Cette barre d’eau était très étroite ; la transition des eaux chaudes
aux eaux froides était presque subite, et d’un bout du bateau à l’autre,
je passais d’une région à l’autre. Voici les lectures thermométriques
faites à la surface, de minute en minute, pendant que je faisais ramer
aussi lentement que possible pour passer d’une région à l’autre :
2.40 — 2.6° — 3.0° — 3.5° — 4.6°.
La barre thermique que j’ai ainsi constatée n’était pas le 16 février à
la limite du Grand et du Petit-lac, à la barre d’Yvoire ; elle était repoussée
à environ 5km au S.-W., dans la direction de Genève, sur la
ligne qui joint les villages de Crans et de Chens. (*)
' La formation de cette barre thermique d’eau à 4° a pour conséquence
la coexistence dans le même lac des deux régimes que j’ai attribués
aux lacs tropicaux d’une part, représenté dans la région pélagique du
Grand-lac, et aux lacs tempérés d’autre part, dans la région littorale et
dans le Petit-lac, lequel, sous ce rapport, se comporte comme faisant
partie du littoral.
Une autre conséquence est un élément extraordinaire de refroidissement
des couches abyssales du Grand-lac - en voici le mécanisme.
L’eau relativement lourde de la barre à 4° doit tendre à s’écouler par des
courants de convection descendants au-dessous des eaux plus légères
qu’elle. Du côté du rivage elle est bientôt arrêtée par le relèvement du
sol ; mais du côté du plein lac, l’écoulement doit se faire d’autant plus
facilement que l’inclinaison du fond y aide. L’eau de la barre à 4° doit
donc descendre dans les grands fonds du lac et s’y accumuler en une
couche plus ou moins épaisse au-dessous des eaux plus chaudes. Il doit
y avoir, de ce fait, établissement d’une série de couches à stratification
thermique directe, au-dessous de la grande masse d’eau plus chaude
uniformisée par l’action de l’hiver.
Je crois avoir retrouvé cette couche dans un sondage thermométrique
fait en plein lac le 13 mars 1880. Voici les chiffres, page 379, des couches
inférieures du lac.
La masse générale du lac ne s’était pas refroidie au-dessous de 4.5°,
mais dans le fond j’ai trouvé une couche de 30m d’épaisseur, dont la température
était plus basse de un et même de deux dixièmes de degré.
(*) Ce refoulement de la barre thermique dans la direction de Genève doit être
attribué à l ’action du courant général du lac (voyez page 20).
195“ 4.5»
240 4.5
260 4.5
280 4.4
305 4.3
310 4.3
Je l’attribue à l’eau de la barre littorale qui par suite de sa plus grande
densité, s’était écoulée le long des talus jusque sur le plafond du lao.
Nous avons des faits analogues indiqués dans les sondages thermométriques
N» 40. 25 mai 1886
41. 25 juin
44. 24 janvier 1891
48. 6 mars
51. 16 janvier 1892
52. 28 mars § ¡ ¡ ¡ 1
53. 8 février 1894
Nous pouvons donc considérer comme bien constaté ce refroidissement
accidentel des couches les plus profondes du lac.
Nous avons donc dans l’écoulement des eaux froides de la région
littorale, en hiver, une cause puissante de refroidissement de la région
abyssale à ajouter à celles que nous avons indiquées plus haut. Elle
doit annuler en partie l’action de réchauffement qu’on doit attribuer à
l’eau trouble des affluents ; elle doit abaisser la résultante et la ramener
au chiffre de réchauffement de 1 à 3 dixièmes de degré par an que
nous avons constaté. Si cette action n’intervenait pas, le réchauffement
des couches profondes dû à la convection hydrostatique des eaux
lourdes et chaudes des affluents relèverait puissamment la température
des régions abyssales et celles-ci seraient beaucoup plus chaudes
que nous ne le trouvons (v. p. 359).
La formation d’une barre thermique dans le Petit-lac n’est pas chose
bien rare; presque chaque année nous trouvons dans la température
de l’eau, mesurée dans le port de Genève, des cas où le thermomètre
descend au-dessous de 4°. Gela a eu lieu dans les vingt dernières années
aux dates que nous donnons dans le tableau de la page 380.
La date la plus hâtive a eu lieu le 8 décembre 1879, la plus tardive,
le 17 mars 1887. Pendant ces 20 années, il n’y a eu que 5 années où le