Ainsi donc, en ajoutant 450»’ d’eau de tourbe à 5650» d’eau du
Léman, soit environ 8 % , je fais virer la couleur bleue primitive de
cette eau à la couleur des eaux les plus vertes et les plus jaunes.
ü n tel mélange est-il dans les choses possibles? N’aurions-nous pas
là une eau én dehors de toutes les eaux lacustres connues? A cette
question répond le calcul suivant :
Mon collègue, M. le prof. E. Chuard, de Lausanne, a analysé l’eau de
tourbe qui m’avait servi dans cette expérience et y a trouvé :
Résidu fixe 174m»’ par litre
Mat. organiques , 82 -r-
Laissons de côté le résidu fixe. A cette dose de matières organiques,
les 450»’r d’eau de tourbe que j’ai ajoutées à l ’eau du Léman contenaient
37m» de. matières organiques qui, réparties sur les 5.2 litres de
l’eau du .tube de Bunsen, représentent une surcharge de 7ms par litre
. de matières organiques.
Si j’admets que l’eau du Léman en contenait originellement sa dose
normale, 10ms par litre Ç), l’eau verte, nuance n° 80, en aurait contenu
17™£.
Cela ne me paraît pas impossible, mais au contraire très plausible.
Donc, il est possible de faire virer au vert l’eau naturellement bleue
d ’un lac en lui mélangeant une certaine quantité d’eau tourbeuse. Cela
a-t-il lieu dans la nature? Est-ce une bonne explication des lacs verts !
La question doit être posée à la géographie : Y a-t-il plus de marais
tourbeux dans le bassin d’alimentation des lacs verts que dans celui
des lacs bleus? — La question est très simple, mais il est malaisé de
lui donner une réponse précise. Dans nos pays alpins ou jurassiques, il
y a partout des tourbières ; leur proportion relative est difficile à éva(
q Voir plus loin, dans la chimie des eaux du lae.
luer. Puis il est des questions accessoires qui compliquent l’enquête.
Les tourbières peuvent être plus ou moins délavées par les eaux d’infiltration;
leur importance relative peut être plus ou moins grande par
rapport au débit total des affluents, ou encore par rapport au volume
total du lac. Les premiers documents que j ’ai rassemblés, quoiqu’assez
encourageants, ne m’amenaient pas à un résultat décisif.
Le Léman, lac bleu, a dans son bassin d’alimentation des tourbières
dans la plaine du Rhône et sur les croupes des Alpes. Mais il semble
qu’il en ait relativement moins que les lacs de Morat et de Neucbâtel
et que les autres lacs verts du nord de la Suisse. La proportion des
tourbières paraît peu considérable pour le Léman si on les compare
avec la grande étendue des glaciers qui l’alimentent, et surtout avec le
volume énorme dè ses eaux.
Le lac d Annecy, lac bleu, n’aurait pas ou n’aurait que très peu de
tourbières dans son bassin, d’après M. A. Mangé, architecte à Annecy (D
tandis que le lac du Bourget, lac vert, en aurait relativement plus
Le Benaco, aux splendides eaux bleues, a quelques tourbières autour
des petits lacs de son bassin d’alimentation. Il y en aurait relativement
plus dans le pays qui se déverse dans les lacs insubriens, Lario Ceresio
Verbano. (MM. Pavesi et Taramelli, de Pavie.) (®)
Mais si ces appréciations peuvent être discutées, et si elles ne sauraient
que difficilement être prouvées par des chiffres, il en est heureusement
autrement du fait suivant, qui me paraît décisif. Dans les montagnes
d u Tyrol, au nord d’Innsbruck, deux lacs près voisins sont célèbres,
l’un par ses eaux bleues, l’Achensée, l’autre par ses eaux vertes
e Tegernsee. J’ai demandé à M. le professeur Pfaundler, à Innsbruck
quelle est la nature du bassin d’alimentation de ces deux lacs- sa'
réponse a été très précise (3).' Dans le bassin de l’Achensée, il n’y a pas
trace de tourbières; le lac de Tegern en est entouré. C’est très clair
très net et très simple : le lac sans tourbières a des eaux bleues le lac
a tourbières a des eaux vertes. Ce fait géographique me paraît trancher
la question, et je crois pouvoir conclure avec assurance : La cause
principale qui fait virer au vert la couleur naturellement’ bleue de certains
lacs réside dans le mélange d’une quantité suffisante d’eau ayant
ve les tourbières et s ’y étant chargée d’acide humique.
Cette conclusion est à peu près la même que celle que Wittstein
i1'2’“) Communication personnelle.