ment, la température de l’eau s’abaisse notablement à la côte sur le
vent ; le courant de retour doit remplacer l’eau emmenée par le courant
de surface, et pour cela un courant vertical ascendant le long de
la côte sur le vent amène dé l’eau froide des couches profondes.
d. L’apparition des eaux troubles du Rhône sur la côte septentrionale
du Léman en temps de forte bise. C’est un phénomène étrange
et qui m’a longtemps préoccupé. Par une grande bise, lorsque le vent
du nord fait rage depuis un ou deux jours, si l’on contemple le Léman
d’une station un peu élevée, les monts de La Vaux, Lausanne, les
collines de Morges, on constate que le lac est séparé en deux zones
différentes : le long de la rive, jusqu’à un ou deux kilomètres en avant,
l’eau est verdâtre ; en plein lac, elle est d’un bleu sombre. La bande
des eaux verdâtres est bien limitée au large par une ligne franche ;
cette ligne n ’est pas parallèle à la rive ; elle forme des caps et promontoires,
souvent très accentués, dont le dessin varie d’une fois à
l’autre. La bande des eaux verdâtres peut commencer en amont de
Vevey, et s’étendre jusqu’à Rolle et au-delà ; je l’ai vue jusqu’à Fleur
d’Eau. Si nous descendons au lac, si nous traversons jusqu’en plein
lac, nous constatons que l’eau bleue du large est de l’eau parfaitement
pure, que l’eau verdâtre de la côte est légèrement opaline. Ce
n’est pas de l’eau grise ou jaunâtre opaque, comme l’eau salie par un
affluent débordé ; du reste, en temps de bise, (la bise est un vent sec)
les affluents sont en général à l’étiage et limpides. Ce n’est pas dé
l’eau grise ou jaunâtre, comme l’eau salie par le brisement des lames
sur la grève; du reste, les vagues du vent du nord partant de la côte
septentrionale, qui est la côte sur le vent, ne sont pas assez fortes
dans la région que nous considérons pour soulever la vase de la
beine. L’eau est opaline ; elle n’est ni louche, ni sale. La limite de visibilité
(voir plus loin), est par 3 ou 4m de profondeur. Si je filtre cette
eau, il ne reste rien d’extraordinaire sur le papier; la matière qui opa-
linise l’eau est absolument impalpable.
Que signifie cette apparition ? Après avoir épuisé toutes les hypothèses
possibles, j’en suis revenu à l’explication (') qui est contenue
dans le nom vulgaire donné par nos pécheurs à ces eaux opalines,
qu’ils appellent les tro u b lo n s (eaux troubles) du R hône . Les eaux
verdâtres qui nous occupent sont les eaux profondes du lac ramenées
(') S. V. S. N , 19 juin 1889.
à la côte sur le vent par le bras ascendant du courant de retour du
vent. —1 En été, les eaux troubles du Rhône, alourdies par leur chargé
d’alluvion, descendent dans les couches moyennes et inférieures du
lac et s’y étalent en nappe horizontale ; elles s’étendent dans le lac
aussi loin que la couche à laquelle elles appartiennent ; nous les
avons vu former par leur dépôt la plaine horizontale des grands fonds
du lac ('), Le fond de la cuvette du lac doit être rempli en été de couches
stratifiées d’eau limoneuse, de plus en plus sales, à mesure qu’elles
sont plus profondes 0 . Or quand un vent puissant détermine une circulation
générale de l’eau par les courants que nous étudions dans ce
paragraphe, le courant de retour, s’il descend assez bas, enlève une certaine
quantité de cette eau limoneuse ; celle-ci est ramenée à la surface
par le courant vertical ascendant de la côte sur le vent ; elle est
brassée par les vagues et opalimse l’eau littorale, puis elle est entraînée
en avant par le courant de surface. De là la formation de la
large bande des eaux côtières opalines, et verdâtres à distance.
Cette explication semble satisfaisante. On en démontrera définitivement
la justesse, quand on constatera, par le vent sudois, ou par lé
bornan, un fait analogue sur la côte de Savoie, dans le golfe d’Àmphion,
par exemple.
Les courants de retour sont en général localisés à une faible profondeur
; on peut admettre qu’ils sont plus ou moins limités au bas de
la couche de densité uniforme (3), et que Ge n’est que par entraînement
progressif qu’ils peuvent descendre dans des couches plus inférieures.
D’après les allures de la stratification thermique de l’eau, les
courants de retour devraient avoir lieu vers 10, 20 et 30m en été ; mais
en automne et en hiver, lorsque la température de l’eau s’est uniformisée
dans une couche d’épaisseur de plus en plus forte, qui finit par
envahir toute la masse du lac, on peut voir ces courants agiter le lac
(‘) T. I, p. 48 et 389.
(2) Mon collègue et ami, le professeur Henri Carrard, de Lausanne, qui savait
appliquer son enthousiasme investigateur aussi bien aux choses du lac qu’aux
grandes études de l’histoire et de la science juridique, m’a raconté qu’en descendant
une bouteille au fond du lac, au large d’Ouchy, il l’avait ramenée pleine
d’une eau limoneuse. Je n ’ai jamais été aussi heureux ; je n’ai jamais réussi à
•constater l’opalinité de l’eau dans les quelques litres que je ramenais du fond du
lac avec mes appareils ; si j ’avais versé cette eau dans un tube de Bunsen, j ’aurais
sans doute reconnu une diminution de sa transparence.
(3) Voir plus loin au chapitre de la thermique.