couleur sont certainement un des moyens les plus décisifs qui donnent
au paysage sa variété et son intensité d’effet.
11 est dilflcile, il est impossible de décrire ces artifices de la lumière ,;
l’analyse d’impressions aussi subtiles, qui ne sont presque que des émotions,
échappe à la paresse de la plume. Pourquoi le même bleu est-il aujourd’hui
plus délicat et plus tendre ? Pourquoi était-il hier plus vif, plus
joyeux ? Pourquoi sera-t-il demain plus sombre? Pourquoi telle teinte
violâtre de la côte de Savoie fait-elle virer le même lac, ridé par la
même brise, vers les teintes de l’aigue-marine, tandis qu’un ciel bleu-
méditerranéen lui donnera les nuances de la turquoise? Un nuage
d’orage assombrit la rive opposée, et trace une bande noire sur .la
moitié éloignée du Léman; au-devant, le soleil éclaire les eaux qui
prennent les tôas du myosotis. Une heure après, le voile a recouvert
notre côte, et la bande littorale, illuminée par la lumière du zénith,
apparaît violacée; le lac à l’horizon semble alors presque vert. C’est
la même eau, c’est la même lumière, c’est le même vent qui trace sur
le miroir les sillons parallèles de ses vagues, et cependant la couleur
apparente diffère autant que l’eau verte du lac des Quatre-Cantons
est autre que l’eau azurée du lac de Garde ; le secret magique qui fait
ces changements à vue, c’est le contraste des couleurs adjacentes.
Les lacs les plus étranges, les plus intéressants ne dirai pas les
plus beaux, car le triomphe du Léman, c’est la grande sérénité des
beaux jours d’automne et d’hiver — les lacs les plus variés et les plus
curieux sont ceux des jours d’orage où les contrastes de lumière sont
le plus diversifiés et renouvellent la scènerie comme sous les ordres
d’une baguette enchantée.
Je dois indiquer en terminant une cause importante de variation
dans l’impression colorée que nous donne la surface du lac, c’est l’état
physiologique de nptre rétine. Si, enfermé dans la chambre où je travaille
actuellement, j’ai pendant des heures été reposé par les tons
verts et peu lumineux des arbres d’un jardin, si j’arrive subitement en
face du lac éclairé par un beau soleil, je suis ébloui par l’intensité de
son azur et le Léman me paraît plus bleu que jamais. Mais cette
impression du premier instant ne dure pas ; bientôt ma rétine se fatigue
ou s’habitue à la lumière bleue, et dans le même lac qui m’avait
étonné quelques instants auparavant, je retrouve les teintes et les tons
qui me sont familiers. Cette transformation de l’impression subjective
est remarquablement rapide.
3° La couleur propre de l’eau. Nous devons déduire de notre premier
facteur, soit l’état d’agitation de l’eau, l’importance de ce troisième
facteur, la couleur propre de l’eau ; lorsque les vagues sont
assez vives et qu’elles sont dans une direction convenable pour que le
rayon Visuel ne soit pas entièrement réfléchi sur leurs faces miroitantes,
mais pour qu’il pénètre dans l’intérieur de la vague, alors la
couleur même de l’eau entre dans la composition de la couleur superficielle
du lac. Un lac aux eaux7vertes, agité par la bise, apparaît vert
vu de la rive. Le Léman apparaît dans ce cas d’un bleu d’azur.
Si l’on veut se rendre compté de cette action, que, par un lac agité,
on navigue en pleine eau, et qu’on regarde du pont d’un bateau la surface
de l’eau à quelques mètres seulement de distance. On verra distinctement
sur la face antérieure des vagues ou des rides, sur la face
inclinée vers le spectateur, la couleur propre du lac émise par l’eau,
sur la face postérieure l’image de réflexion, les teintes du ciel ou des
nuages qui s’y reflètent. La couleur apparente à distance résulte de la
combinaison de ces deux couleurs composantes. Nous avons à signaler
cependant quelques cas particuliers :
1° La nuance de l’eau du lac varie notablement suivant qu’elle est
éclairée par la lumière directe du soleil, ou par la lumière diffuse seulement.
Le soleil lui donne une teinte beaucoup plus claire, beaucoup
plus gaie que la lumière diffuse, sous laquelle le lac est plus foncé,
plus violet. C’est ce que l’on reconnaît par un jour de bise lorsque le
lac est d’une couleur superficielle d’un bleu de turquoise; si un nuage
traverse le ciel et vient porter son ombre sur le lac, celle-ci se dessine
comme une tache sombre, violacée, à bords très nets et bien tranchés-
2» Nous avons, dans l’étude de la couleur propre de l’eau, montré
quelles sont les variations saisonnières ; comment le lac est plus limpide
et d’un bleu plus sombre en hiver, plus opalin et d’un bleu plus
clair en été. Ces variations de teinte se manifestent avec grande évidence
dans la couleur apparente du lac, dès que, par les rides des
vagues, la couleur propre de l’eau intervient dans la résultante générale.
Les bleus sont plus adoucis, moins crus en été qu’en hiver.
3° Quand une pluie d orage a sali les affluents, leurs eaux troubles
sont versées dans le lac et, si leur densité n’est pas trop forte, dans
les mois, du printemps, par exemple, elles s’étalent à la surface; s’il
fait des. vagues, leurs eaux sont mélangées avec les eaux superficielles
du lac ; elles forment devant les embouchures dès rivières de larges.