
 
        
         
		sages  et vertueux,  au  lieu  d’être  presque  
 toujours  employée  par  des  fripons  
 ,. qui  peu  inquiets  de  faire  germer  
 la  vertu ,  n’ont  cherché' qu à  acquérir  
 de  la  puissance  et  des  richesses ,  
 eût  pu ,  jusqu’à  un  certain  point,  être  
 tolérée par ceux  qui  croient, qu’on peut  
 tromper pour  être  plus  utile.  C est  ainsi  
 qu’on pardonne quelquefois  à une mer«  
 tendre,  de  préserver  son  enfant  d’un  
 danger  réel  par  des  frayeurs  chimériques  
 , de  le menacer  du  Loup ,  pour  le  
 rendre plus docile  à  ses  leçons,  et pour  
 l ’empêcher de se faire mal ; quoiqu’après  
 tout ,  il  eût encore mieux valu le surveiller  
 ,  le  récompenser  ou  le  punir,  que  
 de  lui  inspirer  des  terreurs  paniques  et  
 des  préjugés  ridicules,  qui  influent  sur  
 la  trempe  de  son  ame,  et  le  rendent  
 souvent  timide  et  crédule.  Aussi  les  
 Epicuriens  blâmoient-ils  fort  ces  contes  
 absurdes  sur les  peines  à  venir,  et  ces  
 fables sur l ’Enfer, parce qu’elles n’étoient  
 propres ,  disoient-ils,  qu’à  inspirer  des  
 craintes et de vaines terreurs (1). Platon,  
 dans  sa  République,  ne  veut  pas  non  
 plus  qu’on  en  parle  à  ses  braves eleves  
 ( a ) ,   parce  que  rien  n’est  plus  propre  
 à  dégrader  l ’ame ,  et  à  affoiblir  le  courage. 
   Mais  enfin  on pardonneroit peut-  
 être la fiction , lorsqu'elle  se  propose un  
 grand  bien ,  et qu’elle  peut y  conduire.  
 La fictionde l’Elysée, par exemple,  chez  
 les  peuples  du  Nord  ,  avoit  un  but  
 utile,  celui  de  fortifier  le  courage  des  
 guerriers,  et  de  leur  faire  braver  la  
 mort,  par  la persuasion  où  ils  étoient,  
 que  leurs  âmes  seraient  reçues  dans  
 le  Walhala,  -ou  dans  le  séjour  de  la  
 félicité  éternelle.  Pour j celui  qui  mourrait  
 en  combattant  pour  sa  patrie,  la  
 mort  n’étoit  qu’un  passage  à  un  état  
 plusheureux. Cètte idée attachait chaque  
 soldat à la défense de la  chose publique,  
 et  ce  préjugé  ne  pouvdit. qu’être  utile  
 à  la  société  qui l’avoit  qdopté.  Le Vo-  
 luspa  ( 3 )  place dans  l ’ênfonceinent  des 
 Plut, NoniP<^sp Suavit. Yiyere. t.  2,p. no®,  
 (a)  Plate de RejabiL 1. 3. 
 vallées  le  fleuve  Slidur,  un  des douze  
 fleuves  infernaux,  qui  roule  un  limon  
 fangeux  au lieu d’eau.  Il place, au contraire  
 ,  sur  des  montagnes  escarpées ,  
 comme  l ’étoit  la  Terre  Sainte  de  Platon, 
   les  Salons  dorés  du  Syndre  (4 ) ,  
 et  la  maison  de  Brymer ,  où  l ’on  boit  
 d’excellentes  boissons.  On  reconnoît  
 encore  ici  le  Paradis  d’un  peuple  du  
 Nord.  C’est  peut-être  cette  opinion  des,  
 Septentrionaux  et  des  Thraces-,  qui  
 a fait imaginerle Nectar,  dont s’enivrent  
 les  Héros  admis  au  rang  des  Dieux.  
 Cette idée de bonheur attachée à l’ivresse  
 n’a  pu  naître, que chez  des Peuples un  
 peu adonnés au vin et aux liqueurs fortes'.  
 On  prétend  qn’Odin  ,  après  avoir  fait  
 assembler les compagnons de ses exploits,  
 se  fit neuf grandes  blessures avec  le  fer  
 d’une lance,  et qu’il leur d it,  qu’il alloit  
 en Scythie prendre place  avec les Dieux  
 à un festin  éternel,  où il recevrait honorablement  
 tous  ceux qui  mourraient  les  
 armes à la main. Tel fut ,  dit-on , la mort  
 de ce Législateur extraordinaire , qui s’é-  
 toit proposé  de former un peuple  brave  
 dans les  combats,  et toujours  armé pour  
 sa  liberté. On  lui  donnoit  pour  femme  
 Frigga  ,  à  qui  il  avoit  confié  la  charge  
 de  recevoir  aussi  les  âmes  des  femmes  
 courageuses ,  qui  mourraient  en  combattant. 
   Ces  fictions  venoient à  l’appui  
 de la morale de ces peuples,  qui avoient  
 pour  maxime  ,  qu’il  vaut  mieux  vivre  
 bien  et vivre  libre  ,  que long-temps ;  et  
 que  c ’est  à  tort qn’on  redoute  le fer  dé  
 l ’ennemi ; que si on échappe à la guerre,  
 on n ’échappe  jamais à la vieillesse.  Que  
 tout  passe  pour  l’homme ,  excepté  le  
 jugement  qu’ on  porte  des  morts. 
 R  était défendu  chez  eux  de pronom  
 cer  le  nom  de  la peur,  même  dans  
 les  plus grands  dangers. Quiconque pre-  
 noit  la  fuite  dans  un  combat,  perdoit  
 tons  ses privilèges ,  et  n’étoit  pins  censé  
 faire partie  du  corps de  la  Nation.  Les  
 biens  du  coupable  étoient  confisqués ; 
 (3)  'Voluspa , v. 3a. 
 D).  Ibid. 
 son  nom  et  son  crime  étoient  écrits  
 sur  un  poteau  dans  la  place  publique,  
 afin  que  chacun  .le  connût  et  évitât  sa  
 rencontre. On  voit  aisément,  que la Religion  
 et  la  Politique  avoient  un  même  
 but,  celui  de  former  une Nation  intrépide  
 et  conquérante ;  et  c’est  là  surtout  
 ce  qui  rendit  ces  Peuples  si redoutables  
 à  toute  la  terre.  Si  leur  courage  
 se fût  borné  à  défendre  leurs propriétés  
 et  leur  liberté,  on  n’eût  pu  qu’applaudir  
 à  ce préjugé d’un Peuple belliqueux ;  
 mais  la  Religion  produisant  l’enthousiasme  
 guerrier,  donna  naissance.à  un  
 esprit  de  brigandage ,  qui  leur  fit  attaquer  
 les  propriétés  et  la  liberté  des  
 autres. Ainsi l’institution  religieuse  elle-  
 même ,  malgré  la  grandeur  et  l ’utilité  
 de  son but,  devint,  par  un  abus  presque  
 nécessaire, la source des plus grands  
 maux pour l ’humanité  entière. On chercha  
 à  exalter  le  courage ;  on  ne  songea  
 pas  assez  à  l’enchaîner  par  les  liens de  
 la  j ustice,  et  à  le  contenir  dans  les  
 bornes d’unejustedéfense. Il est vrai que  
 ces  peuples  imaginèrent  pour  les  médians  
 le Nastraud  ,  cachot  vaste,  construit  
 de cadavres de Serpens,où couleun  
 fleuve empoisonné,  sur lequel flotteront  
 les parjures et les meurtriers ; tandis que  
 les  braves  iront  habiter  Gimel  ou  le  
 C ie l,  dans  un  palais  d’or  pur.  Mais  
 il  ne  s’agit  ici  qùe  des  meurtre's  entre  
 concitoyens,  et  non  pas  de  ceux  que  
 commettent  les  conquérans,  qui  ,  pour  
 être  des meurtriers  plus  illustres  ,  n ’en  
 font pas moins les fléaux  de  l ’humanité. 
 Chez  les  Grecs et  chez  les  Romains ,  
 la  fiction  de l’Elysée  et du Tartare  étoit  
 destinée à  maintenir  les  lois,  à  en cchi-  
 rager  le  patriotisme,  les  vertus  sociales  
 et  les  talens  utiles  à  l ’humanité;  et  à  
 intimider  le. crime  et  toutes  les  actions  
 contraires  à  l ’honnêteté et à l’utilité publique. 
   On peut  dire,  que  c’est sur-tout  
 chez  eux,  qu’elle  a dû produire de bons  
 effets ;  et Cicéron, ainsiqu’Isocrate, ont 
 (1)  Cic. de Leaib.  I.  2.  Isoc. Paheg. 
 fi)  Aristoph. Kan. y.  362—368. 
 eu raison, jusqu’à un certain  point, d’avancer  
 (1) que l’on avoit les plus grandes  
 obligations  aux  auteurs  de  ces  institutions  
 ,  qui avoient contribué au bonheur  
 et  à la  perfection  des  sociétés,  si  l ’imposture  
 peut  jamais  être  un  bienfait.  
 En  effet  , ;  nous  avons  déjà  vu  que  
 l ’on  excliroit  des  sanctuaires  ,  et  conséquemment  
 de  l ’Elysée,  tous  ceux qui  
 n’avoientpas cherché à étoufferune conjuration  
 naissante,  et  qui au  contraire  
 l ’avoient fomentée.  Sous  ee  rapport nos  
 prêtres ,  protecteurs de l ’aristocratie aujourd’hui, 
 en  âuroientété  bannis, sicenx  
 qui s'arrogent le droit d’en ouvrir ou d’en  
 ,  fermer l’entrée pouvaient en  être exclus.  
 On excluoit aussi tous les citoyens, qui s’é-  
 toient laissés corrompre(2), ou quiétoient  
 coupables  de  trahison  envers  leur  patrie, 
   en  livrant  à  l ’ennemi  une  place ,  
 en  lui  fournissant  des  vaisseaux  ,  des  
 agrès  ,  de  l’argent,  ete.  ;  les  parjures,  
 les  imposteurs ,  les  impies,  les  scélérats  
 ,  etc.  Virgile  nous;  fait  l ’énumération  
 des crimes punis aux Enfers.  Ici  on  
 voyoit  un  frère  (3) ,qu’une haine  cruelle  
 avoit  armé  contre son frère ;  un  fils  qui  
 avoit maltraité  son père ;  un  patron  qui  
 avoit  trompé  son  client;  un  avare,  un  
 ■ égoïste,  et Ces  derniers forment le  plus  
 grand  nombre  des  hommes;  plus  loin  
 étoit un adultère, un  esclave infidèle, un  
 citoyen qui, s’étoit  armé  contre  ses  concitoyens. 
   Celui-ci  avoit  vendu  à  prix  
 d’argent sa patrie , et ami  du despotisme  
 il lui a voit donné un maître. Celui-là avoit  
 été  payé  pour  faire  passer  ou  détruire  
 des lois.  On  voyoit  ailleurs un  père  incestueux  
 ,  qui  avoit  souillé  le  lit  de  sa  
 fille ;  dés  épouses  cruelles,  telles que les  
 filles de Danaüs,  et par-tout on  y punissait  
 l ’homme  injuste  et  irréligieux,  tel  
 que  les  Salmonées  et  les  Sisyphes,  les  
 Tytius,  les  Ixions,  dont  la  lubricité ne  
 respectoit riten ; les  pères barbares,  qui,  
 comme Tantale,  avoient outragé la Nature  
 et les Dieux.  Platon y place  les ty- 
 (3)  Virgil  Æneiil.  6, v. 6o8,