d’autant plus cpie l’épaisseur de la glace est plus grande, tandis qu&
les couches profondes en contact avec l’eau à 0° gardent une température
relativement plus élevée.
Une telle division de la glace en prismes verticaux diminue notablement
la résistance à la pression de la nappe solide.' Dans l’hiver de
1891, sur le lac de Zoug, M. Bieler a constaté que la glace, qui en
phase de congélation progressive portait déjà l’homme avec une épaisseur
de l l cm, était devenue dangereuse lorsqu’en phase de dégel elle
avait encore 22.5cm ('). Les instructions du ministère de la guerre de
France qui disent que la glace de rivière, à une épaisseur de 4™,
commence à supporter le poids d’un homme, à une épaisseur de 9™
porte un détachement d’infanterie, à 12™ porte des pièces d’artillerie
de huit, etc., ne s’appliquent qu’à la jeune glace en phase de congélation
progressive ; il serait dangereux de s’y fier sur de la vieille glace,
divisée par le procès que j’indique en prismes verticaux. (2)
Les phases de congélation établie et de dégel ne se développent sur
le Léman que dans certains points limités, plus ou moins séparés de
la grande masse du lac, tels que les lagunes (de Villeneuve ou des
Pierrettes), les estuaires (dé la Venoge oü de l’Aubonne), les ports,
fermés (de Morges ou de Genève), lès fonds de golfes, -et cela seulement
dans les hivers rigoureux. Je n’ai pas d’observations. spéciales à
citer de ces phénomènes et je me borne, à leur égard, à renvoyer
aux faits généraux dont je viens de faire la théorie.
11 en est autrement de la phase de début ou de prise de la glace qui
présente sur notre lac plusieurs traits instructifs ou intéressants. Je
vais donc décrire ou raconter :
La congélation de la rade de Genève par coagulation discrète, telle
qu’elle a été étudiée, entre autres, en 1891.
La congélation lamellaire, congélation printanière du Petit-làc en
1880,1888 et 1891.
La congélation lamellaire du Haut-lac en 1891.
4. Congélation de la rade de Genève.
Le port de Genève a souvent été pris par la glace; nous avons
indiqué p. 374 les dates assez nombreuses dans lesquelles on cite cette
(i) Voir Congélation des lacs .suisses en 1891 [loc. cit. p 8?3j|
C2) Revue scientifique de Paris, L l, 379,1893.
apparition. Mais le phénomène complet, celui qui cause une grande
émotion dans la population genévoise, qui est constaté par les chroniques,
c’est la congélation totale de la rade amenée au point où l’on
peut se hasarder à traverser d’une rive à l’autre. Nous l’avons vu
en 1891 ; l’événement était si inattendu, si rare, si intéressant que
chacun a voulu en être témoin ; hommes et femmes, enfants et vieillards,
tous ont voulu traverser le lac à pied sec; oui, jusqu’à des
infirmes qui se sont fait porter à travers le lac. Plus encore que la congélation
totale du lac de Zurich, qui est une fête pour le nord-est de la
Suisse, la traversée de la rade de Genève est un fait tellement extraordinaire
qu’il est enregistré avec soin dans la chronique! C’est une
date météorologique certaine, et par conséquent, semble-t-il, de grande
váleur historique.
La traversée sur la glace de la rade de Genève a eu lieu en 1570,
1681,1684,1785,1788 (le 29 décembre, pâr conséquent dans l’hiver
de 1789, si nous désignons l’hiver par l’année dans laquelle il se termine),
1810, 1854 et 1891. Nous allons résumer les circonstances
principales de la congélation de 1891, et nous en tirerons quelques
notions générales intéressantes.
A partir du 1er janvier 1891 (*), la température de l’eau mesurée dans
le port de Genève était au-dessous de 4° ; l’eau du Petit-lac était donc
froide; la stratification thermique était inverse, et la congélation devenait
possible. Dès le 9 janvier, le port montrait des prises partielles par
la glace. Le 17, une forte bise s’élève, et en dehors du port le lac se
coagule en glaçons-gâteaux de plus en plus grands; ce jour-là déjà, le
port est entièrement pris et l’on peut traverser du quai des Eaux-
Vives au quai du Mont-Blanc, d’une rive à l’autre. La bise continue le
18 et le 19 ; la rade de Genève se couvre d’énormes glaçons-gâteaux
qui forment un caillebotis de plus en plus large, lequel s’avance toujours
plus dans le lac. Les gâteaux se soudent le long des jetées, et
le 19 toute la rade est prise en une nappe assez continue pour que
l’on ose la traverser en dehors des jetées. Le 20, la bise tombe, et
quoique le froid continue avec grande intensité, immédiatement la
glace fond sur le cours du Rhône, au milieu de la rade, entre les jetées
et dans le port. Le 21 janvier, la glace diminue rapidement ; le 22 elle
avait disparu.
On a remarqué que la glace avait commencé à fondre aussitôt que
(-1) Il y avait déjà eu apparition passagère d’eaux froides le 29 décembre 1890.