Cherchons, dans les détails constants de l’apparition ou dans quelques
observations spéciales, quelques indications qui nous rapprochent
d’une explication du phénomène.
1° Tout d’abord le fait général et sans exception, c’est que les
apparitions de la Fata-morgana n’ont lieu qu’en temps de réfractions
sur eau froide. C’est au milieu d’une de ces belles après-midi de printemps
ou d’été, par un temps de grand calme, avec peut-être quelques
souffles d’air locaux, quand le lac paraît concave, que l’on voit se développer
presque subitement à l’horizon les bandes striées qui simulent
les palais de la Fée Morgane.
Je ne puis pas confirmer l’affirmation de Brydone (*) qui, après avoir
été témoin du phénomène en 1770, prétend qu’il se produit après que
l’air fortement échauffé a é té a g ité p a r d e s v e n ts v io le n ts qui
l’ont ensuite abandonné dans un calme plat. La phrase soulignée par
moi ne répond ni à mes notes, ni à mes souvenirs; je la transformerai
dans les termes suivants : l’air fortement échauffé et traversé
localement par un léger courant d’air, au milieu d’un lac au calme
plat. M. Ch. Dufour est d’accord avec moi sur ce point; il ajoute
cependant que la présence de nuages limités traversant un ciel serein
est une des conditions nécessaires de la Fata-morgana.
2° Les apparitions de la Fata-morgana n’ont pas lieu simultanément
sur toute la circonférence de l’horizon ; elles sont locales et non générales.
Assez limitées, elles occupent un secteur de l’horizon de quelque
5, 10 ou 15 degrés. Par exemple, vues de Morges, elles envahissent
la côte d’Ouchy à Vevey, ou de Cully à Villeneuve, ou de
Montreux au Bouveret, etc. Le reste de l’horizon présente pendant ce
temps lés réfractions ordinaires sur eau froide, avec lac concave, avec
soulèvement et aplatissement de la côte opposée. — Cette localisation
du phénomène de la Fata-morgana prouve déjà que son origine
' ne doit pas être cherchée dans les conditions de position de l’observateur,
car alors l’apparition serait uniforme sur tout l’horizon, elle doit
au contraire résider en des conditions locales de l’atmosphère dans
la direction où a lieu l’apparition, ou bien au point où les rayons partis
de la côte opposée sont tangents à la surface du lac, ou bien au point
de départ de ces rayons à la côte opposée.
3o La Fata-morgana se déplace lentement par un mouvement d’ensemble,
dans ùne direction déterminée, un jour vers la droite, une
autre fois vers la gauche ; ce déplacement, qui à lieu avec une majestueuse
lenteur, semble être causé par un coup de vent qui promènerait
le phénomène à la surface du lac. Je crois avoir constaté que le
déplacement de la Fata-morgana a lieu dans le sens des brises qui
ainsi que je l’ai dit, accompagnent le phénomène.
4o Les lignes verticales de la zone striée que sont-elles? Sont-ce de
simples traits lumineux, sans réalité, formés par les jeux de lumière
ou bien correspondent-elles à des objets existant sur la côte et déformés
par les réfractions? Ch. Dufour a déjà répondu à cette question en
leconnaissant au milieu de la Fata-morgana les maisons de la Tour-
de-Peilz C est donc la dernière alternative qui est exacte. Je donnerai
encore deux preuves de la justesse de cette interprétation
La première, c’est l’apparition, au milieu de la Fata-morgana, des barques
ou bateaux naviguant dans l’éloignement, fig. 147- ils sont
déformés, transfor- ’
més en des rectangles
étirés du haut,
mais ils sont parfaitement
reconnaissa- 1^7.) Fata-morgana. Voiles lati.nes prises dans la zone
mes, et les rectangles striée, 4 juin 1888.
blancs ou noirs qui les représentent correspondent à des objets réels.
Nous pouvons le vérifier si, nous élevant suffisamment au-dessus du
lac pour sortir de la couche des réfractions, nous voyons non altérés
les bateaux qui, vus du bord de l’eau, avaient des apparences et des
formes fantastiques.
La seconde preuve, c’est l’immobilité de ces masses lumineuses de
la zone striée. Si celles-ci étaient le résultat de jeux de lumière sans
base matérielle, elles se déplaceraient incèssamment et n’auraient
point de position fixe.
Toutes nos observations nous montrent dans la zone striée une
déformation en hauteur de masses, de lignes, de points réels de la
côte opposée. Tous ces objets sont comme étirés par une distension
forcée.
5° Un point très important à déterminer est celui-ci : la bande
striée de la Fata-morganà est-elle au-dessus ou au-dessous de l’horizon
apparent du lac? Autrement dit, le plan de l’horizon dans la partie où
ont lieu les réfractions simples sur eau froide se continue-t-il avec