigées
, et qu’il dit avoir reçues de
Dieu même , pour le bonheur de son
peuple.
Si Moïse n’eût eu à établir que des loix
purement sociales , et s’il n’eût eu à faire
qu’à un peuple éclairé > capable comme
le nôtre de sentir les principes de raison,
de justice et d’intérêt général, dont
doit émaner toute législation , Moïse ,
sans doute, n’auroit employé que des
moyens humains, l’éloquence et Jè. raisonnement.
Mais il parloit à un peuple
brut , et il vouloit appuyer ses loix
de la force de l’opinion religieuse :
alors il eut recours au prestige. Quel
mortel, en effet, oseroit en son nom ,
donner les règles du culte de la Divinité
, et le code de sa justice P On étoit
donc réduit, comme l’ont fait tous les
Législateurs , à supposer des Théophanies.
Bacchus, dans Euripide ( 1 ) , répond
aux questions de .Penthée, qui
lui demande de qui il a reçu son nouveau
culte et ses mystères! Baechus,
que Penthée ne reconnoît point, dit
qu’il les tient de Bacchus , fils de Jupiter
, qui lui a ordonné de les propager ;
qu’il s’est montré à ses yeux , et qu’il
lui a dicté lui-même les loix de cette
institution religieuse. Rhadamante dit,
qu’il a reçu de Jupiter les lo i* , qu’il
( i) Euripid. Bacch. p. 460V
donne à la Crète (1). Minos se renferme
dans un antre sacré, pour composer
son code de loix, qu’il dit tenir
de Jupiter lui-même. Zoroastre en fait
autant en Perse ( 2) , lorsqu’il veut établir
le Magisme , suivant l’abréviateur
de Chondemîr , cité par Hyde. Il se retire
à l’écart ; if suppose une apparition
d’une grande lumière, et une conférence
avec un Génie, etc. Alors il propose
l’établissement de son nouveau
culte. Il dit, que le Zend-Avesta ( 3 )
est descendu du Ciel. Le même Hyde,
dans un autre chapitre, où il parle des
Législateurs des anciens Perses, rapporte
qu’Ardeshir assemble tous les
chefs dé Religion de son royaume. Il
en choisit un pour être réformateur
du code religieux ; néanmoins
il ne veut point d’innovation, qui ne
soit autorisée par le Ciel- Le nouveau
Réformateur va dormir et éprouve une
extase, pendant laquelle son ame semble
être sortie de son corps. An bout de
sept jours , elle se réunit au corps ;
l’homme Divin déclare qu’il a rendu
visite à la Divinité , et il fait venir un
scribe , pour écrire tout ce qu’il a appris
des Dieux. On Voit ici les Législateurs,
toujours d'accord avec les Prêtres, travailler
à tromper les peuples,pour les conduire
avec plus d’autorité. On voit aussi
par lu même passage , que le. croyance
des peines et des récompenses de l’autre
vie, étoit un des principaux dognïes
que ces Prêtres cherchèrent à établir,
en fascinant les yeux par des espèces
de prodiges, qui seuls pouvoient accréditer
leur doctrine , êt qui leur procurèrent
beaucoup de Disciples. On
prétend que Manès, po.ur faire recevoir
sa doctrine , employa cette vieille ruse
des Législateurs anciens; qu’il s’enferma,
durant une année, dan s une caverne (4),
où il avoit au soin auparavant de mettre
des provisions , et qu’au bout de l’année
il en sortit, avec le livre de ses dogmes,
qu’il disoit avoir reçu du Ciel. On fit
parler le Ciel, toutes les fois qu’on en
eut besoin , et qu’on trouva les peuples
disposés à y croire ; ce qui arrive toujours
dans les siècles d’ignorance.
Les Athéniens eux-mêmes furent
dupes de l’adresse du Solon, qui profita
du même moyen que Numa, pour
disposer le peuple à recevoir ses loix.
Toute la ville d’Athènes fut troublée
par des craintes superstitieuses , par des
spectres et des fantômes : sans doute
que Solon n’avoit pas peu contribué à
faire répandre ces bruits par ses émissaires
et à lés accréditer. Les Devins
publièrent , qu.il paroissoit par les victimes
, que la ville étoit souillée de
crimes et d’abominations , qu’il falloit
purger. Sur quoi on fit venir de Crète
Epiménide , qui avoit la réputation
d’être un homme saint, fort aimé des
Dieux , et profondément savant dans
les choses divines", sur-tout en ce qui
regarde l’inspiration et les cérémonies
les plus mystérieuses et les plus cachées,
on" l’appeloit de son teras le nouveau
Curète, et le fils de la Nymphe Balte.
Ce fut lui qui fraya à Solon le chemin
pour publier ses loix, et les faire recevoir
au peuple; et parmi les moyens
qu’il employa , les plusimportans furent
les propitiations, les expiations , les
fondations de "Temples et de Chapelles.
Il purifia si bien la ville ,
qu’il la rendit soumise et obéissante à
tout ce qui étoit juste, plus souple ,
plus docile , et plus aisée à être contenue
sous les loix d’une heureuse harmonie.
On voit qu’Epiménide , d’ac-
cûrd en cela avec Solon, usa des mêmes
artifices que Numa , et sentit toute l’importance
d’appuyer les loix sur la Religion
, et d’affermir la Religion elle-
mêm'é par le cérémonial, l'es purifications,
et tout .l’appareil de la supèrs-
(>) Strabon. I. 10, p. 476, Diod. 1. 5 ,
75- .
(a) Hyde de yet. Pers.- p. 317.
-(3) Ibid. p. 3 i7 .
(4) Ibid. p. 283.