là Bonne Déesse, suivant le témoignage
de Plutarque (i).D’ailleurs ,Erichtonius,
ou le Cocher , qui porte la Chèvre,
avoit des pieds en forme de serpens.
Ainsi on peut dire, que la liqueur avec
laquelle on faisoit des libations dési-
gnoit tout ensemble Bacchus, Dieu du
"vin , et sa mère , dont le lait nourrit
Bacchus et Jupiter. C’étoit du vin réellement
et du lait nominativement, ou
sous l’expression mystique. On enve-
loppoit le vase qui le contenoit, pour
déguiser sa nature.
Les attributs de Junon , ou de Reine
des deux , que Macrobe (2) prétend
que l’on mettoit en ses mains, et qui
désignoient sa puissance souveraine,s’accordent
bien avec la tradition des Libyens
sur la Nymphe Amalthée , que
viola Jupiter , et dont il eut Bacchus,
Ce Dieu en récompense l’établit Reine
de tout le pays voisin des monts, de la
foudre, et qui ressemble assez à la corne
de boeuf. Amalthée , devenue Reine de
ce lieu fécond, le nomma corne d’Arnal-
thée. fl étoit sur-tout fertile en vignes.
Ce Bacchus, fils de la Chèvre Amalthée,
ou petit-fils de Faune , est sans doute
le Bacchus fils de Caprins, dont parle
Cicéron(3),et qu’il met le troisième. Il lui
fait établir les fêtes Sabaziennes , dans
Îlesquelles on enseignoit la métamor- those de Jupiter en dragon , pour co-
labiter avec Proserpine , mère de Bacchus
, comme ici Faune, sous la forme
de ce même animal, cohabite avec la
bonne Déesse, mère de Bacchus.
D’après ces rapprochemens , nous
regarderons la Chèvre céleste , ou la
Belle Etoile du Cocher, qui tous les
ans annonçoit la fécondité du printemps,
comme la Bonne Z)i/i;sse,qu’honoroient,
dans leurs mystères secrets, les Dames
Romaines , au premier Mai, au lever
même de la Chèvre (rr) Amalthée, On
a pu la confondre avec la terre, dont 1 2
(1) Plut. Vit. C t a . p. 711.
(2) Hacroù. Sat. b 1*.
la fécondité commefiçoit à se dévelop.
per à cette époque , et dont la Chèvre
elle-même et ses Chevreaux, étoient i’emblème
astrologique ; et c’est pour cela
que la victime ordinaire de la terre, la
lave pleine, fut immolée à la Divinité
de la Terre, à cette époque du signe du
Taureau, et à la belle Néoménie, qui voit
tout éclore. On a pu aussi la prendre
pour Maïa, mère de Mercure , ou pour
la Pléiade , qui est alors en conjonction
avec le Soleil. On a pu y voir la mère
d’Erichtonius ou du Cocher , autrement
l’épouse de Vulcain , qui ensemença la
Terre et donna naissance au Cocher.
Toutes ces traditions différentes nous
reportent toujours au premier Mai -et
au lever des constellations, qui se lient
à cette époque heureuse delà Nature,
et sur-tout au Cocher équinoxial Myr-
tile , qui tient le fouet qui fournit l’allusion
à l’aventure de la Déesse, fouettée
par son père avec desbranches.de myrte.
On l’appelle Bonne , puisqu’elle réveil-
loit la fécondité de la terre , accouehoit
la nature , et épanchoit sur les campagnes
les richesses et l’abondance. Delà
vinrentlesnorosde Bonne, parce que,
dit Macrobe , elle est la source de tous
les biens nécessaires à la vie ; et d’Opi ,
parce qu’elle est secourable , et que
notre vie se soutient par ses secours.
La Belle Etoile, qui annonçoit le mois
de Mai , a pu faire naître toutes ces
idées , et fournir la matière de toutes
ces fictions sacrées. Elle a encore conservé
sur les anciens globes l’épithète
de F élix Sydus (ss). Comme o’est au
printemps, que la terre fait éclore de
son sein toutes les plantes , on rassem-
bloit des herbes naissantes de toute espèce
dans son temple , et on déposoit a
ses pieds les dons qu’elle répand en
abondance dans nos jardins et nos prairies.
Je serois tenté de croire que sa
fustigation même par son père fut représentée
dans le sanctuaire par 1*
(3) De Nat. Deor. e. J , c. a j.
flagellation des femmes, et que c’étoit
là le grand mystère , dont l’amante
de Clodius lui promit le spectacle.
On ne sera plus étonné , que cette
curiosité ait irrité tant de femmes, et
sur-tout des maris, contre Clodius. Nous
sommes en quelque sorte autorisés à le
soupçonner , en voyant que les cérémonies
anciennes étoient toujours représentatives
des aventures des Dieux on
des Déesses. Ainsi on imita le deuil et
les courses de Cérès ; ainsi, en Italie ,
on faisoit disparaître une jeune fille dans
les fêtes du rapt de Proserpine 3 ainsi les
Prêtres d’Atys retranchoient de leur
corps les mêmes parties,qu’avoit perdues
Atys ; enfin ainsi , en Egypte , les
femmes et les hommes se fustigeoient
en honneur d’Isis , ou de la Lune ,
qu’avoit fustigée Pan. En effet, on représentait
Pan , ou l’image du Cocher équinoxial
, frappant d’un fouet la statue
de la Lune. Le Dieu étoit en état d’érection,
comme le Mercure des Pélasges
(1) ; et sans douté, comme Faune,père de
laBonneDéessejet comme Horns ou Pria-
pe en Egypte. Cette statue de la Lune ,
sur laquelle Pan ou Faune appuyé son
fouet, étoit celle que l’on voyoit à
Panople , ville qui tire son nom du
Dieu Pan , qui y étoit adoré. Nous
avons déjà v a , que ce même Dieu étoit
adoré à Mendès , et que son symbole
vivant étoit un Bouc , portant comme
Pan le nom de Mendes (i). On sait
quels étoient les mystères que les femmes
célébraient avec le Dieu : il n’est point
d’obscénité quela superstition ne vienne
à bout de sanctifier. Les femmes de
Rome auToient bien pu, dans l’obscurité
de leur sanctuaire, se permettre quelques
unes de ces pratiques religieuses ,
smon en nature, au moins en imitation
et en pantomime. Il est certain, que du
temps de Juvénal il se pasSoit quelque
chose de semblable dans ces mystères ,
et que la luxure du Bouc et celle de la
(») Steph. in Parr.tpol Suid.
(2) Herod. 1. c. 46. Ci-dru. t. a , c. 9.
Chèvre , qui le provoque et l’attend ,
y étoient mis en représentation ( 3 ).
Voici comme s’exprime à cet égard Juvénal.
On sait à présent ce qui se passe
dans ees sanctuaires, quand la trompette
agite ces Ménades , et lorsqu é-
tourdies par les sons et enivrées de vin,
elles font voler leurs cheveux épars, et
hurlent à l’envi le nom de Priape.
Quelle fureur î Saufella, tenant en main
une couronne, provoque les plus viles
courtisanes , et remporte le prix de la
lubricité 5 mais à son tour elle rend
hommage aux ardeurs fougueuses de
Medulline. Celle qui triomphe dans
Ces assauts lubriques , passe pour la
plus noble athlète. Rien n est feint 3
les attitudes y sont d une telle vérité 9
qu’elles auroient enflammé le vieux
Priam , et Nestor affoibli par ses longues
années. Déjàles désirs veulent être assouvis
; déjà chaque femme reconnoît qu’elle
ne tient dans ses bras qu une femme 9
et le sanctuaire retentit de ces Gris unanimes.
ce II est temps d’introduire les
y> hommes. Mon amant dormiroit-il ?.
$ qu’on réveille. Point d’amant? je me
» livre aux esclaves. P oint d esclave ?
» qu’on appelle un manoeuvre. A son
33 défaut t’approche d'une brute ne
r> V effruieroit pus» / Telle est la peinture
que nous fait Juvenal des excès de
cette -lubricité religieuse , provoquée
par les mystères et les cérémonies se*
crêtes de la Déesse , qui amen oit les
femmes à un tel point de délire , que 9
comme celles de IVIendes, elles auroient
volontiers consenti à 1 approche^ du
Bouc , dont l’action sur elles eût été une
image de celle qu’éprouvoit la terre ,
au moment où la Chèvre et le^ Cocher
céleste annonçoient la fécondité, fjui se
développoit au premier Mai, par 1 énergie
du Soleil et de la Lune du printemps.
Les dames Romaines n’ayant pas
porté peut-être* la dévotion aussi loin
(3) Juven. Sat. 6, v. 3 H*— 24-
G 2