science; mais quand il est question de
morale, chacun porte dans son coeur le
principe de ses devoirs, et la lumière de
la raison seule peut les lui faire apperce-
voir. Eclairer le peuple, c’est ne pas le
tromper ; c'est ne lui point donner d’idées
fausses; et pour cela il suffit du silënce.
L'ignorance absolue des opinions fausses
est une véritable science ; alors il nous1
reste la , raison , telle que la Nature
nous l ’a donnée, avant qu’elle fût corrompue
par l ’éducation. Qu’il y a p£u
d'hommes, qui aient été assez sages pour
détruire les erreurs de l’éducation,et qui,
à force de philosophie, aien t pu revenir
à cette heureuse ignorance ! C’est alors
qu’on est vraiment éclairé ; le peuple l’eût
été , sous ce rapport , si on ne lui
eût rien appris. Alors on eût pu sur un
terrain neuf élevér l'édifice id’une éducation
simple , fondée sur les -notions
naturelles au ; juste et de Pinjusté. ;La
Nature a placé loin de nous i.-i science;
mais aussi elle est inutile au grand nom-
fere;la vertuestnécessaineà tous; et làNa-
ture l’a placée près de nous. Nous apper-
cevons son image (sacrée, aussitôt que
nous écartonsle voile, qui empêche la vérité
de faire tomber sur elle les rayons de
sa lumière. Nous désespérons des succès
de la raison , et nous la1 regardons
comme un moyen insuffisant pour conduire
les hommes ; et cela avant d’avoir
jamais essayé ce moyen. La chose mériterait
au moins d’être une fois' tentée,
avant de prononcer que la raison a peu
d’empire suc le-peuple ;> que c’est à
l ’illusion et au prestige qu’il appartient
de le-conduire. Les grands maux, auxquels
ont donné et donneront encore
long-temps lieu ces dangereux; ressorts,
devroient nous rendre plus circonspects
dans notre' jugement. Enfin , L'imti
posture et l’erreur ont été souvent funestes
à'Thumanité / etr jamais la 'éai-
sonne l’a été à ceux qui ont-marché sous
sa conduite, et qui- se sont laisses'guider
par sa lumière divine. Les Législateurs
anciens et tons Ceux qui le*.ont
imités se sont donc trùmpéà, en-appelant
des opinions fausses à l’appui de
la vérité , et en faisant reposer le système
politique et législatif, sur le fantôme
bizarre des idées religieuses ; au
lieu de l’affermir sur les fondemens éternels
de la vérité et de la raison perfectionnée.
Ils dévoient instruire les hommes les
Îjlus susceptibles' d’éducation et de phi-
osophie, et, par l’exemple de ceux-ci,
former les moeurs des hommes les plus
grossiers. Une génération instruite au-
roit donné naissance à une génération
plus Instruite encore',’ et le flambeau
de la raison, en parcourant les siècles,
ne se serbiî pins jamais-éteint. Les Législateurs
n’auroient plus eu rien à faire
pour perfectionner notre espèce , et ils
auroient atteint le dernier terme de civilisation
et de-morale, auquel l ’homme
puisse prétendrepau lieu-qu’ils sont restés
bien loin de ce but. Toutest aujourd’hui
à refaire en politique et eit inorale, parce
qu’on a toujours bâti au milieu des
ténèbres , et qu’on avoilî-mis au nombre
des instrumens politiques l ’imposture
dés chefs ; ' et l’ignorance êdes peuples.
Ainsi la raison des sociétés a ni sa,
lumière s’éteindre dains l’obscurité des
Sanctuaires, où tout étoit préparé pour
la détruire , ét ;poùr établir sur ses débris
l’empire de l’imagination et des sens.
Telle fut la cïutse et le but de -ces grandes
institutions'] qui, sous des dehors soi*-
vent imposans / ten dolent à conduire
l’homme'au bien et à la vérité, par
tes routes trompeuses de Terreur , et en
mettant en jeu leg deux grands ressorts
des déterminations humaines, la crainte
et l’espérance. C’est -sur ces deux pivots
que roule toute notre view; ce fut aussi
sur eux qu’on lit rouler cette grande
machine politique et religieuse: C'est
pour la faire mouvoir,'qu’on, créa le
dogrb& d e f immortalité de lame , et de
la doctripe desopèittes et des récompenses
à venir, qui oiit formé le sujet
principal ides ledons, que l’on donnojt
aux initiés à Ces^mystères. - Il seroit- difficile de persuader aux
hommes , que la vertu mette toujours
dans l’aisance ici-bas celui qui la pratique
, et que le vice rende toujours malheureux
celui qui s’y abandonne. L ’imposture
eût été trop grossière, et personne
n’y eût été trompé. On s’appuya
donc de la croyance d’uné autre vie
après celle-ci, durant laquelle îh vertu,
souvent méprisée et persécutée sur la
terre, seroit magnifiquement récompensée
; et où le crime , souvént heureux
et puissant ici-bas ,' seroit un jour
rigoureusement puni. Les raisonnemens
métaphysiques sur la nature de lame
humaine/et sur la justice des Dieux,
dont celle des hommes n’étoit qu’une
foiblê image 1 vinrent à l’appui de ce
dogme théologique sur la vie future ;
et 1 homme qui croit tout, où il ne voit
rien , reçut volontiers les nouveaux
dogmes, dont rien après tout ne lui
annonçait la fausseté. Telle fut l’origine
clés idées, qu’eurent les anciens
sur l’Elysée et le Tartare, régions nouvelles,
dont s’empara la Mystagogie, pour
prolonger son Empire au-delà du tombeau,
et perpétuer les craintes et lés espérances
des mortels, qu’elle voulort attacher
à l’observation des loix , au bon
ordre, et au maintien du bonheur des
sociétés. L ’amour de l’homme pour la
justice n’étant pas toujours désintéressé
/on voulut l’y attacher par son propre
intérêt ; on lui prépara un appât qui
l’attiroit à la vertu ; et on mit en âvant
des craintes, qfti dévoient l’éloigner du
vice, -ce Tous ceux qui ont été chargés
» de donner des leçons de justice et de
» vertu aux hommes, dit Adimante ,
» un des interlocuteurs du second livre
» de la République de Platon (1), ont
» toujours recommandé la justice, moins
»pour elle-même , qu’en considé-
» ration des avantages qu’on en retire,
* et sur-tout pour la gloire 'qu’il y a
“ de paroître juste, et -ce qui est une
» suite naturelle, par l’espoir des places
» et des dignités, que la réputation
» de justice peut procurer. 11 en est
M Plat, de Rep. 1. a. p. 363.
» de mêmepour la piété,qu’on entretient
» par l ’espérance des grands biens, que
*> Jes Dieux versent avec profnsion sur
» ceux qui leur sont chers. » Platon rappelle
ici les magnifiques promesses, que
les poètes Homère et Hésiode font aux
rois et aux autres hommes qui pratiquent
la justice. « Le gland, disent-ils , croît en
» abondance au sommet des Chênes ; des
» essaims d’abeilles placés au milieu y
» composent le miel qui en découle. Les
» Brebis pour eux se chargent des plus
» belles toisons. » Et ailleurs ils disent :
« que le Ciel favorise un roi juste
k et _ religieux ; que la 'Terre , de
» son sein fécond , produit de riches
33 moissons , et des grains de toute
3» espèce ; que les arbres se courbent
» sous le poids des fruits ; que ses Trou-
33 peaux se multiplient par leur grande
» fécondité ; et que les mers lui four- 3> hissent des pêches abondantes (p ) ».
Musée èt son fils portent encore plus
loin la vanité des promesses en faveur
des justes ; ils les conduisent-, par leurs
fictions, dansle séjour des ombres, et les
placent sur des lits somptueux , autour
d’une table, sur laquelle a été préparé le
banquet sacré des âmes vertueuses. La
tête ceinte de Couronnes , ils s’y plongent
dans une ivresse éternelle, que ces Poètes
regardent comme la plus belle récompense
dé la-vertu. Il faut convenir, que
c’étoit bien là le Paradis des Thiac.es ,
qui mettaient le souverain bien dans
l’ivresse ; aussi disoit-on en proverbe ,
boire comme un Thtace. Orphée et Linus
avoient, dit-on , apporté ces fictions
religieuses de la Thrace. Platon ajoute,
que quelques-uns étendoient encore plus
loin les effets de la bienfaisance des
Dieux ; que l’on promettait une nombreuse
postérité à l’homme vertueux et
religieux , et la perpétuité de sa race.
Cette promesse ressemble assez à celle
que Dieu fait à Jacob , et à ce que dit
David, dans un de ses Pseaumes , que
Dieu bénit la postérité de l ’homme juste.
Telles étaient les promesses , dont on