N’y trouverons-nous pas des motifs de rejeter l’eau du lae pour l’alimentation
de l’homme?
A Genève, apparut au printemps de 1884, une épidémie de fièvre
typhoïde qui s’étendit sur 183 cas, de janvier à juin (*). Une nouvelle
épidémie se développa en 1884 ; de janvier à mai, on compta 1625 cas
de cette maladie, avec une mortalité de de 7.6 % (*). Tout porte à
croire que c’est par l’eau potable, puisée dans le port, que l’épidémie
s’est propagée ; les foyers primaires d’apparition de la maladie étaient
tous, en effet, dans le périmètre alimenté par la machine hydraulique
de la ville. Or c’était la première fois, depuis le commencement du
siècle passé que l’on avait à se plaindre des eaux d’alimentation de
Genève, et que l’on pouvait les accuser d’être la cause d’une épidémie.
Qu’était-il survenu de nouveau qui ait occasionné l’infection de ces
eaux jusqu’alors si saines ? C’est que les conditions de la prise d’eau
s’étaient notablement modifiées dans les dernières années. La ville
s’était beaucoup étendue, et de nouveaux quartiers, très populeux,
bâtis le long du lac, avaient de plus en plus versé leurs égouts dans le
port. De grandes jetées, bâties en 1855, traversant la rade, forment
actuellement dë puissants remous qui entraînent jusqu’au milieu du
courant les eaux des deux rives ; enfin, pendant les basses eaux, de
l’hiver, les bateaux à vapeur, circulant dans le port insuffisamment
dragué, remuent la vasè du fond, entraînent derrière eux des eaux
infectes et les amènent jusqu’au milieu du fleuve. Malgré ces conditions
déplorables, la ville de Genève avait laissé la prise d’eau de sa
machine hydraulique dans le même lieu où elle avait été établie en
1715, au milieu du pont de la Machine, ç’est-à-dire dans le fleuve
même, en aval du port, dans une situation; évidemment très exposée
à toutes les chances possibles de contamination. Instruite par
l’expérience, l’administration municipale de Genève a prolongé dans
l’été-de 4884 la canalisation de sa prise d’eau, et-a placé l’ouverture
dans le lac lui-même en dehors des jetées ; immédiatement l’épidémie
a cessé de se développer et n’a pas reparu depuis lors. Dans les
années subséquentes, on a construit un double réseau de magnifiques
égouts dont les collecteurs, longeant les quàis des deux côtés du lac,
emmènent bien en aval de la ville toutes les eaux sales des quartiers
(1) Revue Soc. méd. Suisse romande, l 1881 (passim).
(2) Revue Soc. méd. Suisse romande, IV. 1884 (passim).
EAU D’ALIMENTATION
des Pâquis et des Eaux-Vives, et le port depuis lors est purgé des
causes déplorables d’infection qui existaient auparavant. (*)
A Zurichj une. violente épidémie de fièvre typhoïde a apparu en
1884, et de mars à octobre s’est propagée sur 1303 cas d’infection primaire,
318 cas d’infection secondaire, ensemble 1621 cas, avec une
mortalité générale de 9.1 °/0. L’épidémie a été causée par les eaux d’alimentation
; cela est prouvé par l’étude statistique du DrH. de Wyss (â).
L’alimentation d’eau de la ville de Zurich est mixte depuis 1868 ; aux
eaux de sources-qui suffisaient seules avant cette date, on a adjoint
les eaux du lac pompées par une machine hydraulique. La distribution
géographique des cas d’infection primaire a montré que l’épidémie de
1884 a été due à l’infection des eaux venant du lac. Une critique attentive
des conditions de la canalisation a .prouvé jusqu’à l’évidence que
les Conduites d’eau étaient mal établies et mal entretenues, et que là
seulement était la cause' de l’événement- Tandis que la bouche de la
prise d’eau allait correctement s’ûuvrir dans le lac à l’origine de la
Limmat, la canalisation du: tube d’aspiration, mal étanche, permettait
l’entrée de l’ëau sur plus ou moins toute la longueur du tuyau couché
dans ledit dé la rivière ; l’appel de la machine attirait de l’eau puisée
dans le fleuve après la traversée de toute la ville, de l’eau polluée par
conséquent par les égouts d’une énorme population citadine. Une
commission .spéciale a été nommée pour étudier cette question ; composée
des hommes les plus éminents de cette ville savante, MM. Pes-
talozzi, Dv Zehnder, D'' H. de Wyss, Dr Cramer, Dr Lunge, Prof. Heim,
Ed. LoCher, Bleuler, BertSchinger, Cette commission n’a pas hésité,
lorsque l’administration de Zurich lui a demandé d’augmenter la quantité
d’eau potable pour l’alimentation de la ville, à mettre de côté toutes
les eaux de source qui lui étaient offertes, et à demander uniquement
au lac le supplément -d’eau qui lui était réclamé. La prise d’eau
a été établie-dans le lac lui-même, et une canalisation, sûrement étanche,
amène désormais de l’eau à l’abri de tout soupçon.
(!) Pendant la terrible bise du 1er octobre 1894, une des plus violentes connues,
la population de Genève a constaté, avec grande satisfaction, que les eaux d ’alimentation
de la ville étaient restées parfaitement limpides, tandis qu’en pareilles
circonstances.elles eussent jadis été troubles et presque inbuvables. Les travaux de
correction de la prise d ’eau des machines hydrauliques, qui va actuellement s’ou-
vrir à 2000“ en amont de la ville, et' à 7™ de profondeur dans le lac, ont donc très
bien réussi à ce point 'de vue (La Tribune de Genève, 4 octobre 1894).
(-) [Loc. cit. p. 637}.'
41
WMI