qu’on y honoroit ? c’est ce qu’il est assez
indifférent d’examiner. Il suffît de retson-
noître, que cencunn’estpasplusGrecque
celui de Bacchus lui-même ; que c’eSt
un nom barbare ou étranger. Cicéron (i)
fait de Bacchus Sabâzius un Roi d’Asie ;
ce qui confirme son origine orientale.
Il est assez naturel de croire, que les
peuples de Thrace,. (m) séparés de l’Asie
par un petit trajet de mer, auront été
les premiers à recevoir ce culte , et l’auront
ensuite transmis aux Grecs , qui
eux-mêmes , dans la suite , le firent
passer jusqu’aux Romains. Car sous le
Consulat de M. Pompilius Lamas et de
Cn. Calpurnius , l’an 5i 4 de Rome, ce
culte commença à s’introduire dans cette
ville ; et il fut presque aussitôt repoussé
par ordre du Prétend C. Comei. His-
puilus (2) , qui craignit que les désordres
et la licence de ces initiations nocturnes
ne nuisissent aux moeurs. Mais Sous les
Empereurs , et principalement sous Donatien
, lorsque toutes les. superstitions
de l’univfers eurent, de concert avec le
despotisme , dégradé les descendans des
anciens Romains , les fêtes Sabazienneis
se reproduisirent dans la Capitale du
inonde, et l ’on vit des initiés à ces mystères
, couverts de peaux de chèvres, se
livrer à tous les excès de la licence la
plus effrénée (3). Car rien ne s’allie
mieuy avec le désordre des moeurs que
les pratiques religieuses, et les cérémonies
des dévots. Aristophane à Athènes
avoit fait contre cette secte d’initiés ,
une comédie intitulée , Sabasius, dans
laquelle il propose de chasser toutes ces
institutions étrangères, dont les mystères
nocturnes ne pouvoient qu’entraîner
la ruine entière des moeurs , que
la comédie , bien entendue , a toujours
eu pour but de réformer.
L ’histoire Mythologique de cette Divinité
attribuoit à un inceste la naissance
de ce Dieu ; et l’objet de ce culte
étoit nécessairement la commémoration
(O Cic. de Nat, Deor. 1. j , p. »3.
{2) Val. Max.-l. 3 , c. 3.
(3) Kuftin, Aquil, Hist. Eccl. I. n, c. 19.
d’un crime , que les bonnes loix ont
toujours proscrit. Il est vrai, que cet inceste
n’est qu’une fiction astrologique
comme nous l’avons fait voir aSleurs*
dans l’endroit où nous expliquons ce domine
mystérieux des initiés à Bacchus,à qui
l’on confioit, comme un grand secret,
qu’un taureau avoit engendré un dragon
, et que le dragon à son tour engendra
le taureau , qui devint le Bacchus
, fils de Proserpine.. Ce taureau
et ce dragon , somme nous l’avons fait
remarquer , sont ceux des deux constellations
de ce nom , qui sont en opposition
de manière , que l’une à son
coucher fait lever l’autre , et réciproquement.
On y faisoit mention aussi du Bouvier ou
du Bootès , qui précède immédiatement
le Serpent, par ces mots : L ’aiguillon
du Bouvier est caché dans ila Monta-
gne (4). . _ I I
La secte dés Ophifes, chez les Chrétiens
, étoit une branche de cette association
d’initiés aux mystères du Bacchus
Phrygien ; et le serpènt, dont le
nom servit à caractériser cette secte,
est le serpent d’Ophiûeus , ou de l ’Es-
culape céleste, celui qui figure dans la
fable que nous venons d’expliquer par
l’Astronomie ; le même enfin par lequel
nous expliquons la fable d'Eve ét du
Serpent, et qui porte encore en Perse
le nom de Serpent d’Eve. -Les Ophites
persuadés que le Serpent, qui engagea
la femme à, présenter à l’homme la pomme
de l’arbré de la science du bien ;et
dumàl, avoit rendu service au genre
humain , gardoient !un-serpent mystérieux
renfermé dans la ciste ou corbeille
sacrée. Au moment de la célébration
des mystères , on le’ mettoit en
liberté ; on l’appel oit vers la table, sur
laquelle les pains offerts étaient rangés;
et s’il y moutoit, s’il les entourait du
ses replis , l’on jugeoit que le sacrifice
étoit agréable à ce Dieu Serpent, qu’ils
(4) Arnob. Cent. Geat. Cl cm. Protr. Firm.
Matern. §. 27.
reaardoient comme un Roi du ciel, descendu
pour eux sur la terre .Le Serpent est
un symbole familier aux mystères deBac-
chus.Les Initiés pressoientjCommeOphiu-
chus, des serpensdans leurs mains ; et ce
cérémonial mystérieux étoit relatif à la
constellation, qui tient aux cieux le Serpent,
qui s’alonge sous la Couronne Boréale
, Iiibera, ou Proserpine , mère de
Bacchus ; ou celle qui, en sé couchant
avec le Serpent, fait naître à l’Orient
le signe qui porte les Hyades , nourrices
de Bacchus , ou la constellation,
dont les, cornes paroient le front de ce
Dieu (n).
Les Initiés aux mystères de Bacchus ,
dont Orphée passoit pour avoir été le
premier chef, .respectaient aussi le Serpent
; et l’Orphéoteleste , chargé de les
purifier, tenoit en ses mains des Serpens
qu’il pressoit,en criantc.es mots barbares :
Euoi, Saboi- Démqsthène (1), reprochant
à Eschiqe d’avoir servi sa mère
dans ce ministère, lui dit : Vous marchiez
à la tête de la troupe, des dévots qu’elle
initioit, en pressant dans vos mains des
Serpens joufflus, les élevant au-dessus
de votre tête, et criant de toutes vos
forces , Euoi , Saboi , Hyes , Auê ,
Attê , Jlyes.
Cette secte est ordinairement connue
sous le nom d’Orpliiques , nom dérivé
d'Orphée , à qui elle attribuoit sa fondation.
Les Initiés à ces mystères avoient
conservé des pratiques, qui rappeloient
toute la simplicité des premiers siècles ,
et les moeurs des premiers hommes ; ce
qui semble lui donner une origine très-
ancienne. Le régime Pythagoricien s’y
étoit perpétué ; et on y retrouve- des
traces, d’une origine Egyptienne, dans
la coutume- qu’ils avoient de n’enterrer
personne de leur secte dans des habille-
mens de laine (3) .On voit dans Plutarque,
que les Prê tres d’I*is regardoient la laine
comme impure (3),parce qu’elle étoit une
(1) Detnosth. Cont. Ctesiph.
(-) Herod. 1. a , c. 81.
(3) De Iside. ,
excroissance de l’humeur surabondante
du corps. Ces Initiés s’abstenoient de tout
sacrifice sanglant, et se nourrissoient
des fruits do la terre ou de choses inanimées
(4). Ils affectaient un genre da
vie assez semblable à celui des contemplatifs
de l’Orient; et qui,suivant eux, se
rapprochoit de la tranquillité des premiers
hommes , qui vivaient exempts
de troubles et de crimes , au sein d’une
douce paix (5). Un des fruits les plus précieux
, qu’on se promettoit de cette initiation
, étoit de mettre l’homme en
commerce avec les Dieux , en épurant
son ame de toutes les passions, qui peu-
ventapporter obstacle a,cette jouissance ,
et offusquer les rayons de la lumière
diyine, qui se communique à toute ame
capable de la recevoir , et qui imite sa
purefé. Thésée apostrophant Hippolyte
son fils , qu’il suppose initié aux mystères
d’Orphée, où il puise des principes
d’une morale plus épurée, lui dit :
Voilà donc cet homme d’une vertu rare,
qui a su prendre sur ses passions un
empire assez grand,pour être en commerce
avec Les Dieux (6). Trompe-nous, si tu
peux, par cette rigoureuse abstinence,qui
t’interdit toute nourriture qui ait eu
vie ; et docile aux leçons de ton Orphée ,
joue Vinspiré. C’était effectivement un
des degres de l’initiation , que l’état
d’inspiré , auquel les adeptes pouvoient
prétendre.. Les initiés aux mystères de'
l’Agneau , assemblés à Pepuza en Phry-
gie , jouodent aussi les inspirés , et de-
vènoient prophètes. Le délire de la dévotion
pouvoit aller jusqu’à le leur persuader
à eux-mêmes ; ou l’excès de la
fourberie jusqu’à le faire croire aux autres.
L ’ame,parle moyen de ces pratique*
religieuses, purifiée de toute souillure,
pouvoit prétendre à la vision des Dieux,
même dès cette vie , et sûrement tour
jours après la mort. Ce sont ces rare*
privilèges, que vendoient les Orphéote-
(4) Plat, de Leg. 1. 6.
(.)) Acad. Inserip. t. 5, p. 117.
(<>} Eurip. Hippolyt. v. 94S*