La largeur des rides peut être bien plus considérable dans l’océan
que dans notre lac ; les vagues plus puissantes sont capables de soulever
un sable bien plus grossier, et de le modeler en rides bien plus
larges. M. Hunt a mesuré dans la baie de Brighouse, sur la côte de
Kirkcudbright, des rides de 75 centimètres d’une crête à l’autre.
Direction des rides. Dans un bassin à expériences, l’orientation des
rides est en général telle que les crêtes des rides sont perpendiculaires
aux courants de balancement de l’eau; dans la nature, lorsque l’on
peut étudier la formation des rides, on les voit de même être orientées
perpendiculairement à la direction des vagues, ou parallèlement à
leurs crêtes.
J’ai, au sujet de la direction des rides, deux bonnes séries
d’observations.
En février 1878, j ’ai profité de quelques beaux jours pour dessiner
sur ma carte du golfe de Morges la direction des rides, partout où
elles étaient évidentes. J’ai reconnu, une fois la carte établie, que,
d’une manière générale, cette direction correspondait à peu près à
celle des crêtes des vagues du su do is, les plus grandes vagues qui
viennent battre notre plage ; les rides s’infléchissaient comme le font
ces vagues, en tendant à devenir parallèles à la ligne accidentée du
rivage. Il y avait cependant de nombreuses exceptions, surtout près
de la rive; dans les points où le fond vaseux était recouvert de
petites rides très étroites, celles-ci présentaient souvent des directions
fort aberrantes ; elles semblaient du reste de formation plus récente
que les grandes rides du sable de l’ensemble de la beine.
Dans une autre série d’observations j’ai noté pendant tout un hiver
la direction des rides, sous le débarcadère des bateaux à vapeur de
Morges, qui s’avance fort en avant dans le lac et domine un fond de
sable vaseux où les rides s’établissent très bien :
Le 18 janvier 1877, je note et dessine la direction des rides
dont la crête est orientée N.E.-S.O., presque parallèlement aux
crêtes des vagues de vaudaire.
24 janvier. L’orientation des rides n’est pas modifiée, et
cependant de fortes vagues de b is e ont agité le lac les 21 et
22 janvier ; la crête des vagues était orientée N.N.O.-S.S.E.
28 janvier. Même direction générale des rides. Il a régné les
26 et 27 janvier de grosses lames de v a u d a ir e , dont les crêtes
étaient dirigées N.N.E.-S.S.O., à peu près parallèles à celles des
rides.
1er février. De fortes vagues de s u d o is ont agité le lac
depuis le 28 janvier : la crête des lames était dirigée E.-O. Rien
n’èst changé à l’orientation des rides.
12 mars. Même direction des rides, malgré la forte bise du
11 mars.
20 mars. Même direction des rides ; elles sont un peu effacées,
les sillons tendent à se combler.
25 mars. Même orientation ; les rides sont plus saillantes et
mieux dessinées.
25 avril. Même orientation des rides. (*)
Pendant les trois mois que ces observations ont duré, les rides n’ont
pas été sensiblement modifiées dans leur direction, alors même que les
vagues d é bise, de vaudaire et de sudois ont frappé dans trois
orientations différentes.'
La direction des vagues n’aurait-elle aucune influence sur l’orientation
des rides ? Etudions ce point plus attentivement.
D’une part, M. de Candolle a posé en loi que les rides de fond s’établissent
perpendiculairement à la direction des courants de frottement
oscillatoire de l’eau.
D’une autre part, j ’ai vu qu’en traçant sur le sable d’une cuve à
expériences une ligne oblique, ou en plaçant un obstacle oblique,
même à 45° de la direction du plan de balancement, j’obtiens un
système de rides ayant la même obliquité que la ligne initiale. Il est
vrai que, si je continue à faire balancer l’eau assez fortement, ces rides
obliques ne tardent pas à se découper en escalier, et à se reconstituer
en un système de rides perpendiculaires au plan du balancement,
sous ce rapport, je me rapproche du naturaliste genevois. Mais cette
transformation dans l’orientation des rides n’a lieu que lorsque le
balancement est assez fort pour bouleverser presque complètement le
sable. Si le mouvement est faible et fait seulement osciller légèrement
la crête des rides, il n’y a pas déformation et l’on peut faire balancer
l’eau pendant longtemps sans changer notablement l’orientation des
rides.
A la lumière de ces expériences, j’interpréterai, comme suit, les
faits observés dans le lac, devant Morges. Les rides de fond sont établies
par des vagues puissantes qui remuent énergiquement le sol,
f ) Le 23 juin 1883, de même en novembre 1893, les rides que j ’étudiais en 1877
sont complètement effacées, et je n’en puis pas voir de traces assez nettes p o u r
soupçonner leur dernière orientation.