l’éclairage de l’eau se ferait par la lumière diffuse du firmament ; si le
soleil était au zénith, tous les rayons, ou peu s’en faut, pénétreraient à
travers la surface de l’eau à laquelle ils seraient normaux; dans les
positions intermédiaires que le soleil occupe sous nos latitudes, il y a
d’autant moins de rayons réfléchis, et par conséquent d’autant plus de
rayons pénétrant dans l’eau que le soleil est plus élevé sur l’horizon.
11 en résulte que les objets placés dans l’eau doivent être d’autant
mieux éclairés que la hauteur du soleil est plus grande ; il est probable,
à première vue, que la hauteur du soleil aura une influence très notable
sur la profondeur limite de visibilité.
C’est ce que les expériences du P. Secchi, dans la Méditerranée,
avaient fort bien montré. Dans son expérience II, par exemple, du
21 avril 1865, avec son grand disque de 2.4™ de diamètre, il avait
trouvé les limites de visibilité suivantes :
Hauteur du soleil 25°43' limite de visibilité 24.5™
45.24 33.9
59.52 36.7
Le raisonnement et l’expériepce du Pi Secchi attribuant ainsi une
grande influence à la hauteur du soleil, j’ai été fort surpris des résultats
que j’ai d’abord obtenus dans le lac Léman; pendant longtemps j’ai été
incapable de constater cette influence de la hauteur du soleil. Je trouvais
dans la même journée, pendant l’été de 1874, la profondeur limite
de visibilité tellement semblable, quelle que fût l’heure et par conséquent
la hauteur du soleil, que j’arrivai à refuser toute action à l’intensité de
l’éclairage (1). Je ne trouvais même pas de différence dans cette profondeur
avant ou après le coucher du soleil; elle était la même
10 minutes avant et 10 minutes après le coucher apparent du soleil.
Je ne citerai ici que deux de ces expériences :
3 juillet 1874, devant Morges.
Heure Hauteur du soleil Limite de visibilité
8h10min 37°14' 7.3™
12 00 66.26 7.6
17 30 22.50 7.5
18 30 12.52 7.5
19 00 8.6 7.5-
C1) Voir pour le détail des expériences : F.-A Forel. Matériaux pour l’étude de la
faune profonde du Léman. Bull. S. V. S. N., XIV, 137 sq. L ausanne, 1876.
26 octobre 1874, devant Morges.
Heure Hauteur du soleil Limite de visibilité
16h36min 2°59' 11.2™
— 45 coucher apparent du soleil
— 47 1.11 11.2
— 55 —0.6 11.2
La différence entre les chiffres extrêmes de la profondeur de visibilité
ne dépassait pas la limite des erreurs d’observation et l’influence
du lieu où l’on opère, comme on le verra plus loin. Le résultat de ces
expériences n’était donc pas conforme à l’opinion théorique que je
m’étais faite, non plus qu’avec les observations du P. Secchi.
J’ai dû faire intervenir une hypothèse : l’obstacle à la vision serait
dû non à l’absorption de la lumière par l’eau, mais à la présence de
poussières en suspension dans l’eau.»
Dans une eau physiquement pure, la cause de la disparition d’un
corps éclairé serait l’absorption des rayons lumineux par l’eau elle-
même; absorption des rayons solaires qui éclairent le corps, absorption
des rayons réfléchis par le corps éclairé ; dans ce cas, il est évident
que l’intensité de l’éclairage aurait une grande influence sur la
profondeur limite de visibilité.
Si- l’eau contient des matières en suspension, les conditions sont
tout autres. Le corps éclairé, le disque blanc que nous faisons descendre
dans une ea.u ainsi opalmisée, nous le faisons pénétrer dans un
nuage, dans un brouillard formé par les corpuscules opaques flottant
entre deux eaux. Dans ces conditions, l’éclairage, l’éclat de l’objet que
nous contemplons, n’a presque aucune influence sur son apparition ou
sa disparition. Tant que les poussières, ou les vésicules du brouillard
laissent passer entr’elles quelque fayon lumineux, un corps quelconque,
môme noir, reste encore visible; sitôt que par leur superposition
optique elles forment un écran continu, le corps, quelqu’éclairé,
quelque brillant qu’il soit, disparaît à nos yeux.
Là donc où l’éclairage de l’objet contemplé a une action manifeste
sur la limite de visibilité, nous devons attribuer la disparition du corps
à l’absorption des rayons lumineux par l’eau elle-même; là où cet
éclairage n’a point d’effet, là où la profondeur limite de visibilité reste
la même quelle que soit la hauteur du soleil, nous devons admettre la
présence d’un nuage de corpuscules faisant écran optique et arrêtant
les rayons réfléchis par le corps en observation.