Les discussions soulevées à Genève et à Zurich à cette occasion
sont fort intéressantes et instructives ; elles arrivent à conclure, avec
la plus grande certitude, à l’excellence des eaux lacustres pour l’alimentation
d’eau d’une ville.
Je dois signaler ici des recherches fort importantes .et très intéressantes
faites par le docteur L. Lortet, doyen de la faculté de médecine
de Lyon, et V. Despeignes, chef des travaux de la même faculté G).
Ces auteurs, en étudiant les eaux d’alimentation de la ville de Lyon,
et plus spécialement les dépôts formés par ces eaux, reconnurent
bientôt que lès uns et les autres fourmillent de microbes pathogènes ;
en injectant dans les couches sous-cutanées de lapins ou de cobayes
une dose suffisante de ces dépôts, ils voyaient, dans la majorité des
cas, et fort rapidement, l’animal mourir d’affections diverses, et l’autopsie
a montré tantôt dès abcès pulmonaires ou musculaires, des
infarctus au foie ou au poumon, des ulcérations intestinales, une tuméfaction
des plaques de Peyer, des épanchements dans la cavité des
plèvres et du péritoine, de l’oedème de l’hypoderme, etc. Ce . sont
bien des maladies infectieuses qui ont causé la mort de ces cobayes,
car une injection de quelques gouttes des liquides pathologiques ou
de quelque parcelle des organes ainsi altérés déterminent bientôt chez
un animal sain une maladie mortelle analogue.
Comme éléments de comparaison, M. Lortet m’a demandé de lui
envoyer de l’eau et des vases du lac Léman. J’ai récolté, avec les précautions
convenables, de l’eau de surfeice prise en plein lac; j’ai dragué
du limon à 40 et 50m de fond, à 2km (devant Morges, dans une localité
que je savais avoir un fond propre et sans pollutions spéciales. Ces
produits injectés sous la peau des cobayes ont donné les mêmes résultats
mortels que ceux dés dépôts des eaux d’alimentation de Lyon;
infection des animaux injectés directement, infection des cobayes inoculés
par des liquides pathologiques provenant des premiers. Conclusion
: l’eau du Léman et les vases déposées au fond du lac contiennent
en abondance des germes pathogènes, mortels pour le cochon de mer.
Ces résultats étaient fort inquiétants au premier abord, et j’ai dû me
préoccuper de leur signification. Si ces germes sont mortels pour le
P) Lortet et Despeignes. Recherches sur les microbes pathogènes dans les eaux
filtrées du Rhône. G. R. Acad. sc. Paris, 17 février 1890. — Revue d’hygiène et de
police sanitaire, 1890. — V. Despeignes. Etude expérimentale.sur les microbes des
eaux. Paris, 1891.
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cobaye, ne peuvent-ils pas l’être aussi pour l’homme ? Si par injection
sous-cutanée, ilsdéterminentdesaccidents fatals, ne peuventilspas aussi
en occasionner par-inoculation dans une blessure de la peau ou de là
muqueuse intestinale1? N’y a-t-il pas là une raison décisive de proscrire
ces eaux del’hygiène alimentaire et de prendre des précautions spéciales
dans l’hygiène publique ? Réflexion faite, je mets, en présence des faits
observés par MM. I.ortet et Despeignes,- les faits d’expérience générale
suivants :
1“ J/eau du Léman, soit pure, soit salie par la vâse soulevée par les
vagues, ne cause pas d’infection spéciale che2 l’homme. De tous temps
les bateliers, pêcheurs, lavandières, baigneurs ont sans inconvénient
plongé leurs membres dans l’eau du lac sans-én subir d’inconvénients
apparents ; que la peau soit saine et que l’épiderme intact protège contre
l’introduction de germes infectieux, ou bien que des blessures permettent
rentrée des microbes, l’on n’a jamais reconnu que les lavages
dans l’eau du lac occasionnent des maladies générales ou locales, ou
.d’infection des plaies.
2° L’eau du lac, soit pure, soit salie par la vase que soulèvent les
vagues, sert depuis deux siècles à l’alimentation dé la population de
Genève et sauf, les épidémies de 1881 et de 1884, dont nous avons parlé
et dont la cause .semble accidentelle, on ne les à jamais vu causer des
maladies générales ou spéciales appréciables.
3° La présence de microbes,, dont plusieurs sont infectieux, n’est
pas un fait spécial aux eaux de Lyon et du lac Léman. Les recherches
de Frankel, de Reimers (!) et d’autres, ont montré que le sol arable est
partout et toujours rempli de germes analogues jusqu’à une assez
grande profondeur.
4° Dans leurs expériences, les bactériologistes lyonnais ont toujours
employé des doses massives, un cëntimètre cube d’eau suspecte par
100e 11,3 du poids de l’animal; cela représenterait pour le poids moyen
de l’homme, un volume de 7 décilitres à injecter dans lé tissus sous-
cutané. Il est évident que l’entrée spontanée des germes infectieux
par les éraillures de la peau ou des muqüeuâës ne peut se faire que
dans des proportions minimes comparées à celles-là. On sait d’autre
part que l’économie animale lutte, avec succès, contre un agent infec-
(0 Analysés in Naturw. Rundschau, II, 367. Braunschweig, 1887. V, 67, 1890. —
Cornil et Babes. [Loc. cit. p. 213]. é':'