l’on verse sur l’eau quelques grammes d’une huile, — l’expérience est
superbe avec l’essence de térébentiUe, — on voit la tache d’huile présenter
d’abord les iris brillants des anneaux colorés ; mais à mesure
que la lame, en s’étendant, devient moins épaisse, les couleurs disparaissent
et la tache d’huile n’est plus visible sur l’eau que par l’extinction
des rides des vagues. A ce moment, la lame mince est moins épaisse
qu’une demi-longueur d’onde lumineuse, et le phénomène, des
anneaux colorés ne peut plus se produire.
Je rappellerai à cet égard la pratique bien connue des pêcheurs de
la Méditerranée, qui, lorsque la brise ride trop la surface de l’eau et
les empêche de voir au fond les animaux qu’ils poursuivent, éteignent
les vagues en jetant à la surface quelques gouttes d’huile.
Je suis donc fondé à interpréter la formation des fontaines, comme
je l’ai dit, en les attribuant à la présence d’une couche très mince
d’un corps gras répandu à la surface du lac ; j’ajouterai que, depuis
l’époque où j’ai pour la première fois émis cette idée (*), j ’ai suivi
l’observation du phénomène chaque fois que j’en ai eu l’occasion, et que
je n’ai jamais constaté un fait qui fût en opposition avec cette théorie.
Quant à la provenance des corps gras qui forment les taches
d’huile, je puis indiquer, à côté des causes susmentionnées, les corps
animaux ou végétaux en décomposition dont lès parties grasses viennent,
après la dissolution des tissus, monter à la Surface de l’eau (”2).
C’est là probablement l’origine des taches d’huile que l’on observe soit
sur les eaux des marais, soit sur l’eau de la mer, soit sur l’eau des
lacs de montagnes, où les produits gras de l’industrie humaine rie
sauraient être invoqués.
En résumé, de toutes les expériencfes que j’ai relatées et de toutes
les observations directes, dont je crois inutile de surcharger cette
étude, je conclus que le changement d’aspect et de forme offert par
les vagues du vent et de la pluie dans les taches irrégulières connues
sur le Léman sous le nom de fontaines et chemins, et qui existent
sur tous les lacs, mers et eaux dormantes, que ce changement d’aspect
est dû à l’existence, à la surface de l’eau, d’une couche extrême-
0 S. V. S. N., séance du 21 juillet 1869. Bull. t. X, p. 844.
(2) J ’ai souvent vu une fontaine së développer sous le vent du cadavre d’un
poisson en putréfaction, flottant à la surface de l ’eau.
ment mince d’un corps gras, de consistance huileuse. Je propose de
les appeler des ta c h e s d ’h u ile .
L’on a souvent remarqué que les taches d’huile sont plus évidentes
au moment où le temps va changer ; on les tient pour un signe précurseur
du mauvais temps. Les premières bouffées du vent qui amène
l’orage les dessinent en grande abondance sur le lac, et vue d une
hauteur, de Lausanne par exemple, la surface du Léman paraît alors
toute diaprée de ces taches qui réfléchissent autrement que l’eau
vive les couleurs du ciel et de la côte oposée. Au contraire, sur un lac
agité par un grand vent, par la bise ou par le sudois, les taches
d’huile sont relativement peu nombreuses. Voici l’explication du phénomène.
Quand un grand vent souffle sur le lac, le courant d air, en
caressant la surface, entraîne les couches huileuses vers la côte sous
le vent; là, les vagues les brassant contre la rive, elles forment
l’écume qui vient s’accumuler sur la grève. Le lac est ainsi nettoyé des
taches d’huile. Au contraire, p a r le beau temps, les huiles, versées à la
surface par les cent agents qui polluent le lac, restent le jouet des
flots et des courants locaux ; elles demeurent en plein lac ; elles n apparaissent
pas, tant qu’il fait calme plat, et ne deviennent évidentes
qu’aux premières risées du vent. Si au moment où l’orage s’approche,
on voit les taches d’huile en plus grande abondance que jamais, c’est
qu’en général l’orage succède au calme atmosphérique ; par les temps
orageux, le jeu des brises locales est ordinairement interrompu.
On connaît le grand profit que les marins savent tirer de 1 effet de
l’huile répandue à la surface de l’eau pour apaiser localement les
vagues de tempête. Je n’ai pas d’expérience utile à çiter dans cet
ordre de faits, lesquels, sur une plus grande échelle, sont conformes à
tout ce que j’ai vu de l’extinction des ondulations par la lame mince
de la couche huileuse. .
3° Les rides dè fond.
Il n’est pas de plus joli phénomène dans la physique naturelle des
lacs que les rides de fond (R ip p le m a rk s des Anglais, W e lle n -
fu rc h e n dès Allemands,). Ces rides séparées par leurs sillons sont
modelées dans le sable ; leur largeur d’une erête à l’autre est presque