Je renvoie au mémoire original de L. Dufour pour le développement
de ses importantes recherches.
10° De même que nos réfractions et mirages sur eau chaude se,
voient surtout en hiver quand l’air est plus froid que l’eau, de même
ils peuvent apparaître sur un lac gelé quand la température de l’air est
suffisamment basse. L’un des plus beaux mirages est celui que j ai
admiré le -25 janvier 1880, sur le lac de Zurich recouvert, dans ces jours
de fête, par des dizaines de milliers de patineurs ; l’air était à — 10.5°,
la surface supérieure de la glace à — 3.8° (voyez p. 384); il y avait dans
cette différence de température les mêmes rapports qui nous donnent
les réfractions sur eau chaude; de là les mirages pour les objets situés
au-delà de l’horizon apparent. (•)
11° J’ai dit que les réfractions sur eau chaude et le mirage ont lieu
chaque fois que l’air est plus froid que la surface du lac. . Ge n’est
cependant pas la seule circonstance dans laquelle le phénomène apparaisse,
et j’ai maintenant à décrire ce que je suis entraîné à appeller
le mirage sur eau froide.
Je l’ai observé pour la première fois le 5 août 1887 sur le lac de
Zoug. Occupé à faire, devant la ville, sur l’emplacement de la catastrophe
récente, une série de sondages thermométriques pour étudier
la possibilité de rechercher des sources sous-lacustres, je fus frappé
par l’éclat d’un superbe mirage dans la direction de Cham. J’en conclus
immédiatement que l’air sus-jacent devait être sensiblement plus froid
que l’eau, et grand fut mon étonnement de constater que tel n’était pas
le cas, que. dans l’endroit du moins où je m e trouvais, l’air avait la
même température que l’eau, était même plutôt un peu plus chaud.
La température de l’air,- à l m au-dessus de leau, était, dans notre
bateau, en plein lac, à 22.5° ; la chaleur de la surface de l’eau variait,
suivant les places, de 22.3° à 21.8°. Aucune brise n’agitait le lac ; j’en
pouvais conclure que la température de l’air était régulièrement stratifiée,
et que les faits observés par moi devant Zoug se reproduisaient,
à peu près les mêmes, sur les quelque cinq kilomètres que traversait
, mon rayon visuel.
p) Que l’on me pardonne le dessin-plus que fantaisiste qui accompagne une
note de l a N a t u r e de Paris dans laquelle je décrivais ce phénomène (La Nature,
VIII, 1, p-. 289. Paris 1880). Le graveur s’est permis des libertés qui ont absolument
déformé mon croquis, et je niai pas été.appelé à donner le bon à tirer. Ne
possédant plus l’original, je ne puis le reproduire ici.
RÉFRACTIONS SUR EAU CHAUDE
Ces mirages étaient donc dans des conditions anormales. Tout autre
explication étant exclue par les circonstances de temps et de lieu,
j’attribuai la production de ce mirage à une stratification de l’air en
couches inégalement humides, de richesse en vapeur d’eau croissante
de haut-en bas.
Depuis cette époque, j’ai fréquemment observé en été, sur le Léman
et ailleurs, des mirages très semblables à nos mirages d’hiver, mais se
produisant dans les mêmes conditions qu’à Zoug, c’est-à-dire dans un
air plus chaud que la surface du lac. Pendant l’année 1889, j’ai noté le
phénomène jusqu’à 37 fois. ,
Je mesurais la température de l’eau du lac au bout du débarcadère
de Morges. Cela me donnait, il est vrai, la température littorale, et non
la température pélagique ; mais la seconde est normalement en été
plutôt plus basse que la première, et sous ce rapport la correction de
l’erreur que je pouvais commettre aurait probablement exagéré l’anomalie
des conditions du mirage Q), Je mesurais en même temps la
température de l’air au thermomètre de la colonne météorologique du
quai de Morges. J’avais là, il est vrai, une cause d’erreur assez grave ;
en effet, c'était de l’air de terre-ferme et non de l’air lacustre, de l’air
peut-être plus chaud que l’air sus-jacent au lac. Mais cette erreur, probable
dans certains cas, était nulle dans d’autres cas assez nombreux.
Ainsi fort souvent, quand je constatais ces mirages sur eau froide, le
vent soufflait en rebat, venant du large sur la terre/ferme ; le thermomètre
était donc baigné dans un air lacustre qui nous apportait la température
du plein lac. Ainsi encore, dans quelques cas où ces mirages
étaient bien prononcés, je suis sorti en péniche jusqu’à quelques
kilomètres au large, ou bien j’ai fait une course en bateau à
vapeur, voire même une traversée-jusqu’en Savoie, et j ’ai constaté
qu’en plein lac il y avait de même des conditions anormales pour la
production du mirage, à savoir superposition d’un air plus chaud sur
un lac plus froid. Enfin la différence énorme de température que j’ai
constatée parfois, jusqu’à 6 ou 7 degrés en mai et juin 1889, exclut
toute idée d’erreur d’observation, suffisante pour expliquer le phénomène.
Quelque erreur.-partielle que j’aie pu faire dans les lectures
.thermométriques, il est impossible qu’en lés additionnant on puisse
(f) G est ce que j ai pu vérifier pour les observations des mois de juillet et août,
où je disposais des températures pélagiques mesurées pa r les capitaines d ebateau
à vapeur. L ’anomalie a le plus souvent été exagérée, jamais elle n’a été annulée.