la beine. Lorsque l’eau est limpide, que le soleil brille au firmament,
et que la surface du lac est soulevée en vagues mortes, l’on voit se
dessiner sur le fond de l’eau des lignes brillantes qui courent avec les
vagues et représentent les lignes focales des surfaces cylindroïdes de
réfraction. Lorsque la profondeur de l’eau est plus grande ou moins
grande que la distance focale, ces lignes se changent en bandes d’autant
moins brillantes qu’elles sont plus larges, ce qui veut dire que
l’écran est plus éloigné du point focal moyen.
Ces lignes brillantes cheminent avec les vagues ; elles se déplacent
donc assez vite. Leur mobilité apparente est augmentée et compliquée
par les réfractions différentes subies à sa sortie de l’eau, alternativement
sur les faces opposées des vagues, par le rayon lumineux qui les
apporte à l’oeil. Ce rayon traverse tantôt la face de la vague inclinée
vers l’observateur, tantôt la face opposée qui se relève en sens inverse ;
tantôt il est peu réfracté, tantôt il l’est beaucoup. L’image de la ligne
d ’illumination, comme du reste l’image de tout corps plongé sous l’eau,
subit de ce fait des déplacements continuels, un sautillement dans le
plan visuel perpendiculaire à l’arête des vagues.
Pour supprimer ces déplacements dus à la réfraction sur les faces
des vagues, on n’a qu’à se servir de la lunette à eau décrite à la page
2 du tome Ier.
Ce sautillement de l’image, combiné avec la progression normale de
la ligne d’illumination qui marche avec la vague, donne à l’apparition
un aspect mouvementé très spécial.
Le cas où ces foyers d’illumination donnent les images les plus
belles est peut-être celui d’une vague latérale de refoulement d’un
bateau à vapeur marchant à grande vitesse sur la beine, si le lac est
absolument calme et le soleil brillant. On voit alors au milieu de la
vague, à surface unie avant qu’elle se brise et se recourbe en volute,
comme un voile de gaze aux reflets d’aigue-marine, d’un éclat fort
doux et d’un effet saisissant. J’ai admiré entr’autres ce phénomène
près du port de débarquement de St-Sulpice et sur le banc du Travers
à Genève.
En même temps que les rayons solaires sont réfractés et concentrés
sur ces lignes d’illumination, ils subissent une dispersion chromatique,
et la lumière blanche est décomposée en ses parties élémentaires.
Les lignes d’illumination présentent sur leurs bords les couleurs du
spectre de dispersion, et cela de telle manière que si l’on considère la
projection du soleil à l’horizon comme le centre d’un cercle d’où
partent les rayons solaires, le rouge du. spectre, soit les rayons
les moins réfrangibles, est en dehors, le bleu, soit les rayons les plus
réfrangibles, est en dedans ; le rouge est sur le bord de l’image le plus
rapproché du spectateur qui a le soleil devant lui.
Ces petits arcs-en-ciel aquatiques, si j ’ose m’exprimer ainsi, présentent
du reste les mêmes mouvements de progression et de sautillement
que les lignes d’illumination, et ils donnent, quand ils sont bien
développés, les jeux de lumière les plus gracieux et les plus délicats. (*)
Ces spectres de dispersion chromatique sont d’autant plus éclatants
que le soleil est plus brillant et l’eau plus limpide. Je ne les ai vus
nulle part aussi joyeusement colorés que dans l’eau admirablement
transparente du lac Lucel (vallée d’Arolla), éclairée par la lumière
intense des hautes régions de l’atmosphère (2) ; ils étaient bien beaux
aussi en avril 1888, dans les piscines de Sidi Meçid, à Constantine, où
le soleil d ’Algérie se jouait dans les eaux d’une pureté cristalline.
Dans notre lac Léman, il est rare qu’on puisse les observer. Mais ils
y sont aussi brillants qu’ailleurs lorsque le spectateur rencontre la
réunion des conditions favorables, à savoir : grand éclat du soleil, élévation
suffisante de l’astre sur l’horizon, grande limpidité de l’eau,
vagues de forme convenable, profondeur de l’eau correspondant à
la distance focale de la surface des vagues. J’ai dans mes notes de
nombreuses observations du phénomène; il serait oiseux de les énumérer
ici.
La théorie de ces spectres de dispersion est bien simple.
Les rayons diversement colorés de la lumière blanche sont différemment
réfrangibles ; eh traversant un plan ou une surface réfractante,
ils sont donc déviés suivant des angles différents; il y a aberration
de réfrangibilité.
Si le soleil est au zénith, en frappant sur la surface cylindroïde
d’une vague, V, les rayons sont dispersés chromatiquement; l’image
portée sur un écran opaque, E, sera colorée différemment suivant la
(!) Pour étudier plus facilement ces apparitions colorées, je fais ramer dans le
même sens que les vagues et avec la même vitesse qu’elles, de manière à ce que
1 image paraisse immobile sous le bateau. Le spectacle est alors d’un grand éclat ;
c ’est une brillante illumination du fond de l’eau.