170 R E L I G I O .N vU N I V E R S E L L E;
ont assez de bon sens , pour ne pas y échapper. Une fois dévoué aux Furies
croire ou pour en lire (jri. D’où nous vengeresses , il lui étoit inutile de faire
conclurons, qu’elle doit etre proscri- des efforts pour arriver à l'Elysée , qui
te , puisqu’elle n’a jamais su se ren- lui étoit fermé, et de chercher à. réparer
fermer dans les bprnes sacrées d’une par des vertus l’erreur'd’un moment. Il
sage morale , et d’une bonne lé- n’avoit plus d’intérêt à éviter le crime, si
gislation , sans étendre ses préceptes l’arrêt fatal qui le conduisoit au Tartare
plus loin que la nature et la raison n’ont étoit déjà,durant sa vie,provoqué irrévo-
étendu leur einoire. La religion ne doit cabJement; et le retour à lavertudevenoit
parler que le langage des lois ; ses menaces
et ses promesses doivent s’adresser
aux mêmes vices et aux mêmes vertus,
que les loix punissent ou récompensent.
Si les lois sont bonnesj, si la morale est
sage , la religion le sera aussi, quand
elle marchera d’un front égal avec elles ;
mais , si les lois sont mauvaises et la
morale fausse , la Religion en les appuyant
est un mal,, et la morale se dégrade
alors, par les, moyens mêmes qui
dévoient la perfectionner.
Il nons reste maintenant à examiner
la nature et l’utilité des remèdes, que les
chefs d’initiation ont cru devoir imaginer
pour les maladies de l’ame et pour la réparation
des crimes commis par lesinitiés.
C’est bien ici le lieu de dire , que le remède
fut pire que le mal ; et que le peu
de bien, que l’initiation pouvoit produire,
fut détruit par ces nouveaux spécifiques
des charlatans religieux.
La théorie mystagogique sur l'Elysée ,
e.t principalement sur le redoutable Tartare
, avoit un grand inconvénient , qui
rendoit presque nul l’effet qu’on s en
étoit d’abord promis, sur-tout lorsqu’on
eut multiplié les crimes qui nous en rea-
doient dignes. Il étoit difficile à l’homme,
naturellement foible , et livré aux mou-
yemens fougueux des passions, de ne
pas encourir souvent la peine,que les lois
religieuses portoient; contre les crimes
ouïes foiblesses.du coeur. Alors naissoient
nécessairement le désespoir et la crainte
des supplices du Tartare, qui déçoura-
.geoient l’initié, en lui montrant un
avenir terrible , auquel il ne pouvoit (i)
(i) PLto de Rep. 1. 1 , p- 365.'
inutile à celui qui n’en pouvoit plus espérer
les récompenses. Ainsi, l’initiation
imaginée pour encourager la vertu et
intimider le vice , finit par décourager
l’homme de moeurs ordinaires, c’est-à-
dire le plus grand nombre des hommes ,
qui ont des vices et des Vertus; et. elle n’arrêta
pas le grand criminel , qui ayant
franchi le premier pas , n’avoit plus
d’intérêt à retourner en arrière , et à
rentrer dans les routes de la vertu. Cet
inconvénient fut bientôt senti par les
chefs d’initiation ; en-conséquence .ils
inventèrent des cérémonies expiatoires ,
qui purgeoientles souillures del’ame^qui
lui rendoient sa première innocence, et
qui lui ménageant un retour Vers la vertu,
lui laissoient ses premières espérances,
et écartoient les supplices, que les premières
fautes: auroient infailliblement
attirés, si, avant de descendre aux enfers,
l’ame ne se fût régénérée ( 1 ). Par ce
moyen,l’initié fût ramené au temple,d’où
le désespoir l’auroit nécessairement banni.
Le nombre des fidèles ne fut point diminué
, et jusqu’à la mort on le tint
suspendu entre l’espérance et la crainte,
dans l’incertitude de son sort, menacé
d’un mal , qu’il pouvoit néanmoins
prévenir , s’il étoit assez heureux pour
se faire pûrifier.
D’abord, pour empêcher l’homme coupable
, qui- avoit commis un premier
crime de se précipiter dans de nouveaux,
sous prétexte que tout étoit déjà décide
pour lui (2) , on supposa qu’il y auroit
une proportion décuple entre la punition
et le crime ; que chaque crime seroit
puni cent ans ; et que la punition de
(a) Ibid. 1. 10, p.ûij.
R E L I G I O N U N I V E R S E L L E .
tous les crimes ne seroit pas exercée ensemble,
mais que chacun, d’eux seroit puni
séparément, l’un après l’autre, de.manière
qu’en multipliant les crimes , on
multiplioit la durée et la rigueur du supplice.
Cette fiction pouvoit tout au plus
empêcher qu’un premier crime ne donnât
naissance à de nouveaux ; si on eut
laissé croire au coupable,quen’ayant plus
rien à perdre , il n’avoit plus rien aménager
; mais , elle- ne le ramenoit pas
à la vertu. Il falloit pour cela , qu’il pût
espérer un pardon,et qu’il lui fût possible
de prétendre encore auxfaveursde l ’Elysée.
C’est dans cette vue, qu’on imagina
ensuite un moyen de régénération. Alors
s’établirent les tribunaux de pénitence,
où un Prêtre, sous le nom de Koës , en-
tendoit l’aveu des fautes qu’il falloit expier.
C’étoit à ses piesls que le coupable
alloit se débarrasser de ses remords, et
reprendre la robe d’innocence, dont il
s’étoit dépouillé. Un de ces malheureux
imposteurs , confessant Lysandre , le
pressoit par des questions imprudentes :
celui-ci lui demanda , s’il parloit en son
nom ou au nom de la Divinité (1). Le
Koës lui répondit, que c’étoit au nom
de ladivinité.Eh bien, repartit Lysandre,
retires-toi ; si elle m’interroge, je lui dirai
la vérité. C’est la réponse que tout
homme sage devroit faire à tous nos
Koës ou confesseurs, qui se disent les organes
de la clémence et de la justice divine
; si tant il est qu’un homme sage
doive se présenter à ces espions de nos
consciences , qui se servent de la Religion,
pour mieux abuser de notre foibles-
se, séduire nos femmes , nos filles , et tirer
le secret de toutes les familles.
Ces cérémonies expiatoires, qui étoient
destinées à faire oublier aux Dieux les crimes
des hommes,firent qûeles coupables
eux-mêmes les oublièrent bientôt, et le remède,
placé si près du mal, lit qu’on ne
craignit plus le mal, qu’on guérlssoit
aussi facilement. On sahssoit volontiers
la robe d’innocence , quand on étoit
1) Plut. Apoph. Lac. t. a , p.
») Tertull. de Prsescrip. H»r. 1. 40.
iy i
sûr d’avoir un Prêtre tout prêt pour la
reblanchir ; et quand , en sortant .des
bains sacrés, lame devoit reprendre
toute sa pureté primitive. Le Prêtre
de Mithra ( 2 ) promettent à l’initié ,
qu’il avoit baigné dans l’eau, que toutes
les taches de son ame étoient effacées.
Le baptême et la pénitence, qui est un
second baptême chez les Chrétiens ,
produisent aussi cet effet merveilleux.
Aussi voyons-nous tant de Chrétiens,
qui se permettent tout, parce qu’ils en
sont quittes pour aller à confesse ; et
qu’une fois qu’ijs ont obtenu du Prêtre
leur absolution, ils peuvent prétendre à
cette noble confiance d’une ame sans
reproche. C’est ainsi que la Religion ,
sous prétexte de perfectionner l’homme,
lui a fourni un moyen d’étouffer le remords
, que la nature attache au crime ,
et qu’elle l’a encouragé dans ses écarts,
en lui laissant l’espoir de revenir quand
il voudra dans son sein, et en lui rendant
les faveurs de l’Elysée, lorsqu’il aura
rempli certaines petites formalités religieuses.
Le sage Socrate l’avoit bien
senti , lorsqu’il nous peint l ’homme injuste
(S), qui se rassure contre la crainte
des supplices du Tartare, en disant qu’on
trouve dans l’initiation des moyens sûrs
pour s’en garantir. La réflexion que
fait Plutarque , dans sa réponse aux
Epicuriens , vient à l’appui de la même
idée , lorsqu’il nous dit que les bons
croyans savent , qu’on se délivre des
terreurs de l’enfer par des lustrations
et> par les Initiations (4) , à la faveur
desquelles on parvient dans le séjouis
de la félicité. Comme ces deux passages
ont été rapportés plus haut, nous nous
dispenserons de les traduire ici. .Toutes
les Religions avoient leurs lustrations,
leurs purifications et.leurs sacrifices expiatoires,
qui étoient destinés à faire
oublier leurs crimes aux Dieux,, et conséquemment
qui les autorisoient à, en
commettre de nouveaux. Ces purifications
ou lustrations,touj orirs inséparables
3) Plat, de Repübl. 1. 2, p. 366.
4) Plut, non posse yîy. *dy, Epie. p. uo$*