
3ô H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q u e .
demander à mon pere ; mais il ne le voulut pas donn
e r, 8c Dieu permit que l’enfant ne demanda plus à
teter-, 8c que mon lait ne m’incommodât plus.
Quelques jours après, comme nous prions tous, tout
d’un coup au milieu de la priere , il m’échappa de nommer
Dinocrate ; Sc je fus étonnée de ce qu'il nem’étoit
point encore venu dans l’efprit. Le fouvenir de ion malheur
m’affligea; 8c je connus à l’inftant que j ’étois digne
de prier pour lu i , 8c que je le devois. Je commençai
donc à le faire avec ferveur en gemilfant devant
Dieu , 8c la nuic-même j ’eus cette vifion.
J e vois Dinocrate fortir d’un lieu ténébreux, où il y
avoit plufieurs autres perfonnes: Ilétoit dans une grande
ardeur 8c une grande fo if , le vifage craifeux, le teint
p â le , avec ulcere qu’ il avoit quand il mourut. Ce Dinocrate
étoit mon frere félon la chair: àfeptans il mourut
malheureufement d’un cancer au vifage, faifant horreur
à tout le monde; c’étoit pour lui que j ’avois prié. Il y
avoit une grande diftance entre lui 8c moi; enforte qu’il
étoit impoffible de nous approcher. Près de lui étoit un
baffin plein d’eau , dont le bord étoit plus haut que la
taille de l’enfant. Ils’étendoit pour boire, 8c quoiqu’il y
eût de l’eau, il ne pouvoir y atteindre, ce qui m’affli-
geoit fort. J e m’éveilla i, 8c je reconnus que mon frere
étoit dans la peine; mais j ’eus confiance que je le pour-
rois foulager. Je commençai à prier pour lu i, demandant
àDieu jour 8cnuit avec larmes qu’il me l’accordât.
J e continuai jufqu à ce que nous fûmes transferez à la
prifon du camp , étant deftinez au fpeélacle qu’on devoir
donner à la fête du Cefar Geta.
Le jour que nous étions dans les ceps, j ’eus cette vifion.
Je vis fe même lieu que j ’avois vu , 8c Dinocrate le corps
net,bien vêtu,fe rafraîchiflant, 8rau lieu de fa^plaie, une
•Aug- de av.lib.
i.c.io. &
î r j. c, to,
L i v r e c i n q ^u i e ’ m e ; 3 1
cicatrice. Le bord du baffln que j ’avois v u , étoit abaiilé
jufqu’au nombril de l’en fan t , il en tiroit de l’eau fans
ceffe, 8c fur ce rebord étoit une phiole d’or pleine d’eau.
Dinocrate s’approcha, 8c commença à en boire, fans
qu’elle diminuât; 8clorfqu’il fut raffafié, il quitta l’eau
avec jo ie , pour aller joiier comme font les enfans. Je
m’é v e illa i, 8c connus qu’il avoit été tiré de la peine, il
faut croire que cet enfant avoit été baptifé, 8c avoit péché
depuis Ion baptême. La Sainte continue ainfi : Le
concierge de la prilon qui étoit un officier nommé Pu-
dens,nouseftimoic beaucoup,. voyant qu’il y avoit en
nous une grande vertu d iv in e ; ainfi il laifloit entrer
plufieurs perfonnes,. pour nous voir 8c nous confoler les
uns les autres. Comme le jour du fpeéfaçje approchoit
mon pere vint me trouver accablé detnilefle. Il commença
à s’arracher la barbe,, fe jetter à terre, 8c fe coucher
iur le vifage , maudire fes années, 8c dire des cho-
fes capables d’émouvoir toutes les créatures. J ’avois p itié
de fa malheureufe vïeillefïc.
La v eilled c notreeombat j ’eus cettevifiort. Le diacre xv.
Pompone étoit venu à la porte de la prifon , 8c frappoic
bien fort, je fortis 8c lui ouvris ; il étoit vêtu d’une robbe Pcrfetaf'*
blanche femée de petits ronds ; il me die : Perpetue, nous
vous attendons, venez. Il me prit par la main, 8cnous
commençâmes â marcher par des lieux rudes en tournoyant.
Enfin nous arrivâmes à l’amphitheatre à grande
peine Sc tout hors d’haleine; il me conduifit au milieu
de l’arene, 8c me dit : N e craignez point, je fuis ici avec
vous 8c je prens part à vos travaux. Il fe retira 8c j ’apper-
çus un grand peuple tout étonné; comme je fçavoisque
j ’étois deitinée aux bêtes , je m’étonnoisde ce qu’on ne
les lâchoit point contre moi. Alors il parut un E g yp tien
fort laid >,qui v in t me combattre accompagné de'