La Colonne de-lumière , cet air parfait
, c’est l’Ether , la substance lumineuse
du firmament , ou plutôt de l’Em-
pyrée , dont l’ame est une ém anation,
et à laquelle elle va se réunir , lorsqu’elle
a recouvré sa simplicité , et sa
pureté primitive. C’est vers cette patrie
qu’elle tend ; et c’est pour lui en faciliter
les moyens, qu’on inventa l’initiatioEnn.
effet, n’imaginons pas , que cette
scientifique théorie des anciens, sur l’origine
de l’ame , sur sa descente, son habitation
ici-bas , et son retour , se réduisît
à une comtemplation stérile de
la nature du monde , et des êtres in-
telligens, qui s’y trouvent. Ce n’étoit
point une spéculation oisive , sur l’ordre
du monde , et sur l’ame ; mais bien
une étude des moyens d’arriver au
grgndbut, que l’on se proposoit, savoir,
au perfectionnement de î’ame ; et par
une suite nécessaire, à celui delà morale
et des sociétés (,y ). Car c’étoit là le
centre , auquel aboutissoient toutes les
parties dusystême politique des anciens
Législateurs ; et le dernier but de toutes
les fictions sacrées ou morales d:es premiers
Philosophes , qui voulurent former
l’homme. La terre , suivant eux,
n ’étoit point la patrie de l ame , mais
un lieu d’exil pour elle. Sa patrie étoit
le Ciel ; c’est de là qu’elle tiroit son
origine. C’est là le lieu , vers lequel
sans cesse elle devoit tourner ses regards.
L’homme n’étoit point une plante
terrestre ; ses racines étaient, disoit-on,
dans le Ciel, C’étoit là , qu’il était à
sa véritable place. Il en étoit déchu ;
il devoit s’efforcer d ’y retourner. La
chute de l’arne s’appeloit la perte d e ses
ailes. Elle les perdoit en les laissant
enchaîner par la viscosité de la matière ;
elles les recouvroit, en s’en détachant,
et elle prenoit son essor vers les Cieux.
dLea matière et le trop étroit commerce l ’ame avec elle, étaient donc le grand
obstacle au retour de l’ame vers le lieu
ft) Æneid, 1. 6, v. 732-
pur, qui lui avoit donné naissance , et
qui devoit la recevoir. Lesliensdu corps
l’enchaînoient ; les membres mortels
étouffoient son activité ( 1 ) , et émous-
soient la pointe de son intelligence. Elle
étoit souillée par un contact trop étroit
et trop long.avec la matière terrestre ,
avec laquelle ses sens entretenoient
son commerce. Il falloit donc faire divorce
avec les sens, et avec, tout ce qui
est tactile et visible , pour s’unir par
la contemplation à l’être invisible, qui
est l’être réel, le seul digne d’occuper
lam e (z). La matière du corps e'tant le
principe de toutes les passions, qui troublent
la raison, qui égarent l’intelligence,
et souillent la pureté de l’ame, on enseigna
à l’homme à affoiblir l'action de
la matière sur l’anie , et à rendre à celle-
ci son empire naturel sur le limon ,
auquel elle est- attachée par la génération
, et dont la mort doit un jour la
séparer. Encore^, après cette séparation,
est-il à craindre, que l’ame ne conserve
des souillures contractées dans ce long
commerce , lesquelles retarderont sa
marche vers les Cieux (2). Ce fut pour
obvier à cet inconvénient, qu’on imagina
les lustrations , les expiations , les
jeûnes , les macérations , la continence
, et sur-tout les initiations , et
l’art Télestique. Plusieurs de ces pratiques
, dans l’origine , n ’étoient^ que
symboliques , et des signes matériels ,
qui indiquoient la pureté morale , qu’on
exigeoitdes initiés, mai&quidans la suite
furent regardées comme causes productrices
de cette pureté , dont elles
n’étoient que les signes extérieurs.
Cest ainsi que l’eau du Baptême , qui
primitivement désignoit la purete , que
devoit avoir un Chrétien,fut censée avoir
la vertu de la donner à l’ame , et être
une cause réelle de l’innocence qu’elle
.étoit supposée rendre,au lieu d’être prise,
■ Qpmme elle le devoit, pour un signe allégorique
de cette pureté, qu’on exigeoit.
L ’effet de l’initiation devoit être 1®
(2) Ibid. r. 735 , etc,
même,que celuide la philosophie,savoir,
d’épurer l’ame des passions , de diminuer
l’empire du corps sur la partie
divine de l’homme , et de lui donner
ici-bas une jouissance anticipée de la
félicité, dont il devoit jouir un jour , et
de la vue des êtres divins. Aussi les Platoniciens
, tels que Proclus , ensei-
gnoient-ils , « que les mystères et les
35 initiations retiroient les âmes de cette
» vie mortelle et- matérielle , pour les
» réunir aux Dieux , et dissipoient,
» chez les Adeptes , les ténèbres de
» l'ignorance' , par l’éclat de la Divisa
rite » . Tels étaient les fruits précieux
de l’Autopsie, ou du dernier degré de
la .science mystique , celui de voir la
nature dans ses sources, ainsi que dans
ses causes, et dans les êtres réels , suivant
Clément d’Alexandrie (1) , dont
nous ne cesserons de rappeler le passage
, parce qu’il est décisif.
Sans cette habitude pour l’ame , de
contempler les êtres placés hors du
monde visible , et de se séparer en quelque
sorte déjà du corps , pour s’élever
par l’esprit vers ces régions lumineuses ,
d ’où elle étoit descendue , elle couroit
risque d’être retenue dans la matière
élémentaire , après sa mort , et d’éprouver
un obstacle à son retour , et
conséquemment de prolonger son exil
et ses maux. C’est Cicéron, qui nous
l’apprend. « L ’ame, dit Scipion (2) à
son fila, a toujours existé, et existera
» toujours. Qu’elle s’exerce dans la
3» pratique des vertus , si elle veut ob-
» tenir un retour facile vers le lieu
de son origine. Et les actions , qui
» doiven t sur-tout l’occuper, sont celles,
» qui ont pour objet la patrie , et les
» moyens de la sauver. C’est à ce p rix,
33 que l’ame pourra plus facilement ob-
3» tenir son retour vers les lieux, qui
» lui ont donné naissance, et prendre
» un libre essor vers son séjour na-
» turel. Elle y réussira d’autant plus
(1) Clera. Strom. 1. 3.
■ Cicer. Som. Scip. c. 9.
33 vîte , si dès le temps présent, où elle
» est encore enfermée dans la prison
33 du corps , elle en sort par la
33 contemplation des êtres supérieurs au
33 monde visible, et si elle fait en quelque
33 sorte divorce avec le corps et avec les
3> sens , au-dessus desquels elle se sera
» élevée. Quant à ceux qui se seront
33 rendus esclaves des plaisirs du corps,
» livrés aux attraits de la volupté , et
33 aux mouvemens désordonnés des
33 passions, et qui auront violé les lois sa-
33 crées de la religion et des sociétés ,
» leurs -amès, en sortant du corps à la
» mort , resteront ici-bas dans les ré-
>3 gions visibles de la terre , où elles
3> seront roulées dans la matière gros-
» sière ; et elles ne remonteront au Ciel,
» qu’après qu’elles auront été purifiées ,
13 dans de longues agitations aux-
». quelles, pendant plusieurs siècles, elles
33 seront livrées (a) ». Voilà donc’ le
grand but moral et politique de ces
spéculations sur l’ame , et sur ses rapports
avec l’ordre du m onde, dont elle
occupoit le bas, ou le haut , plongée
dans les ténèbres, ou absorbée dans la.
lumière , suivant qu’elle avoit été plus
ou moins vertueuse , et qu’elle s’étoit
abandonnée aux jouissances du corps ,
ou s’en était sevrée, en commandant à
ses passions et à ses sens. Certainement
cette théorie , comme nous l’avons
dit , n ’étoit point primitivement
une spéculation oisive , ni une stérile
Contemplation de la nature , dont on
voulût occuper les initiés dans les
temples. La perfection de l’homme en
étoit le grand objet, et la Mystagogie ,
par des voies différentes , et plus propres
à étonner les sens , tendoit au même
but que la ‘ Philosophie. Aussi Platon
promet-il l’Elysée aux Philosophes, qui
auront pris soin d’épurer leur ame des
passions (3) ,à ceux qui se seront attachés
à la recherche de la vérité; qui auron t méprisé
les biens , qu’estiment les autres
(3) Plat, in Gorgiâ. p. 52S, Phæd. p. 114et 10S.