avait déjà formulée en 1860 ; mais j’y suis arrivé par une recherche
indépendante et personnelle et je la motive par des arguments nouveaux.
Telle est dans ses grands traits la réponse que je donne au problème
des lacs verts et des lacs bleus : Les lacs bleus sont ceux dont lès eaux
ne contiennent que des sels incolores. Les lacs verts ont leurs eaux verdies
par un mélange d’eaux jaunes contenant d e l’açide-humique, eaux
de tourbières.
Mais j’ai à noter encore deux circonstances assez importantes qüï
modifient ces faits généraux :
La première se rapporte à la couleur de l’eau dans la région littorale
des lacs bleus. Si dans le lac Léman, lorsque les eaux sont bien limpides
et d’une couleur bleue incontestable,, je place le miroir de
Wittstein au bord du lac, et si j’étudie la couleur de l’eau dans un
rayon horizontal, je la Vois d’une belle teinte glauque, d’un bleu vert
manifeste, exprimé par les n°s V ou VI de ma gamme. De même si je
cherche , la couleur de l’eau sous un bateau à vapeur arrêté au débarcadère
de Morges, par l’éclairage du soleil levant dont les rayons
passent sous le corps noir du bateau, je vois à cette eau une nuance
très différente de l’eau du plein lac. C’est de l’eau glauque, presque de
l’eau verte. Si enfin je regarde à distance d’une hauteur voisine, du
Crêt du Boiron, près Morges, par exemple, le' lac agité par une brise
légère, môrget ou rebat, je distingue facilement la ligne du m o n t;
la couleur de l’eau intervient assez puissamment dans la résultante
qui donne la couleur de surface du lac, pour que je puisse dire que
sur la beine l’eau est verdâtre, tandis qu’à l’eau bleue, au-delà du
mont, l’eau est d’un bleu indigo.
C’est cependant toujours la même eau qui est en jeu, et si je l’étudie
dans le tube de Bunsen, je lui trouve toujours la même nuance. L’eau
de la beine est aussi bleue que l’eau du plein lac. Donc la teinte
apparente verte n’est pas causée par la couleur propre de l’eau, mais
par une coloration de la lumière qui la traverse. Le sol de la beine est
gris jaunâtre ; éclairé par la lumière blanche du soleil, il réfléchit une
lumière gris jaunâtre qui, illuminant l’eau bleue, la fait virer vers le
vert.
Cette interprétation du phénomène est bonne; elle demande cependant
à être complétée. En effet, si je fais la même expérience sur le lac
bleu de Lucel, le miroir qui me montre le rayon horizontal est d’une
splendide couleur bleue (n° III de ma gamme), imperceptiblement
teintée de vert. Pourquoi le miroir montre-t-il une eau glauque sur la
beine du Léman, une eau bleue sur le lac Lucel qui a une profondeur
maximale de 4» seulement, et qui peut être comparé par son peu de
profondeur à la beine du Léman V Pourquoi cette différence1?
Je pourrais admettre que la couleur propre de l’eau du lac Lucel est
un bleu encore plus pur que celui que je vois dans ce rayon horizontal
; que si j ’attribue à ce bleu vu dans mon miroir la teinte n° III,
gamme Forel, si je pouvais la voir dans un rayon vertical, je lui trouverais
le n° I, du bleu pur. Je préfère une autre interprétation du
lait; je le rapporte plutôt aux différences dans la limpidité de l’eau.
L eau du lac Lucel est l’eau la plus limpide qui jusqu’ici ait été étudiée;
j’ai distingué nettement un papier blanc plongé sous l’eau à 60™
de distance (p. 424); elle contient par conséquent un minimum de
poussières en suspension. Par conséquent aussi, la lumière réfléchie
par le sol me trouve pas de poussières faisant écran pour l’arrêter et
se diffuser à son retour; quelque grise, quelque jaune que puisse être
cette lumière réfléchie, elle traverse l’eau et se disperse dans l’espace
sans éclairer l’eau du lac; elle n’intervient donc pas par son mélange
avec la couleur bleue de l’eau pour faire virer celle-ci du côté du vert
Au contraire, dans le Léman, l’eau littorale renferme assez de poussières
pour faire diffuser dans tous les sens la lumière réfléchie par le
sol; cette lumière diffuse gris jaunâtre se combine avec le bleu de l’eau
pour donner une résultante manifestement verte.
- Il est un lieu où, sans artifices particuliers, on peut admirer la couleur
de ces eaux littorales : c’est la cascade du Rhône, à Genève.
Voici la description que j’en donnais en septembre 1888 (!). « La chute
du Rhône, sous le pont de la machine, à Genève, offre un spectacle
des plus intéressants. Le débit du fleuve exige, en cette saison, la fermeture
de la moitié du barrage ; l’éclusier a, par une disposition fort
heureuse des . vannes, fait alterner les portes ouvertes avec les portes
ermées, de telle sorte que le barrage présente aujourd’hui 18 orifices
réguliers par où l’eau s’écoule, séparés par des cloisons larges et
obscures. Il résulte de cette habile ordonnance des chutes, des jeux de
lumière très curieux et brillants.