cerner avec précision la profondeur à laquelle il disparaît à la vue. Les
différences d’évaluation dé la limite de visibilité ne dépassent guère
un mètre à cette profondeur. L’observation directe des faits de la nature
me montre donc que les coefficients de transparence de M. Wild>
tirés d’expériences faites avec de l’eau distillée, filtrée sur du papier
grossier, sous des épaisseurs de 5 à 20cm, ne sont pas immédiatement
applicables sans certaines corrections importantes à la transmission de
la lumière dans les couches épaisses de l’eau des lacs.
Nous avons vu que la cause principale du défaut de transparence de
l’eau doit être cherchée dans des poussières en suspension dans cette
eau. Je l’ai conclu des faits révélés par la recherche de la limite de
visibilité. Voyons maintenant ce que sont ces poussières.
1° Il y a en premier lieu des corps de grande taille, disons un millimètre
et plus, possédant la même densité que l’eau et flottant dans le
liquide. Je ferai rentrer dans ce groupe :
a. Les cadavres et débris de cadavres animaux. Les tissus animaux
sont en général plus denses que l’eau, mais ils peuvent être allégés par
des corps gras ou par des gaz, et par conséquent flotter à la surface ou
entre .deux eaux.
b. Les végétaux et débris de végétaux. La cellulose et le protoplasme
végétal sont plus denses que l’eau ; ils deviennent plus légers
qu’elle lorsque les cellules contiennent des bulles de gaz.
c. En fait de matières minérales pouvant flotter dans l’eau Ç), je ne
connais dans notre lac que les scories huileuses, produit de la combustion
de la houille; leurs cellules, pleines d’air, ne sont mouillées que
petit à petit par l’eau; on en voit parfois flotter a la Surface ou entre
deux eaux avant qu’elles s’alourdissent et coulent à pic au fond du lac.
2° Des corps de même nature que les précédents, mais de plus
petite taille, réduits à l’état de poussière,, de un millimètre et au-dessous,
jusqu’à une fraction fort petite dê millimètres, disons un centième
ou un millième de millimètre. Leur masse étant beaucoup moindre
que celle des corps de plus grande taille, ils se déplacent plus lentement
pour la même différence de densité, et ils restent beaucoup plus
longtemps en suspension dans l’eau.
' (') Des grains de sable, surtout s’ils sont enduits de corps gras, p e u v e n t flotter
su r l’eau, soutenus par le ménisque capillaire. J ’en ai vu, entraînés en plein lac,
formant, pa r leur agglomération, des radeaux de plusieurs centimètres d e largeur.
Mais ils ne peuvent flotter entre deux eaux.
3° Les poussières impalpables organiques et inorganiques qui peuvent
être considérées comme n’ayant plus de masse vu leurs dimensions
infiniment faibles, restent presque indéfiniment en suspension.
Quelle que soit leur densité, leurs déplacements sont si lents qu’ils sont
presque nuls. Nous avons dit (t. 1, p. 108) qu’une eau salie par l’al-
luvion impalpable du lac ne se décharge de sa turbidité qu’avec une
prodigieuse lenteur : en quatre jours, un bocal contenant de cette allu-
vion impalpable ne s’est clarifié que sur une épaisseur de 6.5cm.
J’ai essayé de préciser la quantité de matière, sous forme de poussières
impalpables, qui rend l’eau opaque et détermine la limite de visibilité
aux diverses profondeurs. Pour cela j’ai commencé par rechercher
le degré d’opàbitè qui arrête la- vision dans le lac. J’ai pris des échantillons
d’eau littorale salie par la vase mise en suspension dans les
vagues, ou par le mélange avec l’eau trouble de la rivière la Morge
grossie par.les pluies ; après avoir mesuré la limite de visibilité dans le
lac, j’ai versé mon échantillon dans un tube de Bunsen de l m de longueur,
et j’ai constaté que, lorsque dans le lac la limite dê visibilité était
par 1.0“ de profondeur, dans le tube de Bunsen cette eau commençait
à permettre la distinction de gros caractères d’imprimerie sur fond
blanc (capitales normandes de 20mm de hauteur, de l mm de largeur des
pleins).,
Cela étant, j’ai cherché quelle est la quantité d’argile du lac, réduite
à létal, de poussière impalpable, qui donne la même limite de visibilité
dans le tube de Bunsen. J ’ai dilué progressivement, dans de l’eau purifiée
au filtre Chamberland, quelques centigrammes soit d’argile des
grands fonds du Léman, desséchée, porphyrisée et tamisée, soit de la
même argile décantée pour n’y laisser que la partie impalpable, soit de
la même argile à l’état humide pareillement décantée (c’est le procédé
qui m’a donné les meilleurs résultats) ; puis j ’ai étudié ces eaux dans le
tube de Bunsen, et j’ai constaté le degré de dilution qui fournit la visibilité
correspondante à la limite de visibilité de l m dans le lac. Voici
comme exemple l’une de ces expériences :
11 Os de limon humide des grands fonds, faisant 55°s de limon sec,
dilués dans 52 litres d’eau pure commencent à montrer, dans le
tube de Bunsen de l m, les premières traces de lumière diffuse;
dilués dans 74 litres d’eau commencent à donner la vision nette
des grosses lettres d’imprimerie. A ce moment la dilution est
de 7 milligrammes par litre.