
z8 H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q u e .
caufe de nous. Lorfqu’il fut arrivé au haut de l’échelle, îl
fe tourna vers moi, & me dit : Perpetuë, je vous attends,
mais prenez garde que ce dragon ne vous morde. J e lui
répondis : Au nom d eN .S . J .C . il ne me fera point de
mal. Le dragon leva doucement fa tête de deffous l’échelle,
comme s’il eût eu peur de moi; ayant marché
furie premier échellon , je marchai fur fa tête. Je montai
& je vis un jardin d’une efpaceimmenfe, ôcau milieu
un grandhomme aiïîs, habillé en pafteur avec les cheveux
blancs. Il tiroit le lait de fesbrebis, environné de
plufieurs milliers de perfonnes vêtues de blanc. Il leva la
tê te , me regarda, 8e me dit : Vous êtes la bienvenue, ma
fille; puis il m’appellaj&me donna comme une bouchée
de caillé de ce lait qu’il tiroit : J e lereçus enjoignant les
mains, & le mangeai,& tous ceux q u il’environnoient ,
répondirent, Amen. J e m’éveillai àce b ru it , mâchant
quelque chofe de doux. Auffi- tôt je racontai cettevifîon
à mon frere, nous connûmes que nous devions fouffrir;
8c nous commençâmes àn ’avoir plus aucune efperance
dans le fiecle. Perpetuë & fon frere crurent que cette
bouchée précieufefignifioitl’euchariftie que l’on avoit
coutume de donner aux m a r ty r s , pour les préparer au
combat. Elle continué ainfi fon récit :
Peu de jours après le bruit fe répandit que nous devions
être interrogez ; mon pere vint auffi de la v ille à la
p rifon , accablé de triflreffe, 8c me difoit : Ma fille, ayez
pitié de mes cheveux blancs, ayez pitié de votre pere; fi
je fuis digne que vous m’appelliez votre pere : fi je vous-
ai moi-même élevée jufqu’à cet âge : fi je vous ai préférée
â tous vos freres, ne me rendez pas l’opprobre des
hommes. Regardez votre mere 8c votre tante; regardez
votre fils, quinepourra v iv re après vous : quitcezcette
fierté , de peur de nous perdre tous , car aucun de nous
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n’ofera plus parler, s’ il vous arrive quelque malheur.
Mon pere me parloit ainfi par tendreffe , me baifant 1 es
mains, 8c fe j ettant à mes pieds, pleurant,8c ne me nom-
mantplus fa fille, mais fad am e .Je le plaignois,voyant
que de toute notre famille il feroit le ièul qui ne le ré-
joüiroit point de mon martyre. J e lui dis pour le confo-
ler : Sur 1 échaf aut il arrivera ce qu’il plaira à D ieu, car
fâchez que nous ne fommes point en notre puiffance ,
mais en la fien n e -ll fe retira contrifté.
Le lendemain comme nous dînions, on vint tout d’un xtn.
1 a n • a P r em ie r in'tetf-« coup nous enlever pour ecreinterrogez, & nous arriva- r o g a t o i r e d e »
mes à la place. Le bruit s’en répandit auffi - tôt dans Mart),«>
les quartièrs v o ifin s , 8c il s’amaffa un peuple infini.
Nous montâmes fur l’échafaut, les autress furent inte rrogez
8e confefferent ; on vint auffi â m o i, mon pere
parut à l ’inftantavec mon fils, 8c il me tirade ma place,
me conjurant d’avoir pitié de mon enfant. Le procura-
teurHilarien exerçoit alors le droit de glaive,c’eit à dire,
la puiffance de v ie 8c de m o r t , à la place du proconful
Minucius Timinien qui étoit mort, il médit : Epargnez
la vieilleffe de votre pere; épargnez l’ enfance de votre
fils; facrifiez pourlaprofperité des empereurs. Je n’en
ferai rien, répondis- je. Eftes-vous chrétienne,me dit-il?
Et je luis répondis: Je fuis chrétienne. Comme mon pere
s’ efforçoit de me tirer de deffus l’échafaut;Hilariencom-
manda qu’on le chaffât ; 8c il reçut un coup de baguette.
Je le femis , comme fi j ’euffe été frappée moi-même ,
tant j ’en fus affligée, d e v o ir mon pere maltraité en fa
vieilleffe. Alors Hilarien prononça notre fentenee, 6c
nous condamna tous à êtreexpofez aux bêtes. Nous retournâmes
joyeux à la prifon. Comme mon enfant avoit
accoutumé de me teter, 8c de demeurer avec moi dans
ia p rifon , j ’envoyai auffi tôt le diacre Pompone pour le
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