Ce n’est cependant pas à la pureté chimique de l’eau qu’est liée
cette couleur bleue. En effet, celle-ci n’est nulle part aussi brillante
que dans l’eau de mer, qui est très chargée de sels minéraux ; elle en
contient en moyenne 3.4. °/0. La couleur de la mer, quand elle n’est pas
salie par des causes, externes, est d’un bleu splendide ; le bleu y est.
plus pur encore que dans le lac Léman ou le lac bleu de Lucel. Tandis
que ces derniers sont caractérisés par le n° IV de ma gamme, j’ai pu
constater dans une double traversée de la Méditerranée, de Marseille '
en Algérie et Tunisie, mars et avril 4888, et vers l’île de Capri du
golfe de Naples, avril 1890, que la couleur de cette mer s’exprime parles
nos II et III de la même gamme. C’est le même bleu que celui de
nos beaux lac bleus, mais encore plus intense, plus saturé, plus pur.
Dans l’Atlantique, au sud du 40° de latitude boréale, Krümmel a trouvé
ordinairement la teinte correspondant au n° II de ma gamme ; dans la
mer des Sargasses et sur la côte du Brésil, il a même rencontré le n° I,
le bleu du sulfate de cuivre ammoniacal pur. f1) La dissolution dans
l’eau de matières minérales incolores n’altère donc pas la couleur
propre du liquide.
D’où provient cette couleur bleue ? Ne serait-ce pas un renvoi de la
couleur bleue du firmament? La lumière incidente étant bleue, la
lumière réfléchie ne peut avoir une autre couleur. Mais la plus simple^
observation nous montre que le Léman est aussi bleu sous un ciel
blanc, sous un brouillard gris, sous le nuage noir d’une giboulée de
neige que sous l’azur d’un beau jour d’été. L’éclat, l’intensité, le ton
de la couleur, ses qualités accessoires varient seuls suivant ces conditions.
La nuance n’est aucunement modifiée. Donc ce n’est pas la
couleur de la lumière incidente qui est la cause de la couleur bleue de
l’eau.
Quelle est la nature de cette couleur bleue? La lumière qui arrive
du soleil et qui éclaire la plaque -blanche du tube de Bunsen ou la
masse de l’eau du lac est blanche; les divers rayons différemment
colorés y sont mélangés dans les proportions normales de la lumière
blanche. Puisque l’eau est bleue par transparence, il faut qu’il y ait
absorption de tous ou de la majorité des rayons peu réfrangibles qui
forment la partie rouge, jaune du spectre. Tel est bien le fait; c’èst ce
que prouve l’étude spectroscopique de la couleur de l’eau, qu’elle soit
faite dans la grotte bleue de Capri, comme l’a vu Vogel (•), qu’elle
soit faite dans le tube de Bunsen comme l’ont observé Soret et
Sarasin (.”2), qu’elle soit faite dans les,eaux d’un lac bleu, comme nous
l’avons vu, Ed. Hagenbachetmoi, dans le lac bleu de Lucel en 1887 (3).
Le spectre de l’eau ne montre plus trace de rouge, le jaune est très
pâle, la ligne D est à peine visible, le vert, le bleu, l’indigo sont très
brillants. Il y a une grande analogie entre ce spectre d’absorption de
l’eau et celui du sulfate de cuivre.
L’étude la plus complète sur ce sujet a été faite en 1891 par MM. G.
Hüfner et E. Albrecht à Tubingen (4) qui ont entre autres montré qu’une
colonne d’eau pure de 1.8m de longueur ne laisse passer que 0.49 du
rouge, 0.62 de l’orange, 0.81 du jaune, 0.92 du vert, 0.95 du bleu.
11 en résulte qu’il y. a absorption très rapide de toute la partie rouge
et jaune de la lumière, et que, pour les grandes épaisseurs d’eau, le
bleu seul arrive à les traverser.
Quant à la nature essentielle de la modification intime qui transforme
la lumière. blanche du soleil en lumière bleue dé l’eau, j’en laisse
l’étude aux maîtres de la science qui ont seuls le droit de parler dans
des problèmes de- cette difficulté; les Tyndall, Soret, Hagenbach,
Le Conte ont montré qu’il y a dans ce phénomène concurrence
d’absorption sélective et de diffusion également sélective, tellement,
que les grandes ondes lumineuses du rouge et du jaune étant éteintes,
et les ondes de l’extrémité bleue du spectre étant seules réfléchies, il
ne nous arrive à l’oeil que les ondes les plus réfrangibles, les plus
petites, eelles du bleu et du violet.
Le bleu presque pur, très légèrement nuancé de vert, étant la couleur
de l’eau pure, eau distillée, eau des lacs bleus, ou de l’eau tenant
en solution des matières minérales incolores, quelle est la cause des
nuances divergentes qui font certaines eaux vertes, les autres brunes,
les autres noires ?
0 H.- W. Vogel. Spektroscop. Untèrs. des Lichts der blauen Grotte von Capri.
Pozzend. Ann. CLVI, 2. 325 Leipzig, 1875.
0 Soc. phys. Genève, 21 février 1884. Arch. XI, 327, Genève, 1884.
0 [Loc. cit. p. 455.]