admettons que les seiches sont des vagues d’oscillation fixe, des
vagues de balancement. La formule mathématique rénd parfaitement
compte des phénomènes, et même la question délicate de la cause des
seiches, si elle n’est pas encore aussi limpide que je la voudrais, ne
nous pose plus de ces objections insolubles, qui nous ont si longtemps
laissés en suspens.
L’hypothèse que j’ai proposée, il y a une vingtaine d’années, estbien
près d’arriver à la dignité d’une théorie, grâce à la collaboration efficace
et active des amis et collègues qui se sont attachés avec moi à
ce problème, en particulier de MM. P. du Boys, à Annecy; A. Delebec-
que, à Thonon; Ch. Dufour, à Morges; Manseli, à Chalcis; H.-C. Rus-
sell, à Sydney ; Ph. Plantamour, Ed. Sarasin, J.-L. et Ch. Soret, à
Genève; E. de Zeppelin, à Constance ('). Je veux espérer que tous
ceux, connus ou inconnus, qui ont pris part à cette étude, y auront
trouvé autant de satisfaction et de jouissances" que moi, en sentant que
nous arrivions à la solution d’un des problèmes les plus intéressants
soumis à la curiosité de l’homme.
Il y a longtemps de cela, c’était en août 1875, j’étais assis sur une
pierre de la grève à Romanshorn, et je suivais de l’oeil le flotteur de
mon plémyramètre qui oscillait sous l’impulsion des seiches du lac de
Constance. Un habitant de la ville, un instituteur, je crois, qui m’avait
vu stationner, sans motif apparent, pendant quelques heures sur cette
plage marécageuse, me questionna sur mes recherches ; je lui expliquai
de mon mieux le phénomène des seiches et le but de mes études,
mais quand il termina par un ; « Zu was nützt das 7 » A quoi cela sert-
il? je fus, je l’avoue, un péu interloqué. J’essayai de lui dire que je
m’appliquais à la solution d’un problème de la nature ; je ne sus pas
lui indiquer d’utilité immédiate ou pratique, et mon interlocuteur se
retira évidemment peu satisfait. Il avait l'air de voir en moi ¿ u n Monsieur
qui ne craint pas de perdre son temps. » — Il est vrai que j’ai
consacré à ces recherches bien des heures, bien des journées, bien
des années de ma vie. Mais j’avoue que, dans mon for intérieur, je ne
me suis jamais senti humilié d’avoir dépensé autant de cette denrée
précieuse entre toutes, le temps qui s’écoule et ne revient pas, à un
thème sans utilité immédiate et pratique. La recherche désintéressée
(i) Je les cite, ces noms, en ordre alphabétique, ne voulant pas, ne pouvant pas
é tablir d’autre gradation dans cette énumération.
des taits et des lois de la nature n’est pas un travail vain et sans
résultat : la grandeur de l’homme ne réside-t-elle pas en partie dans
cette curiosité singulière qui l’entraîne à surprendre et à comprendre
les secrets de la nature qui l’entoure ? n’est-çe pas une noble tâche
que la recherche de la vérité, sous quelque forme qu’elle se présente
à nous ?
N’est-ce pas quelque chose d’avoir trouvé une explication plausible
des grandes seiches de Genève et une solution satisfaisante du problème
de l’Euripe?
Mais il y a plus, et c’est là une des beautés de nos études scientifiques.
Toute recherche, quelque désintéressée qu’elle paraisse au premier
abord, peut amener, par des voies souvent bien détournées, à
des résultats pratiques et utiles. Notre étude des seiches peut, elle
aussi, avoir son utilité pratique. Quand il sera définitivement démontré
que les mouvements de balancement de l’eau des lacs répondent aux
lois générales de la mécanique pure, que l’oscillation des seiches suit
le rythme que Merian a déduit des équations différentielles de la
mécanique analytique de Lagrange, ou le rythme que M. du Boys a
tiré de considérations d’hydraulique supérieure ; quand nous aurons
trouvé une confirmation de quelques données de la théorie pure par
l’observation directe d’oscillations qui mettent en mouvement de
balancement aussi bien la masse énorme des 89 milliards de mètres du
Léman, que les quelques litres d’eau de nos auges d’expérimentation,
n’aurons-nous pas là une vérification précieuse? Sur une échelle vraiment
gigantesque, nous aurons la preuve de quelques-unes des lois
qui sont à la base de la science humaine ; nous aurons, dans la faible
mesure de nos forces, donné une certitude nouvelle au fondement
scientifique sur lequel est bâti tout l’édifice du travail de 1 humanité-'
agissante, de l’humanité active et industrielle.
Mon cher inconnu de Romanshorn, à ta question : « Wozu nützt
es? » je réponds : « Es nützt doch etwas ».
XII. I.es vibrations du lac.
Les tracés limnographiques montrent très fréquemment un dessin
qui mérite l'attention. Au lieu de donner simplement la courbe des
seiches, sous la forme d’une sinusoïde plus ou moins serrée, le tracé