Voici les diverses explications qui ont été données par les auteurs
modernes :
En 1847, R. Bunsen (*), après avoir constaté que l’eau pure est bleue,
attribue la couleur verte de la plupart des eaux lacustres à des particules
jaunâtres en suspension dans le liquide, la couleur brunâtre à
des sels humiques de la tourbe.
En 1848, Ste Claire Deville (2) expliquait la couleur verte des eaux
par une substance colorée qui donnerait au résidu d’évaporation une
couleur jaune ou brunâtre; les eaux bleues donneraient un résidu
blanchâtre. (Cette observation n’a pas été confirmée.)
En 1860, Wittstein (3) estime que la couleur verte . est due au
mélange de matières organiques en solution, tandis que les matières
minérales ne modifient pas le bleu. Les matières organiques seraient
dissoutes par les alcalis.
En 1870, John Tyndall (4) attribue la couleur bleue du lac Léman
aux fines particules en suspension dans l’eau glaciaire. La cause de la
couleur bleue serait donc, d’après lui, une sélection dans la lumière
réfléchie.
De 1869 à 1874, MM. J.-L. Soret, Lallemand et Ed. Hagenbach étudient
la polarisation de la lumière renvoyée par l’eau d’un lac. Ils
constatent qu’elle est polarisée dans la- direction perpendiculaire aux
rayons solaires réfractés. Par ün temps couvert, il n’y a pas trace de
polarisation. (5)
En 1883, W. Spring, de Liège, cherche la cause de la couleur verte
des lacs dans la présence d’un précipité très menu de carbonate de
calcium, précipité qui n’aurait pas lieu dans les eaux bleues par le fait
d ’un excès d’acide carbonique. (6)
En 1886, le même auteur croit confirmer son hypothèse en montrant
que les eaux des lacs bleus sont moins lumineuses que Celles des lacs
(*) [Loc. cit. p. 471.]
0 Ann. Chimie e t physique XXIII, 40. Paris, 1848
0 [Loc. cit. p. 463.]
(4) Couleur du lac de Genève. Analysée pa r J.-L. Soret. Arch. Genève,
XXXIX, 343,1870.
0 Arch. Genève XXXIV, Î56 ; XXXV, 54 ; XXXVII, 129,176 ; XXXIX, 341, 352 ;
XLVIII, 231 ; L, 243.1869-1874.
verts, qu’il y a chez les premiers moins de lumière réfléchie que chez
les seconds. (')
En 1883, le professeur John Le Conte, de l’Université de Californie,
à Berkeley, dans une étude sur la couleur de l’eau du lac Tahoë,
attribue la couleur des eaux vertes à deux causes différentes (2) : à des
matières colorantes en solution; à des matières colorées en suspension.
En 1884, J.-L. Soret, de Genève (3), dans l’étude magistrale qu’il a
consacrée à la couleur de l’eau, donne, pour la couleur des eaux vertes,
quatre causes possibles :
a. Des matières minérales ou organiques en dissolution dans l’eau.
b. Des particules très ténues qui interceptent les rayons les plus
réfrangibles et font virer la couleur de l’eau vers le vert (absorption
sélect i vu j.
c. La diffusion de la lumière sur dès particules nombreuses et grossières
les fait réfléchir des rayons rouges et non pas seulement des
rayons bleus, comme le feraient dés particules très fines. En même
temps, dans une eau fortement chargée de poussières, la diffusion vient
surtout des couches superficielles dans lesquelles les rayons peu
réfrangibles sont peu absorbés (diffusion sélective).
d. Des corpuscules colorés, algues ou autres, en suspension dans
l’eau, doivent aider à la coloration des eaux.
Voilà donc où en est la question. L’eau est. bleue ; elle est colorée en
vert ou brun dans certaines eaux. Plusieurs causes de ces colorations
divergentes sont possibles. Toutes interviennent-elles, ou bien y a-t-il
une seule et même cause générale différemment agissante? Tel est le
problème qui se pose à moi.
Tout d’abord j’avais à apprécier l’hypothèse intéressante et en apparence
fort plausible de M. Spring, qui attribue la couleur verdâtre de
certaines eaux à la présence d’un précipité très ténu, pseudo-colloïdal
comme il l’appelle, de matières en suspension, d’argile ou de calcaire.
Ses expériences de laboratoire lui ont montré que, dans un tube de
Bunsen, il pouvait transformer l’eau physiquement pure, d’un bleu
d’azur, en une eau verte ou jaune, en développant dans cette eau des,
nuages très délicats de poussières impalpables, transparentes. Un tel
0 Bull. Acad. royale de Belgique, XII, 814.1886. .
0 Physic, studies on lake Tahoë. Overland Monthy. Dec. 1883. p. 595.
0 [Loc. cit. p. 471.]