J’avais pensé à faire intervenir, comme explication, l’illusion de grossissement
que nous avons décrite à propos des objets flottants sur
l’onde. Je doute cependant de la justesse d’un tel rapprochement, car
la distance des montagnes est pour nous bien connue, et nous ne faisons
aucune erreur sur leur éloignement. Les seules illusions que nous
subissions à leur égard sont celles qui sont causées par la plus ou
moins grande limpidité de l’air ; et encore ne sont-ce pas de véritables
illusions ; elles n’amènent jamais une erreur dans notre appréciation.
J’attribue simplement la différence d’impression de hauteur que me
font les mêmes montagnes de la- côte opposée aux réfractions différentes
de l’été à l’hiver.
Pendant l’hiver, ce sont les réfractions d’eau chaude qui règnentpresque
en permanence ; l’horizon apparent est abaissé et le rideau formé par
la côte opposée en est d’autant surélevé. Pendant l’été, au contraire,
nous avons généralement les réfractions d’eau froide ; le plan de l’horizon
est soulevé, le lac paraît concave, et le bas de la côte opposée
étant relevé sans que le sommet de la montagne le soit dans les
mêmes proportions, la montagne semble diminuée en hauteur.
Ce n’est pas très apparent pour les hautes montagnes qui sous-ten-
dent des angles de 3 à 4 degrés; lés quelques minutes de degré
qu’ajoutent ou que retranchent les réfractions opposées ne représentent
qu’une fraction minime de la grandeur totale. Mais- sur des terres
basses, comme l’est pour le Morgien la côte de Savoie qui s’étend de
Coudrée à Yvoire, et forme comme un cap de un demi degré à peine
de hauteur, ihen est autrement. Suivant que les réfractions d’hiver en
augmentent l’épaisseur, ou que les réfractions d’été l’aplatissent, la
différence est proportionnellement assez forte, nous avons vu qu’elle
peut être dë l/i de degré, pour que je puisse la constater sans hésitation
et confirmer sur ce point la justesse de mon explication.
La variation de hauteur des eaux du lac contribue aussi à cette illusion.
En été, le lac est plus élevé qu’en hiver, et quand je stationne sur
le même quai, mon oeil est, au temps des hautes eaux, plus rapproché
de la nappe aqueuse. Le cercle de l’horizon est alors, indépendamment
de toute réfraction, plus rapproché de moi, et la tangente à ce cercle
atteint la côte opposée en un point plus élevé ; je vois de cette côte une
moindre hauteur en étéjqu’en hiver'. Le calcul me montre que cette
action est peu importante. Pour une différence de hauteur d’un mètre
d’eau, à 30km de distance, suivant que mon oeil est à 2m ou à 3m
au-dessus du lac, la hauteur de la côte masquée en plus ou en moins
n’est que de 4.3m, ce qui donne une différence angulaire plus faible
qu’une minute de degré. Cette ITction est donc bien plus faible que
celle des réfractions, mais comme elle agit dans le même sens qu’elles,
elle doit s’additionner à leur effet, et aider au phénomène, peu apparent
du reste, que je signale.
Je conclus. La grandeur apparente des montagnes de la côte opposée
est plus grande en hiver qu’en été. Cette différence est due essentiellement
aux réfractions des rayons lumineux à la surface de l’e au ;
accessoirement à la différence de hauteur d’eau dans les diverses
saisons.